Prostitution : « J’étais tellement dégoûtée de moi que je voulais me suicider »

Prostitution : « J’étais tellement dégoûtée de moi que je voulais me suicider »

La délégation aux droits des femmes a reçu jeudi 27 mai par visioconférence Arlette et Jean Arcelin, coauteurs de l’Ange de Pigalle, une biographie retraçant la vie de Linda, le surnom de prostituée d’Arlette, pendant plus de 50 ans. Un témoignage, marqué par des menaces, des violences et de l’émotion, avec lequel Linda veut prévenir la jeunesse.
Public Sénat

Par Alexis Vallée

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« Derrière cette lecture, il y a beaucoup de violence. Je vous trouve très courageuse. Malgré la souffrance que vous avez pu connaître au quotidien, votre générosité ne vous a jamais quitté », débute la présidente de la délégation aux droits des femmes, Annick Billon, en parlant du livre. A 78 ans, Arlette - de son nom de métier Linda – publie sa biographie, avec l’aide de l’écrivain Jean Arcelin, dans laquelle elle retrace son quotidien en tant que prostituée. « On s’est beaucoup censurés dans le livre, avoue le coauteur. J’étais très surpris de l’étendue du monde fantasmatique et le rôle que les femmes peuvent jouer avec leur client. »

 

50 ans de violences

 

Tout commence lorsque Jean Arcelin est le témoin d’une arrestation à Nice, il y a trois ans. « J’ai été choqué lorsque la police interpellait violemment une prostituée noire dans la rue. C’est là que j’ai voulu parler de leur histoire, mais personne ne voulait répondre. Jusqu’au jour où j’ai rencontré Arlette », se rappelle le coauteur. A ce moment, Linda travaillait toujours comme prostituée. Elle recevait près de cent clients par jour. Ni ses enfants, ni ses petits-enfants n’étaient au courant de sa situation. L’idée de raconter sa vie lui trottait déjà dans la tête, sans avoir l’ambition de le publier, pour que sa fille puisse comprendre ce qu’elle a vécu.

"L'objectif d'Arlette, c était d'offrir un témoignage de ce qu'est la prostitution"
01:28

« Je suis tombé sur un garçon qui me massacrait et qui m’a obligé à me prostituer. J’étais tellement dégoûtée que je voulais me suicider. J’avais honte de vendre mon corps pour de l’argent », relate Linda, les larmes aux yeux. (Voir la vidéo ci-dessus)

Au fur et à mesure qu’elle témoignait de sa vie, Arlette a décidé d’arrêter de se prostituer. Les cauchemars continuent de la hanter, les menaces persistent, mais l’ancienne péripatéticienne ne veut pas abandonner : « J’aurai dû mourir plusieurs fois avec les coups que j’ai pris. On m’a même tiré dessus. Pendant l’écriture du livre, un homme m’a agressé dans mon studio et m’a collé un pistolet sur la tempe », détaille-t-elle en mimant le geste. A présent retraitée, elle ne perçoit que 270 € d’aides et survit principalement grâce à ses économies. « C’est pour ça que certaines femmes se prostituent jusqu’à la mort, car il n’y a pas d’argent pour s’en sortir », témoigne celle qui se faisait appeler Linda.

 

Prévenir les jeunes

 

A travers cette biographie, la retraitée souhaite faire de la prévention auprès des jeunes. « La prostitution est un engrenage. On ne peut plus en sortir. La jeunesse ne voit pas la prostitution de la même manière. Si elle savait ce que j’avais vécu, elles n’iraient pas », avertit Linda. Aujourd’hui, l’âge moyen d’entrée dans la prostitution est de 14 ans, une progression importante au cours des dernières années. « Quand j’ai rencontré Arlette, elle préférait garder son anonymat. Elle voulait offrir un témoignage, un destin de vie sur la prostitution, mais aussi sur toutes les femmes qui vivent dans la violence et la contrainte », assure Jean Arcelin.

 

Le coauteur s’interroge sur l’accès libre à la pornographie ou la vulgarité présente au sein des émissions de téléréalité qui, selon lui, possèdent tous les codes de la prostitution. « Les jeunes n’ont pas conscience que se prostituer. Même une fois, c’est vendre quelque chose de sacré, d’invendable. Après on porte une honte qui est ineffaçable » A partir du témoignage d’Arlette, Jean Arcelin a remarqué que trois éléments peuvent amener une vie à basculer dans la prostitution : un abus sexuel, une fragilité sociale - comme la misère - et une mauvaise rencontre. « Arlette est née en 1943 comme ma mère et j’avais l’impression que beaucoup d’autres femmes auraient pu basculer à sa place dans la prostitution », s’inquiète-t-il.

 

Une loi déjà existante mais inefficace

 

Lorsque Linda a décidé d’arrêter de se prostituer, elle n’a reçu aucun soutien associatif, sécuritaire ou judiciaire. Un témoignage auquel la présidente de la délégation aux droits des femmes, Annick Billon, ne peut rester insensible. Et pour cause, une loi pour lutter contre le système prostitutionnel et pour accompagner les personnes prostituées a été votée en 2016. « La loi était très difficile. Ça a été très long et ça a épuisé plusieurs ministres. La loi n’est pas appliquée, car il n’y a pas de volonté politique, ce régime abolitionniste n’était pas souhaité. Une partie encore de la population estime que la prostitution peut être heureuse or, il n’y a pas de prostitution heureuse », évoque la sénatrice de la Vendée.

 

Actuellement, la France compte 40 000 femmes qui se prostituent illégalement. La loi vise pourtant à dissuader les proxénètes - grâce à un dispositif de signalement des contenus illicites sur Internet – et les clients des prostituées en créant une infraction d’une amende de 1 500 euros. Un dispositif d’aide aux personnes qui souhaitent quitter la prostitution avait aussi été voté. Néanmoins, la loi n’est pas effective sur tout le territoire selon Annick Billon : « Un quart des départements qui aurait dû installer des commissions en préfectures ne l’ont pas fait. Ces commissions qui normalement ont en charge la sortie de la prostitution et l’accompagnement de ces prostitués la présidente de la délégation.

 

Un constat partagé par Jean Arcelin et Arlette. Cette dernière conserve des traces physiques et psychologiques de ces cinquante années de prostitution. Mais elle peut toujours compter sur l’aide de ses proches : « Ma fille a toujours beaucoup lu. Elle est tombée sur mon livre et, même si elle ne savait rien, elle a tout de suite compris que c’était mon histoire. Elle m’a écrit une lettre extraordinaire qui m’a beaucoup aidé et depuis, elle m’appelle tous les jours », assure avec soulagement Arlette.

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