Pourquoi la pensée aronienne nous éclaire encore
Lucide, clairvoyante, juste… autant d’adjectifs qui pourraient définir la pensée aronienne. 35 ans après sa mort, qu’a-t-on encore à apprendre de Raymond Aron ? En tant qu’intellectuel semblant avoir toujours vu juste, quelle analyse ferait-il des crises démocratiques et des enjeux de notre époque ?

Pourquoi la pensée aronienne nous éclaire encore

Lucide, clairvoyante, juste… autant d’adjectifs qui pourraient définir la pensée aronienne. 35 ans après sa mort, qu’a-t-on encore à apprendre de Raymond Aron ? En tant qu’intellectuel semblant avoir toujours vu juste, quelle analyse ferait-il des crises démocratiques et des enjeux de notre époque ?
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Par Marie Oestreich

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La « radicalité de la nuance » et le danger des raccourcis : une résonance contemporaine

Contemporain des conflits mondiaux du XXe siècle, Aron a mis en garde vis-à-vis de la montée des idéologies qui fracturent les sociétés de l’époque. Toujours en quête de rationalité, et rejetant tout système idéologique clos, il tentera d’analyser ces conflits avec un recul tel qu’il ne suivra pas la plupart des intellectuels, de gauche, dans l’engagement communiste. ll privilégiera donc la dénoncitation de la torture, et la violence de la répression en URSS. L’auteur de l’Opium des intellectuels le formulera ainsi : « Quand on est un intellectuel, on devrait pouvoir comprendre que deux et deux font quatre et que le goulag, ça n’est pas la démocratie ». Source de désaccord avec Jean-Paul Sartre, cet engagement dans le désengagement le place indéniablement dans une position qui, pour Jean-Claude Casanova, directeur de la revue Commentaire confondée avec Raymond Aron, « le distingue fondamentalement des intellectuels comme catégorie générale », tant « il pouvait comprendre les problèmes d’échange et les problèmes stratégiques, il pouvait comprendre la politique étrangère plutôt que dénoncer des positions morales ou vertueuses, et ces positions morales ou vertueuses venaient après l’analyse et la compréhension de la réalité. »

Aron, un intellectuel à part #UMED
00:51

 

Pour Aron, une analyse doit se faire sans jugement a priori, et c’est la raison pour laquelle il ne soutiendra pas non plus le mouvement étudiant de mai 1968 : il s’alarmait sur les dangers des prises de position passionnées qui découlent des mouvements de foule. Position que partage et précise Jean Birnbaum, responsable du Monde des livres et essayiste, en relatant que l’homme « a vu mourir deux Républiques, il a vu ce que c’était que les mouvements de foule qui n’avaient aucun rapport avec la nuance, et qui étaient dans un prophétisme de masse sanglant, il avait donc une réticence absolue à l’égard de cela, et notamment à l’égard d’un aspect qu’on trouve en 68 : le fait de ne faire aucune distinction entre les régimes. ». Dans les années 1930, Raymond Aron a vu la montée du nazisme en Allemagne et la montée des totalitarismes en Europe, il a su distinguer les différents régimes, totalitaires ou démocratiques, et en faire leur analyse sans pour autant prendre position. Il le dira d’ailleurs, il n’y a pas de « système aronien », car système peut impliquer au bout du compte idéologie, et l’idéologie est dangereuse.

Jean Birnbaum : pour Aron, il fallait faire la distinction entre les régimes #UMED
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La liberté politique, un enjeu qui traverse les siècles

Aron a écrit dans le Figaro en 1956 « L’histoire va dans le sens de la liberté », à propos de la révolution hongroise, la première « révolution antitotalitaire ». Il s’impose donc comme défenseur inconditionnel de la liberté politique. Nicolas Baverez, biographe de Raymond Aron, relève que même si la crise de la démocratie aujourd’hui est différente de celle du siècle d’Aron, l'enjeu de la liberté politique pourrait être transposé dans notre siècle : « Ce qui est frappant c’est que la liberté politique va être de nouveau le grand enjeu du XXIe siècle mais qui va se poser différemment : Au XIXe c’était la montée du suffrage universel et la société industrielle, au XXe, la période d’Aron, a été celle des nations contre les empires, les démocraties contre le totalitarisme, et l’enjeu du XXIe siècle va être celui de la démocratie contre les démocratures, et la démocratie libérale contre la démocratie illibérale. Donc en fait, la problématique centrale d’Aron reste au cœur de ce que nous vivons, même si la configuration a complètement changé. ». Un débat toujours potentiellement aronien, donc.

Pour Nicolas Baverez "la problématique centrale d’Aron reste au cœur de ce que nous vivons, même si la configuration a complètement changé."
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Jean Birnbaum : « Je pense qu’Aron aurait été très bon sur Twitter »

Si on peut identifier des liens entre certains débats de notre époque et ceux de l'époque d’Aron, il en reste que la révolution numérique a favorisé de nouveaux canaux de transmission et de nouveaux médiums de communication. Instantanéité, spontanéité, synthétisation en 280 caractères obligatoire sur Twitter… Comment se positionnerait Raymond Aron à l’ère du numérique et des réseaux sociaux ? Pour Nicolas Baverez, cette révolution numérique globale a « un impact direct sur la montée des passions collectives et sur la manière dont elles débordent aujourd’hui les démocraties. ». Pour les invités, de par son « sens de la formule », et le « rapport direct » qu’il a toujours eu avec les étudiants, Raymond Aron aurait été « très bon sur Twitter ». Entre démocrate et libéral, pour Cynthia Salloum, politiste aronienne, il se rend compte très vite que « la démocratie n’a pas suffisamment de garde-fous pour les prévenir de manière stable en tant que régime ». Mais elle concédera également que l’homme était lui aussi un passionné, capable parfois de réagir à chaud. Ces nouveaux facteurs auraient-ils donc pu constituer une limite au recul d’Aron, lui qui, lors d’une interview pour la RTS en juin 1968, admet sa position peu objective à l’issue des évènements de mai ?

 

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