Protection du climat dans la Constitution : un accord du Sénat loin d’être garanti
Auditionné par les sénateurs sur le projet de révision de l’article 1 de la Constitution, le ministre de la Justice prévient qu’il « ne souhaite pas qu’on bouge le texte » sur l’utilisation du verbe « garantir », point de discorde entre le Sénat et l’exécutif. Or sans accord avec la Haute assemblée, la réforme tombe à l’eau.
Seconde mi-temps. Après l’adoption par les députés du projet de loi de révision constitutionnelle visant à inscrire la préservation de l’environnement à l’article 1 de la Constitution, c’est bientôt aux sénateurs d’examiner le texte. Une étape essentielle, puisqu’en matière de révision constitutionnelle, le Sénat a le même poids que l’Assemblée nationale. Sans un accord avec la Haute assemblée, à majorité de droite et du centre, la réforme issue des travaux de la Convention citoyenne pour le climat tombe à l’eau. En cas d’adoption dans les mêmes termes par les deux chambres, ce qui s’annonce d’ores et déjà compliqué, Emmanuel Macron a promis de soumettre la ratification du texte par référendum.
C’est en vue de l’examen, prévu en séance les 10 et 11 mai prochains, que les sénateurs ont auditionné ce mercredi, en fin de journée, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti. L’occasion d’échanges juridiques et à fleuret moucheté autour du verbe « garantir » et des implications de la réforme. La révision ne tient qu’à l’ajout d’une seule phrase : « La France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Dans la presse, le président LR du Sénat, Gérard Larcher, a déjà prévenu que « le mot « garantit » pose problème ». Il pourrait privilégier plutôt le verbe « agir ».
« Valeur symbolique très forte »
Pour Eric Dupond-Moretti, « l’enjeu » climatique impose « d’aller plus loin ». « On a prêté un certain nombre d’arrière-pensées. Mais je crois que l’environnement est désormais une préoccupation à laquelle on ne peut se soustraire » soutient le garde des Sceaux, qui insiste en reprenant les mots de Jacques Chirac :
Nous souhaitons aller plus loin car la maison brûle encore et l’incendie a consumé une partie de la maison.
« Pourquoi ne pas se contenter du droit actuel ? L’inscription à l’article 1er présente une valeur symbolique très forte. Elle a été voulue par les membres de la Convention citoyenne. Il s’agit ensuite de renforcer le poids constitutionnel de la protection de l’environnement » résume le ministre, qui veut en faire « un véritable principe d’action des pouvoirs publics » (voir la vidéo ci-dessous). « La garantie posée par le projet de loi pèse d’abord sur l’Etat et ensuite, si une collectivité territoriale viole les obligations, elle pourrait engager sa responsabilité » précise Eric Dupond-Moretti.
Les sénateurs « inquiets pour les entreprises »
Les sénateurs voient trop de dangers à modifier la loi fondamentale en ces termes. La réforme « recèle des risques de contentieux » note Jean-François Longeot, président centriste de la commission du développement durable. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis de cette commission, soulève la crainte de nombreux sénateurs de droite : « Avec l’avis du Conseil d’Etat sur le texte, qui fait état d’une quasi-obligation de résultat, n’est-ce pas susceptible d’entraver la liberté d’action pour nos entreprises sur le territoire national ? Et cela n’implique-t-il pas une hiérarchie implicite des principes à valeur constitutionnelle ? » Brigitte Lherbier se dit carrément « inquiète pour les entreprises ».
Dany Wattebled (groupe Les Indépendants) craint aussi des risques sur « d’autres droits comme le droit au logement ou à la propriété » ou sur les choix en matière d’urbanisme. « Il est possible qu’on gêne les collectivités » ou l’Etat, ajoute la sénatrice UDI Françoise Gatel, qui prend un exemple :
Si l’Etat veut faire une ligne ferroviaire pour désenclaver une région, y aura-t-il garantie du principe que vous voulez inscrire ?
« Quel sens vous donnez à la quasi-obligation de résultat ? » demande le président LR de la commission des lois, François-Noël Buffet, car « si c’est une obligation absolue, le législateur peut être sanctionné par le Conseil constitutionnel » qui se retrouverait « décisionnaire de tout, et deviendrait le juge du travail législatif, au-delà de la protection de la Constitution elle-même ». Même le sénateur LREM, Alain Richard, met en garde : « S’il y a un changement, c’est bien pour modifier cet équilibre et faire prévaloir l’exigence de garantie. […] Je crains que ce soit le nœud du problème ».
« Est-ce à prendre ou à laisser ? » demande Philippe Bas
L’ancien président de la commission des lois, le sénateur LR Philippe Bas, prend à son tour la parole de son ton précis pour soulever ce qui lui semble être une difficulté juridique. Il rappelle l’existence de la Charte de l’environnement, adoptée en 2005 quand le sénateur était secrétaire général de l’Elysée de Jacques Chirac. Elle a valeur constitutionnelle et joue, soulignent les sénateurs, déjà un rôle prépondérant. Philippe Bas se demande surtout si l’article 6 de la Charte, qui affirme que les politiques publiques « concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social », pourra « coexister » avec la nouvelle version de l’article 1.
