Réforme des retraites : comment le gouvernement peut-il «récupérer le coup» avec la CFDT ?

Réforme des retraites : comment le gouvernement peut-il «récupérer le coup» avec la CFDT ?

Après avoir agité le chiffon rouge de l’âge pivot, l’exécutif assure que le sujet est « négociable ». Pour obtenir le soutien de la CFDT, « le premier ministre n’a pas d’autre choix que de céder sur l’âge pivot » selon le sénateur Modem Jean-Marie Vanlerenberghe. Laisser les partenaires sociaux réellement trouver l’équilibre financier, sans parler d’âge pivot, pourrait être une porte de sortie.
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Le train de la réforme des retraites arrivera-t-il à destination ? Et la CFDT peut-elle encore monter à bord ? C’est tout l’enjeu pour l’exécutif, alors que le Haut-commissaire Jean-Paul Delevoye vient de démissionner, empêtré dans les révélations. Le premier ministre doit visiblement aimer les défis périlleux. Car en mettant sur la table l’âge pivot à 64 ans, afin d’atteindre l’équilibre financier du système, lors de la présentation des détails de la réforme la semaine dernière, il s’est mis Laurent Berger à dos. Pour le leader de la CFDT, la ligne rouge d’une réforme paramétrique a été franchie.

Le gouvernement calme le jeu

Depuis, le gouvernement tente de calmer le jeu. « On est plusieurs à dire Laurent Berger, "coucou, on est là". On essaie de récupérer le coup. On lui parle en permanence, on s’envoie des SMS » confie un responsable de la majorité. Dès l’après-midi du 11 décembre, après son discours devant le CESE, Edouard Philippe assure au Sénat que sa « main est tendue ». Les deux hommes doivent se voir mercredi. Jeudi, Emmanuel Macron qualifie les annonces de son premier ministre de « propositions ». Samedi, la secrétaire d'Etat Agnès Pannier-Runacher assure que le sujet de l’âge pivot est « négociable ». Dimanche, c’est le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, qui assure que « l'âge pivot n'est pas le totem de la réforme ».

Laurent Berger reste ferme de son côté. « C'est très simple : pour que la CFDT porte un autre regard sur ce projet de loi, le gouvernement doit accepter de retirer l'âge d'équilibre. Un point, c'est tout », a-t-il lancé dans le JDD. « La question de l'équilibre budgétaire des retraites ne nous désintéresse pas », a-t-il cependant ajouté lundi matin sur France Info, mais « dans le cadre de la future gouvernance » et non « imposé » par le gouvernement.

Négocier les modalités pour atteindre l’âge pivot ?

Alors Edouard Philippe devra-t-il sacrifier l’âge pivot pour sauver sa réforme ? « Le premier ministre n’a pas d’autre choix que de céder sur l’âge pivot. C’est ma conviction profonde » estime Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur (Modem) de la commission des affaires sociales du Sénat, qui plaide uniquement pour la retraite par points. « On a fait entrer la réforme paramétrique par la petite porte. En plus, c’est provocateur. En réalité, l’âge pivot est une façon déguisée de toucher à l’âge de départ » peste le sénateur du Pas-de-Calais, membre par le passé de la CFDT.

Mais pour l’exécutif, lâcher totalement semble difficile, tant il fait de l’équilibre financier un point incontournable. Ce qui ne veut pas dire que rien ne bouge. « Je pense effectivement que la porte est ouverte. Il y a des sujets encore en discussion : pénibilité, carrières longues, rémunérations. Je pense qu’il faut un âge pivot pour que le système soit financé, mais les modalités pour l’atteindre peuvent être négociées. On pourrait par exemple étaler et ajouter deux mois, au lieu de quatre, par année » pense François Patriat, président du groupe LREM du Sénat. Il s’agirait de rendre encore plus progressive la période pour atteindre les 64 ans. Le gouvernement prévoit pour le moment que « la loi fixera à compter du 1er janvier 2022 un âge d’équilibre à 62 ans et 4 mois, qui augmentera ensuite de 4 mois par an pour rejoindre progressivement l’âge d’équilibre du futur système, soit 64 ans en 2027 », selon le dossier de presse.

Jean-Marie Vanlerenberghe imagine une autre solution, inspiré de l'Agirc-Arrco, la retraite complémentaire des cadres, qui fonctionne déjà par points. « Quand ils ont connu quelques soucis, ils ont pris des mesures sur 3 ans. Ça concernait l’âge, avec une décote avant 63 ans, et une augmentation du taux de cotisation du point d’entrée. Ils ont joué sur tous les paramètres pour une durée limitée pour trouver l’équilibre » rappelle le rapporteur du budget de la Sécu. Mais jusqu’ici, le gouvernement a écarté la hausse des cotisations.

