Rapatriement des familles de djihadistes : « Le temps des États et de la justice est une violence supplémentaire », juge un avocat spécialiste des droits de l’Homme

Rapatriement des familles de djihadistes : « Le temps des États et de la justice est une violence supplémentaire », juge un avocat spécialiste des droits de l’Homme

Ce mercredi 14 septembre, la Cour européenne des droits de l’Homme a contraint l’Etat Français à réexaminer les demandes de rapatriement des familles de djihadistes français détenus au nord-est de la Syrie. En l’espèce, les requérants plaidaient que ce refus exposait leurs proches à des traitements inhumains et dégradants.
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Par Lucille Gadler

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C’est une décision attendue qu’à rendu la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) le mercredi 14 septembre 2022. Deux familles françaises demandaient depuis plusieurs années le rapatriement de leurs enfants et petits-enfants retenus dans les camps du nord-est de la Syrie. Ils soutenaient notamment devant la Cour européenne des droits de l’homme que ce refus exposait leurs proches à « des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme ». « La France a violé les droits des enfants français détenus en Syrie en omettant de les rapatrier », rapportait déjà Le Comité des droits de l’enfant (CRC) en février 2022 concernant les refus de rapatriement d’enfants de Syrie. En juillet dernier, la France avait effectué son premier rapatriement de masse faisant revenir 35 mineurs et 16 mères sur le territoire.

C’est dans ce contexte que la CEDH a conclu ce mercredi 14 septembre à la violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. La Cour a ainsi estimé « qu’il incombe au gouvernement français de reprendre l’examen des demandes des requérants dans les plus brefs délais en l’entourant de garanties appropriées contre l’arbitraire ». Pour la Cour européenne, « Le rejet d’une demande de retour [sur le territoire français] doit pouvoir faire l’objet d’un examen individuel ». Elle justifie cette position notamment au regard des circonstances exceptionnelles qui « mettent en péril l’intégrité physique et la vie des nationaux retenus dans les camps, en particulier celles des enfants ». Ces circonstances particulières sont, d’après l’arrêt de la Cour, « de nature à déclencher l’obligation d’entourer le processus décisionnel de garanties appropriées contre l’arbitraire ».

« Pourquoi faut-il en passer par Strasbourg pour dire ce qui nous apparaît comme une évidence ? »

« Je suis satisfait de cette décision en ce qu’elle consacre le droit fondamental et premier de l’enfant et cela dans des termes nets et non équivoques, notamment en termes d’égalité de traitement entre les enfants », explique maître François Zimeray, avocat spécialiste des droits de l’Homme. Celui qui avait notamment été coauteur d’une tribune alertant sur le sort des enfants détenus en Syrie, tempère néanmoins : « Je suis triste qu’il faille en arriver là pour que la France se voie rappeler son obligation internationale. C’est navrant. Le temps et la vie d’un enfant sont décuplés par rapport au temps judiciaire. De ce point de vue là, le temps des États et de la justice est une violence supplémentaire » conclut l’ancien ambassadeur de France pour les droits de l’homme.

« Cette décision n’est pas à la hauteur »

Pour Maître Vincent Brengarth, avocat au barreau de Paris et associé au sein du Cabinet BOURDON & Associés « cette décision n’est pas à la hauteur ». C’est une décision a minima qui a été rendue par la Cour poursuit l’avocat. « La condamnation s’imposait car la situation est insoutenable pour les familles : nous avons une violation des droits fondamentaux, sans juridiction qui se prononce sur cette violation ». Mais pour Maître Brengarth la difficulté centrale de l’affaire est contournée. Selon lui, il y a dans cette décision une volonté de conciliation entre d’une part, « quelque chose de criant, les droits fondamentaux notamment des enfants » et la chose politique. Pour l’avocat, cette décision témoigne d’une forme de régression du contrôle de la CEDH ayant pour objectif de « se libérer de critique à l’encontre de son existence ».

« J’espère vivement que le gouvernement français tirera toutes les conséquences de cette décision »

Du son côté, Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR, déplore sur Twitter une « souveraineté juridique de la France est confisquée par la CEDH ».

Pour Valérie Boyer, sénatrice LR des Bouches-du-Rhône (Provence-Alpes-Côte d’Azur) « On se sert des enfants comme boucliers pour les mamans ». La sénatrice se dit choquée de la décision de la CEDH. « Où et quel est le sens de la justice dans cette condamnation de la France ? » questionne la sénatrice. « C’est une claque pour la France et son état de droit qui se retrouvent condamnés par des procédures arbitraires, à verser de l’argent » conclût-elle.

A l’inverse, pour le sénateur PS du Loiret (Centre-Val de Loire) Jean-Pierre Sueur pas de doutes : il faut que le gouvernement tire les conséquences de cette condamnation.  « Des enfants français sont actuellement en détention en Syrie dans conditions contraires aux droits de l’enfant et à La Convention internationale des droits de l’enfant. Ils sont aussi avec leurs mères, desquelles il ne faut pas les séparer. Je pense qu’il serait juste de les rapatrier en France afin de préserver leur éducation et leurs droits élémentaires ». « J’espère vivement que le gouvernement français tirera toutes les conséquences de cette décision » conclût-il.

« On n’a pas attendu la décision de la CEDH pour avancer »

« On n’a pas attendu la décision de la CEDH pour avancer » a réagi Olivier Véran. « Nous avons déjà fait évoluer les règles d’examen et de rapatriement des ressortissants français qui sont encore dans le nord-est de la Syrie. Chaque dossier, chaque situation humaine au fond fait l’objet d’un examen attentif minutieux » a poursuivi le porte-parole du gouvernement. La secrétaire d’État chargée de l’Enfance, Charlotte Caubel, a quant à elle assuré que la France allait « prendre en compte ces prescriptions, pour mieux écouter les demandes de familles en France ». Elle soutient qu’il faut « accueillir au plus vite » les enfants toujours sur le territoire syrien.

De son côté, la Défenseure des droits a déclaré par voie de communiqué de presse qu’elle « sera vigilante sur l’exécution de la décision de la Cour dans les prochaines semaines et veillera à ce que l’intérêt supérieur de ces enfants soit prioritairement pris en compte dans la conduite de l’action publique ». Pour rappel, 250 enfants et une centaine de femmes sont encore emprisonnés en Syrie.

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