Pour Alain Badiou : « Emmanuel Macron est l’auteur d’un coup d’État démocratique »

Pour Alain Badiou : « Emmanuel Macron est l’auteur d’un coup d’État démocratique »

Alors que la folle campagne présidentielle a récemment pris fin, un goût d’inattendu subsiste. Il y a un an, nombreux étaient ceux qui prêtaient à Emmanuel Macron de grandes ambitions. Mais peu auraient alors parié sur la victoire de l’actuel locataire de l’Élysée. De meetings en débats, Emmanuel Macron a imposé la figure de l’homme présidentiel et du renouveau politique. Comment s’explique alors le coup de force de ce petit prince devenu mutant ? Véritable dynamiteur du gouvernement ou apparatchik du système ? Retour sur cette ascension fulgurante avec deux invités renommés dans Un Monde en docs.
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Emmanuel Macron porte un programme politique et économique libéral tout en soulignant l’importance de l’État et de la puissance publique. L’autre de ses prétentions est une forme de dégagisme inscrite dans l’ambition du renouvellement des élites à distance des partis. Finalement, cet atypisme semble avoir séduit une part des citoyens qui l’ont hissé au rang de président. Mais comment expliquer l’éligibilité du « label Macron » ?

La « Macronie »

Alain Badiou trouve des similitudes entre E. Macron et Napoléon III
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Alain Badiou, philosophe et militant de gauche, choisit la formule de « coup d’État démocratique » pour qualifier l’« affaire Macron ». Il explique ce terme, certes accrocheur mais largement assimilé à un pouvoir autoritaire, voire absolutiste :

« Naturellement, il y a toujours dans le coup d’État un élément de surprise  […]. Il y a un certain temps, il était très peu probable que ce coup réussisse […]. Par coup d’État, j’entends que le cœur de la question est de s’emparer du pouvoir d’État, même si cela reste fondamentalement un processus politique […]. Le mot  coup d’État ne contient pas, par lui-même, quelque chose d’antidémocratique, précise-t-il.

Autrement dit, la figure d’Emmanuel Macron est tout aussi autoritaire que légitime.  

Pour autant, Olivier Mongin, ancien directeur de la revue Esprit où il a rencontré Emmanuel Macron, réprouve le terme de « coup d’État » qui entretient l’idée d’usurpation du pouvoir. Pour lui, le règne Macron ne signe pas la fin de la démocratie. Au contraire, le président s’est pleinement inscrit dans le processus démocratique.
Pour celui qui voit en Emmanuel Macron « une bête politique », ce qui est intéressant c’est l’analyse des circonstances de ce succès. Il précise en effet, qu’Emmanuel Macron se présente au moment même où le désarroi est total et les deux partis traditionnels en dilution. Selon lui, le président français est « biface ». Au départ, note-t-il, « il vote pour Jean-Pierre Chevènement donc c’est un souverainiste, un étatiste. Et quand il rencontre Paul Ricœur à la revue Esprit, il est plutôt pour Michel Rocard ». En d’autres termes, les circonstances de décomposition des institutions étatiques classiques ont laissé place aux aspirations de cet ancien banquier d’affaires, profane en politique.  

Alain Badiou s’accorde à dire que la gauche s’est dissoute :

«  Il y a une fatigue évidente du dispositif politique dominant dont à mon avis, la clé a été le dépérissement de la gauche comme premier facteur. En plus d’un désenchantement de la gauche, on note une absence de proposition véritable et la création d’un régime où il est d’autant plus probable de voir surgir  quelqu’un qui n’est ni droite ni de gauche, d’autant que la différence entre les deux est devenue imperceptible ».  

Mais celui que l’on a présenté comme le « Kennedy français » incarne-t-il un vrai renouveau ? Ce jeune candidat, aux dents blanches et longues, peut-il revisiter le bipartisme pour créer un centre dynamique ? Aux yeux d’Alain Badiou, un autre candidat avait déjà tenté cette fusion :

« Nicolas Sarkozy était le seul qui tentait avec ses moyens propres  d’en finir avec le gaullo-communisme. Mais il était trop capricieux, incertain et voyou pour mener cette tâche à bien et il s’est discrédité progressivement. Je pense, en effet, qu’Emmanuel  Macron est un relais de Sarkozy même si c’est une figure opposée à certains égards notamment dans la posture de bon élève ».

Mais plus que la volonté affirmée de bouger les structures politiques, il s’agit davantage d’une nécessité pour les chefs d’États actuels. Le mode de gouvernement doit, de fait, s’adapter aux évolutions du monde. Comme le rappelle Olivier Mongin, " nous vivons un moment historique qui n’est ni celui de Jean Lecanuet ni celui de Sarkozy. C’est celui de la mondialisation ". L’idée seule du changement ne pourra dès lors séduire éternellement, désormais, il faut convaincre. Mais à en croire Olivier Mongin,  « Emmanuel Macron sait prendre les opportunités et sait aussi que le fait de garder le pouvoir est plus difficile que de le conquérir […] ».

Le nouveau « président jupitérien », selon sa propre désignation, doit désormais convaincre ceux qui lui ont donné forme au risque de se voir devenir poussière.

 

Retrouvez le débat sur le " phénomène Macron " dans l'émission Un monde en docs  le samedi 24 juin à 22h, le dimanche 25 juin à 9h et le dimanche 2 juillet à 18h sur Public Sénat.

 

Pour aller plus loin :

L’Irrésistible ascension. Les dessous d’une présidentielle insensée. Macron, Le Pen, Fillon, Mélenchon, Hollande, Juppé, Sarkozy, Valls. de  Soazig QUEMENER et Alexandre DUYCK, éd. Flammarion, 2017

L’ambigu Monsieur Macron, de Marc ENDEWELD, éd.  Flammarion, 2015

Macron par macron, d’Eric FOTTORINO,  le Un, éd. L’Aube, 2017

Emmanuel Macron. Les coulisses d’une victoire de François-Xavier BOURMAUD,  éd. L’Archipel, 2017

Emmanuel Macron, un jeune homme si parfait, d’Anne FULDA, éd. Plon, 2017

Révolution. C’est notre combat pour la France. d’Emmanuel MACRON, éd. Xo, 2016

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