Petits commerces fermés : les élus locaux et les sénateurs vent debout

Petits commerces fermés : les élus locaux et les sénateurs vent debout

Malgré les appels à rouvrir les petits commerces pendant le confinement, le gouvernement reste sur sa ligne. Le socialiste Patrick Kanner dénonce une décision « autoritaire et centralisée ». La situation « rappelle le poujadisme à sa première heure » lance François Patriat (LREM), qui souligne la nécessité de ces mesures, face à la hausse des morts liés au Covid.
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Un vent de fronde. Le reconfinement ne se fait pas sans dommages collatéraux. Ce sont les petits commerces. Tous logés – c’est le cas de le dire – à la même enseigne : fermés. En revanche, la grande distribution, Fnac comprise, peut rester ouverte. Un deux poids deux mesures qui passe très mal. Si les libraires se sont très vite fait entendre, la mobilisation s’est étendue à tous les commerces jugés non essentiels.

Face à cette situation, dès jeudi 29 octobre, les sénateurs ont profité de l’examen du projet de loi sur l’état d’urgence sanitaire pour se saisir de la situation et venir au secours du petit commerce (lire ici). Ils ont adopté à l’unanimité – de la droite aux communistes, fait assez rare – un amendement permettant aux préfets d’autoriser localement la réouverture, si la situation sanitaire le permet. Refus du gouvernement.

« Traiter les maires d’irresponsables, comme l’a fait Bruno Le Maire, n’est pas à la hauteur »

Durant le week-end, les maires ont pris le relais. A Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), Perpignan (Pyrénées-Orientales), Brive (Corrèze), Aubusson (Creuse) ou encore Clichy (Hauts-de-Seine), les arrêtés se sont multipliés pour autoriser la réouverture des petits commerces. Ils sont tous illégaux. Les décisions venant de l’Etat prennent le dessus. « C’est illégal, mais ce sont des actes politiques » souligne le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner, pour qui « traiter les maires d’irresponsables, comme l’a fait le ministre de l’Economie Bruno Le Maire, n’est pas à la hauteur. C’est un signe de panique et de fébrilité », juge le sénateur du Nord, qui a lui-même écrit à Emmanuel Macron pour lui demander de réexaminer la situation du petit commerce au regard du principe « d’égalité de traitement ». 50 maires de grandes villes, dont Anne Hidalgo (Paris) et Christian Estrosi (Nice), ont aussi écrit au premier ministre, via l’association France urbaine, pour lui demander aussi cette équité.

La réponse, on la connaît maintenant : Jean Castex reste droit dans ses bottes. Les petits commercent ne rouvriront pas, a-t-il affirmé dimanche soir sur TF1. En revanche, le premier ministre tient compte de cette demande d’équité. Les grandes surfaces devront fermer leurs rayons non essentiels à partir du mardi 3 novembre. Personne ne vendra de livres. Pas de jaloux. Une décision qui laisse en revanche le champ totalement libre à Amazon avec la vente en ligne (mais aussi au site de la Fnac qui concurrence le géant américain sur Internet). Espoir tout de même pour les commerces : Jean Castex donne rendez-vous pour un point dans quinze jours, « pour voir si la situation s’améliore ». Le ministre délégué en charge des PME, Alain Griset, auditionné au Sénat, a fait le service après-vente ce lundi, devant les sénateurs.

« Manque de dialogue entre les élus locaux et le gouvernement »

Philippe Mouiller, sénateur LR des Deux-Sèvres, qui était monté au créneau la semaine dernière au Sénat, « regrette » comme beaucoup la décision de l’exécutif. « Dans la crise, on s’est rendu compte que le couple préfet-maire fonctionnait bien. On peut leur faire confiance » croit toujours le sénateur, pour qui la décision de fermer les rayons non essentiels des supermarchés n’est pas non plus « la bonne décision. Car globalement, ça aura un impact », notamment sur les maisons d’édition, qui vendront moins de livres. Selon Philippe Mouiller, cette affaire « traduit de nouveau un manque de dialogue entre les élus locaux et le gouvernement ». A l’arrivée de Jean Castex à Matignon, les choses semblaient pourtant bien commencer sur ce plan. Le premier ministre n’avait que le mot territoire à la bouche. « Ce mot a complètement disparu de sa bouche » note Patrick Kanner, qui ajoute :

Le M. déconfinement territorialisé devient le M. reconfinement autoritaire et centralisé.

Le patron des sénateurs socialistes se dit « vraiment agacé » par la situation. « A un problème que nous soulevons, avec une mesure adoptée à l’unanimité, la réponse du gouvernement c’est le marteau, le pilon et la prohibition. On considère que les Français sont incapables de s’autodiscipliner et on les infantilise ».

