Police : entre proximité et distance 50 ans d’aller-retour

Police : entre proximité et distance 50 ans d’aller-retour

Après l’annonce faite par le gouvernement du retour de la police de proximité en 2018, retour le dossier des relations parfois houleuses entre citoyens et police nationale. Théorisée pour la première fois sous le second Empire, la police de proximité a eu plusieurs visages : du garde champêtre aux contractuelles, l'histoire regorge de tentatives de rapprocher le citoyen de sa police.
Public Sénat

Par Priscillia Abereko

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1941, création de la police nationale

En 1941, pendant la Seconde guerre mondiale, le gouvernement de Vichy décide de nationaliser la police. Une décision importante qui entraîne la création de la police nationale. À la tête de cette dernière, René Bousquet, le secrétaire général de la police. En pleine occupation, cette police se veut proche de la population tout en conservant sa figure d’autorité locale. Pour l’historien spécialiste de la police, Emmanuel Blanchard, « les policiers français ont été en pointe dans les grandes rafles de 1942. Mais ce qu’on va surtout retenir de la police à Paris, c’est sa contribution à l’insurrection d’août 1944, où 150 policiers sont morts sur des barricades, où ils étaient en opposition aux Allemands. Leur contribution à la libération de la ville sera beaucoup utilisée pour rapprocher la police de la population. D’une certaine façon, on a une politique de communication qui vise à entraîner une communion entre police et population autour de la résistance, de cette résistance policière très forte à la fin de la période destinée à masquer la collaboration et les rafles ».

1961, le garde champêtre

En 1961, d’autres autorités locales moins effrayantes sont présentes dans les communes : ce sont les gardes champêtres. Tantôt à pied, tantôt à cheval, le garde champêtre est proche des gens. Derrière son air sympathique et courtois, se cache une véritable figure dépositaire de l’autorité publique. L’historien Emmanuel Blanchard souligne par ailleurs, « le garde champêtre n’a pas toujours été débonnaire à la fin du XIXe siècle. Il était la figure de l’État dans les zones rurales, voire une figure répressive parfois ». Aujourd’hui pourtant, cet aspect autoritaire semble bien loin. L’ancien maire de Chanteloup-les-Vignes en a une vision plutôt agréable : « A Chanteloup-les-Vignes durant mon mandat, nous avons eu un garde champêtre. Il circulait dans la commune, connaissait tout le monde et était non armé. Cela faisait presque partie d’une des missions de la police de proximité, à savoir être présent, être au contact et être un interlocuteur ».

"Le garde champêtre, une figure d'autorité locale pas toujours débonnaire au XIXème siècle" selon cet historien
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1964, les femmes des agents de police pas comme les autres

En 1964, une figure plus urbaine apparaît : la contractuelle. Ces femmes postées au niveau de certains carrefours parisiens, sont dans un premier temps spécialisées dans la surveillance de sécurité des écoliers. Mais cette contractuelle n’étant pas autorisée à verbaliser a-t-elle un véritable statut d’agent de police ? Pour l’historien Emmanuel Blanchard, « au sein de la préfecture de police, il y a toujours eu des personnels qui étaient des policiers et d’autres non. À travers cette archive, on voit ici une division sexuelle du travail. Ces femmes ne sont pas considérées comme de véritables policiers et non pas toutes les missions de la police à cette époque. On voit en général une assignation des femmes au pôle social de la police ». Dans les rues, elles sont dans les années 60 de véritables aides pour les enfants et les familles. Des missions qui rebutent leurs collègues masculins.

1964, allô police secours

En 1964 la police montre un autre visage. Créée 30 ans auparavant Police secours, avec ses brancards et ses secouristes, se présente aussi comme un service d'aide aux citoyens.  Interrogé sur le sujet à l’époque, le commissaire responsable de police secours à Lyon tient à rappeler le rôle de cette dernière : intervenir dans les hold up mais également sauver des vies en général. Une nouvelle force dont les missions sont multiples. L’historien spécialiste de la police, Emmanuel Blanchard, tient à souligner que « la police c’est un métier que l’on ne peut pas définir. Elle intervient lorsque plus personne ne peut intervenir et quand potentiellement il y a besoin de force. Cette mission de police secours va populariser les missions de police dès les années 30 et surtout avec l’arrivée du téléphone ». Une polyvalence qui ne suffira pas à créer un lien de proximité avec la population.

1999, lancement de la police de proximité

Qui a dit que la police de proximité date de 1999 ? Il faut remonter à 1854, pour en avoir la première définition, celle du ministre de l’Intérieur de Napoléon 3  Adolphe Billault :

« Le principe […], c’est la présence partout, jour et nuit, à toute heure, de nombreux agents [en tenue] dont chacun, chargé de la surveillance exclusive d’un espace très circonscrit […], connaît à fond la population et les habitudes, se trouve toujours là, prêt à donner son appui […] et, par ces allées et venues continuelles, ne laisse aux malfaiteurs ni le loisir de consommer, ni même de préparer sur place leurs coupables projets » 

Municipalisée, puis nationalisée, recentrée sur ses missions de lutte contre le crime, il faudra attendre jusqu’en 1999 pour que cette notion de police urbaine de proximité face son grand retour. Une police plus proche des parisiens, c’est ce que souhaite le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement à travers sa réforme. À l’époque près de 14 000 policiers vont être reconvertis en « PUP », policiers urbains de proximité, un mélange de gardiens de la paix et d’inspecteurs en civil pour plus de proximité avec la population. Pour l’historien Emmanuel Blanchard, « cette police de proximité a été inventée en partie à Paris sous le Second empire, elle a existé après la Seconde guerre mondiale d’une certaine façon et aussi des îlotiers sont revenus dans les années 70 ». À l’époque déjà, l’ancien maire de Chanteloup-les-Vignes, Pierre Cardo était assez critique vis-à-vis de cette réforme soutenue par Jean-Pierre Chevènement. Sur France 3, en 1998 il avait déclaré « il arrive que la présence policière dans les quartiers soit considérée comme une provocation, mais je crois qu’il ne faut pas s’arrêter à cela (...) en première ligne il faut des médiateurs. La police intervient ensuite ».

2003, fin de la police de proximité

En 2003, Nicolas Sarkozy ministre de l’Intérieur, décide de supprimer la police de proximité. Ses arguments ? Cette police serait jugée inefficace et mettrait en danger les policiers. Sa mission première serait avant tout celle de l’investigation, de l’interpellation et de la lutte contre la délinquance. Une position que nuance l’ancien maire de Chanteloup-les-Vignes, Pierre Cardo, qui « considère qu’on avait raison de créer une police d’investigation car on n’avait pas réellement de suivi des différents délits commis dans les quartiers. Mais il n’empêche que pour la créer, on a prélevé tous les effectifs du terrain ce qui fait qu’aujourd’hui nous n’avons plus grand monde pour patrouiller dans les quartiers ».

Aujourd’hui, après l’annonce faite par le gouvernement d’un retour de la police de proximité en 2018, charge au gouvernement de définir les missions de cette police.

 

Bibliographie :

  • Deux maires courage, de Pierre Cardo et Claude Dilain, éd Autrement
  • La police parisienne et les Algériens (1944-1962), d'Emmanuel Blanchard, éd Nouveau monde

 

Retrouvez l'intégralité de l'émission présentée par Fabrice d'Almeida, samedi à 8h30 et 15h30, dimanche à 12 et lundi à 23h.

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