Eviter d’annoncer l’âge pivot avant la présidentielle

Si le gouvernement s’est retrouvé à braquer la CFDT, c’est aussi pour des considérations très politiques et ne pas devoir annoncer un âge pivot plus tard, à l’approche de la présidentielle. Mardi soir dernier, à la veille des annonces d’Edouard Philippe, un dîner en petit comité se tient à l’Elysée pour les derniers arbitrages. François Bayrou, Richard Ferrand, Christophe Castaner et Gilles Le Gendre plaident « pour une solution plus souple afin de laisser aux partenaires sociaux faire d’abord des propositions sur l’équilibre » raconte l’un des convives. Peut-être un poil « faux cul », mais plus ouvert. Quand tout ce petit monde se quitte sur le coup de minuit trente, c’est le dispositif qui semble arrêté.

Le lendemain, derniers ajustements en marge du Conseil des ministres. Finalement, dans son discours, Edouard Philippe présente les choses légèrement différemment. L’âge d’équilibre de 64 ans doit être atteint en 2027, et non en 2025, certes. Mais « avant le 1er janvier 2022, les responsables de la nouvelle gouvernance auront à définir le bon système de bonus-malus pour aller vers ces 64 ans. Dans l’hypothèse où les responsables de la nouvelle gouvernance ne présenteraient pas une trajectoire d’équilibre, ou les moyens de la garantir, la loi cadre aura prévu ces mécanismes » dit le premier ministre.

« C’est une nuance, mais la dimension politique est très différente » commente un responsable de la majorité. Les partenaires sociaux sont certes invités à faire des propositions, mais le gouvernement les prévient d’emblée : s’ils ne s’accordent pas et ne proposent rien, le gouvernement prévoit un âge pivot et l’inscrira dans la loi qui sera présentée en Conseil des ministres dès janvier 2020… On voudrait encadrer la discussion et en écrire à l’avance les conclusions, on ne s’y prendrait pas autrement.

Mais selon l’un des protagonistes du dîner élyséen, avancer toute de suite sur l’âge pivot avait un but et un avantage :

« Si on n’évoquait pas la question de l’arme de l’âge d’équilibre, on l’aurait affichée à la rentrée 2021, soit sept mois avant la présidentielle… On est masochiste, mais pas à ce point-là »

« On préfère en parler aujourd’hui, plutôt que faire le malin, passer la poussière sous le tapis et passer l’aspirateur » ajoute le même responsable, qui résume : « Là, on prend cher, mais on n’a plus de mauvaises nouvelles à annoncer ».

Encore faut-il maintenant sortir de l’ornière. Pour Jean-Marie Vanlerenberghe, il faut redonner les clefs aux partenaires sociaux et le faire vraiment. « Quand on fait confiance aux syndicats, on va jusqu’au bout. On dit vous devez trouver l’équilibre, on l’inscrit dans la loi, mais on leur fait confiance ». L’idée serait de ne plus parler d’âge pivot, épouvantail pour la CFDT, pour conserver le principe plus large d’équilibre financier, question qui ne « désintéresse pas » Laurent Berger, comme on l’a vu plus haut. L’objectif a l’avantage de pouvoir être atteint de différentes manières.

« Laurent Berger est dans une manœuvre tactique »

Un rapprochement ne pourra encore se réaliser que si chacun est prêt à faire un pas. Laurent Berger est-il vraiment prêt à le faire ? Et sa base le suivra-t-il ? « Je pense qu’il est dans une manœuvre tactique. Je ne suis pas sûr qu’il veuille nous rendre gorge » se rassure un responsable de la majorité.

Mais la tactique peut être des deux côtés. Certains spéculent sur le fait que l’âge pivot aurait été mis sur la table par l’exécutif pour mieux, le moment voulu (et le bon), le retirer. Une cartouche de taille dans la négociation qui viserait à emporter la partie. Mais dans ce qui s’apparenterait à un jeu de poker menteur, il ne faut pas dévoiler son jeu trop vite. « Quand on commence une négociation, il ne faut pas dire quel est le point d’arrivée » glisse un député LREM. Reste que faire avancer le train de la réforme dans le brouillard n’est pas évident ni sans risque, pour personne. Pour l’heure, il est à l’arrêt.

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