Critiques aussi au sein de la majorité présidentielle

Partout sur le territoire, le sentiment est le même. Philippe Folliot, sénateur Alliance centriste du Tarn (membre du groupe Union centriste), appelait la semaine dernière, lors du débat au Sénat, la ministre au « "lo biaïs", ça veut dire le bon sens paysan, dans le sud-ouest ». « Il y a des endroits où le virus circule moins. Le lo biaïs, justement, c’est de fixer au niveau du terrain un cadre et des éléments de souplesse et d’adaptation. Ce qui avait été fait pour les marchés alimentaires d’extérieur, lors du premier confinement. Et ça s’était bien passé » souligne aujourd’hui le sénateur du Tarn.

Philippe Follier, qui était député inscrit au groupe LREM jusqu’en septembre dernier, avant son élection au Sénat, est toujours « membre de la majorité présidentielle » mais il se dit « libre ». Le sujet divise la majorité car il n’est pas le seul soutien d’Emmanuel Macron à critiquer la décision. L’ancien ministre de l’Agriculture et député LREM Stéphane Travert a écrit, avec plusieurs de ses collègues, au premier ministre pour lui demander la réouverture des commerces.

« On occulte totalement le danger et le drame sanitaire » regrette François Patriat (LREM)

François Patriat n’est pas de ceux-là. Dans un communiqué, le président du groupe RDPI (LREM) dénonce les « postures politiques » et souligne qu’actuellement, en France, « une personne décède toutes les 4 minutes ». Autrement dit, il rappelle le sens de la fermeture des commerces et du confinement : limiter les interactions entre personnes, pour freiner et réduire la propagation du virus et désengorger les hôpitaux, bientôt sous l’eau face à l’afflux de malades du Covid-19. Or plus de commerces ouverts signifie mécaniquement davantage d’échanges, et donc de risques.

« Ceux qui demandent de rouvrir les commerces, comme ceux qui ont demandé au Sénat la réouverture des discothèques (lire ici), sont les mêmes qui nous reprocheront dans quinze jours de n’avoir pas été assez strict. On va flatter les coiffeurs, les libraires, etc. Mais ce n’est pas raisonnable » nous affirme François Patriat. Il entend bien « la difficulté des commerçants, mais le gouvernement a raison de rester strict. On verra bien que dans les semaines qui viennent, on sera amené à durcir le confinement » pense même François Patriat.

« Les maires qui prennent ces arrêtés pour ouvrir les commerces, ce n’est pas civique. Le civisme, c’est aussi de résister à la pression » lance le sénateur LREM de Côte-d’Or. « On déplace dangereusement le sujet d’intérêt. On ne parle que des inconvénients créés par le confinement, mais on occulte totalement le danger et le drame sanitaire. La semaine dernière, 1.500 personnes sont mortes à l’hôpital du Covid, et personne n’en parle ! » s’étonne encore François Patriat, qui dénonce les « maires qui apparaissent comme courageux, car ils demandent de ne pas respecter la loi ». Il continue :

Ça me rappelle le poujadisme à sa première heure. Je veux mettre ces gens devant leurs responsabilités. Que diront-ils demain devant l’engorgement des hôpitaux et le nombre de morts qui aura progressé ?

« Ce n’est pas dans les petits commerces que le virus circule le plus » répond de son côté Philippe Follier, « mais dans les événements familiaux, personnels ou festifs, où on fait moins attention aux gestes barrières ».

« Je suis ouvert et je vous emmerde ! » : des commerçants appellent à la mobilisation sur les réseaux

Pour l’heure, certains commerçants se mobilisent déjà à leur façon : en ouvrant. On voit monter cette fronde depuis les réseaux sociaux. Ce qui n’est pas sans rappeler, dans une certaine mesure, un mouvement qui a pris forme autour des ronds-points. Steve Ackermann, tailleur de verre à Eguisheim (Haut-Rhin), annonce ainsi la couleur : « Je suis ouvert et je vous emmerde ! » Il est particulièrement remonté. Regardez sa vidéo, qui comptabilise pas moins de 582.000 vues.

Sur le groupe Facebook « Les entreprises d’Auvergne en péril », un commerçant appelle les autres à « monter au créneau », « à se mobiliser » et à monter des « opérations ». Il « essaie de voir qui est intéressé pour lancer un mouvement sur Issoire, Clermont-Ferrand. Et un peu dans toutes les métropoles, ce serait bien ». Un message à voir aussi en vidéo :

Voir les germes d’un semblant de mouvement des gilets jaunes, version petits commerces, le gouvernement n’y avait peut-être pas pensé en reconfinant. Or le gouvernement se passerait bien d’un front social, qui s’ajouterait à la crise sanitaire et à la situation sécuritaire. Mais après les gilets jaunes, les caisses voient rouge et ne comptent pas faire crédit à l’exécutif.

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