L’ancien président de la commission d’enquête sur l’affaire Benalla enchaîne avec une question plus politique et met les pieds dans le plat : « Le Sénat a le choix entre trois solutions : il adopte le texte comme l’Assemble nationale, sans amendement. Là, le Président a déjà annoncé la couleur, c’est le référendum. Mais le Sénat pourra aussi rejeter le texte. Est-ce que je peux considérer qu’à ce moment-là, la révision constitutionnelle s’arrête là ? Ou troisièmement – et c’est une voie tout à fait envisageable, qui correspond assez à l’esprit constructif des sénateurs – amender votre texte ». Il ajoute : « Est-ce à prendre ou à laisser ? Si nous amendons votre texte, le texte du Sénat sera-t-il inscrit à l’Assemblée pour poursuivre le processus de révision constitutionnelle ? Selon notre réponse, nous saurons à quoi nous en tenir sur l’utilité de notre travail… »
Eric Dupond-Moretti : « Je ne souhaite pas qu’on bouge le texte »
Sur ce point très politique, mais qui compte autant finalement que les questions juridiques, en matière de révision constitutionnelle, Eric Dupond-Moretti douche les espoirs des sénateurs, s’ils en avaient vraiment. « Bien sûr, que je ne souhaite pas qu’on bouge le texte » prévient le ministre de la Justice (voir à la fin de la première vidéo), « la Convention citoyenne, le Président, le Conseil d’Etat nous renforcent dans l’idée qu’il faut aller plus loin et présenter une quasi-obligation. Si vous amendez le texte, ce n’est pas moi le législateur, c’est vous. Mais moi, je souhaite « garantit » »… Philipe Bas l’interrompt : « Donc si nous amendons, vous arrêtez tout ! » Eric Dupond-Moretti ne tombe pas dans le piège et ne franchit pas ligne rouge : « Ce n’est pas ce que j’ai dit, Monsieur le sénateur Bas. J’ai dit que vous êtes le législateur. Je dis par ailleurs que je ne suis pas le président de la République… » Autrement dit, c’est une décision qui ne lui appartient pas. Et de conclure :
Comme disent les procureurs, à chaque jour suffit sa peine.
Et « si un sénateur, même moi par exemple, présentait un amendement pour dire « garantit au mieux », seriez-vous d’accord ? » tente Philippe Bas, pensant avoir décelé un peu plus tôt une ouverture du ministre. Le sénateur de la Manche est vite renvoyé dans ses vingt-deux. « Pas « au mieux ». La loi ne peut pas être bavarde. […] Garantir, c’est garantir » tranche Eric Dupond-Moretti. Bref, pour trouver un accord, ce n’est pas gagné. Pour rappel, la navette parlementaire n’a pas de limite de temps pour une révision constitutionnelle. Mais le chef de l’Etat peut décider de mettre fin aux travaux, constatant un désaccord…
« Il n’y a pas de concurrence, ni de contradiction entre le projet de révision et la Charte de l’environnement »
Quant aux questions de fond, Eric Dupond-Moretti répond qu’« il n’y a pas de concurrence, ni de contradiction entre le projet de révision et la Charte de l’environnement, mais une complémentarité ». Il estime la portée de la Charte « insuffisante ». Il assure par ailleurs que le texte ne crée « pas de hiérarchie entre les autres règles de valeur constitutionnelle », « ça ne vient pas écraser tous les autres principes ». Autrement dit, ajoute le ministre, comme s’il voulait rassurer certains sénateurs (ou entreprises) inquiets :
Ce n’est pas la fin de l’entreprise qui pollue, on pourra continuer à rouler en voiture.
Devant ces échanges, le sénateur du groupe écologiste, Ronan Dantec, appelle à soutenir le texte du gouvernement. « Au début, le fait que les constitutionnalistes disent que tout ça ne sert à rien m’avait interrogé. Mais à la vue des réactions contraires, je me dis qu’il est urgent d’inscrire cette phrase dans la Constitution. Il y a encore une partie de la représentation politique, et derrière de la société, qui ne veut pas mettre la société en situation de reconquête sur les grands enjeux environnementaux » soutient Ronan Dantec.
« Rappeler ce que nous avons fait pour lutter contre l’environnement » : le lapsus d’Eric Dupond-Moretti
Le sénateur LR de Vendée, Didier Mandelli, note lui un « décalage entre cette volonté de modifier la Constitution, sans pour autant afficher cette même volonté dans le projet de loi climat », l’autre texte sur l’environnement, où beaucoup estiment que le compte n’y est pas… En réponse, Eric Dupond-Moretti se prend un peu les pieds dans l’épaisse moquette du Sénat avec un joli lapsus. « Le moment n’est pas encore venu ici – mais je pense que dans le débat parlementaire, il y aura bien un moment où il faudra que je le fasse – de rappeler ce que nous avons fait pour lutter contre l’environnement » rétorque le ministre… Il fallait bien sûr comprendre « pour ». Regardez :
Si le climat entre sénateurs et gouvernement n’est, pour le moment, pas polaire sur ce texte, il est encore loin de se réchauffer. D’autant que beaucoup voient dans ce projet de loi un moyen de renvoyer la responsabilité d’un éventuel désaccord sur les sénateurs, qui seraient allergiques à de vraies mesures pour l’écologie, Emmanuel Macron pouvant se draper dans une vertu repeinte en vert. Les sénateurs tenteront évidemment d’éviter ce piège tendu par la macronie. « Le débat est ouvert. On le sent intense » conclut François-Noël Buffet. On serait tenté d’ajouter voué à l’échec.
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