Réforme des retraites : un enjeu de taille pour tous les acteurs politiques

Réforme des retraites : un enjeu de taille pour tous les acteurs politiques

Derrière la réforme des retraites se jouent des enjeux colossaux pour chacun des acteurs de la vie politique française : Macron cherche la réforme qui lui assure une postérité, Borne joue sa survie, Les Républicains luttent pour ne pas se faire absorber par la majorité tandis que la gauche et les syndicats tentent d’organiser une mobilisation sociale sans réellement s’associer. Panorama. 
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Par Clara Robert-Motta

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J-7 pour la présentation de la réforme la plus attendue (ou crainte) de la présidence Macron. Prévue lors de son premier mandat, la réforme des systèmes de retraite va enfin être présentée le 10 janvier par la Première ministre, Élisabeth Borne. Depuis la rentrée de septembre, la Première ministre et le ministre du Travail, Olivier Dussopt, organisent des cycles de concertation avec les acteurs politiques et sociaux clés pour faire avancer le dossier. Quelles sont aujourd’hui les positions des différents protagonistes et quels sont les enjeux ?

Reporter l’âge de départ à la retraite à 65 ans « n’est pas un totem », a déclaré ce mardi 3 janvier la Première ministre qui faisait sa rentrée politique au micro de France info. Alors que le président de la République avait pris tout le monde de court en reprenant à son compte cet âge lors de la campagne de réélection, ce rétropédalage n’est pas surprenant si l’on en croit Philippe Moreau-Chevrolet, fondateur de l’entreprise de communication politique MCBG Conseil. « C’est la méthode Macron classique : il fait une grosse annonce qui surprend tout le monde, comme ce genre de réforme brutale qui vient du sommet de l’Etat, et il négocie après. »

Borne doit « décrisper » la situation et lâcher du lest

Or, ici, c’est Élisabeth Borne qu’il a envoyée négocier. La Première ministre enchaîne les rendez-vous avec les acteurs politiques et sociaux et édulcore petit à petit le projet de réforme des retraites. « Élisabeth Borne est dans l’arène politique entre le président, les partis d’opposition et les syndicats, décrit Dominique Andolfatto, professeur en sciences politiques au Centre de recherche et d’étude en droit et science politique (Credespo) à l’université de Bourgogne. Elle tente de décrisper la situation en lâchant du lest sur plusieurs points, notamment sur les 65 ans qui symbolisent la réforme et cristallisent les oppositions. »

Sur France info, la Première ministre a, en effet, donné quelques garanties et précisé des modalités techniques : elle promet qu’ils n’iront « pas au-delà des 43 années de cotisations » et que l’âge légal pour une retraite à taux plein sans décote resterait à 67 ans. Cet apparent adoucissement de la réforme permet à Borne de se présenter comme une figure « raisonnable » et également « pédagogue », estime Dominique Andolfatto. « Élisabeth Borne se révèle dans ce dossier, elle qui n’était que peu connue des Français ou avait une image plutôt froide et technocratique. Là, elle apparaît comme une modératrice, une femme politique qui engage les discussions et cherche le consensus. »

A la poursuite des voix des Républicains

Pour tenter de canaliser un potentiel mouvement social, la Première ministre joue la montre. Depuis la fracassante annonce d’une réforme à venir en septembre, la présentation ne cesse d’être reculée. Prévue le 15 décembre, elle a été décalée au 10 janvier tandis que le passage devant le Conseil des ministres vient d’être fixé au 23 janvier. « Beaucoup de choses se sont télescopées à la fin de l’année : la crise spécifique à la SNCF, la potentielle mobilisation sociale, un regain possible de la crise sanitaire », liste Christophe Boutin, professeur de droit public à l’université Caen Normandie. Pour le politologue, ce délai devait aussi permettre à Borne de consolider des liens avec l’allié potentiel.

Un allié au singulier, car seul le parti des Républicains pourrait ne pas s’opposer à cette réforme. Si la majorité sénatoriale de droite vote depuis des années une réforme des retraites avec un âge légal de départ à 64 ans et que la candidate LR à l’élection présidentielle faisait campagne pour un report à 65 ans, la question divise toujours députés et sénateurs. Bruno Retailleau a d’ores et déjà appelé ses collègues à soutenir le projet du gouvernement mais la concertation entre la Première ministre et le président du parti, Éric Ciotti, n’a pas été décisive.

» Lire aussi : Retraites : malgré « 36 positions » différentes chez les LR, députés et sénateurs espèrent « converger »

« Si le gouvernement veut rallier la droite, il y aura un prix à payer », juge Michel Verpeaux, professeur de droit public à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. Même son de cloche pour le politologue, Christophe Boutin, qui estime que les LR doivent « justifier de leur différenciation avec la ligne gouvernementale » auprès de leur électorat. « La meilleure méthode pour le gouvernement pourrait être de laisser les Républicains proposer leurs amendements et de ne pas les reprendre à son compte. Ainsi cela ressemblerait plus à une coconstruction qu’à un ralliement. »

Cette hypothèse n’est pourtant pas partagée par tous. Pour Dominique Andolfatto du Credespo, la Première ministre risque de ne pas arriver à ses fins avec les Républicains. « S’ils veulent survivre et ne pas être des supplétifs de Renaissance, il serait logique qu’ils jouent la carte de l’opposition claire. »

La gauche et les syndicats opposés mais pas encore alliés

Quoi qu’il en soit, la droite reste, de l’avis des experts, la seule marge de manœuvre du gouvernement pour négocier. Pour le moment, aucun battement de cils n’est à déclarer du côté des syndicats ou des partis de gauche : c’est un non catégorique. Même les syndicats réformistes sont arc-boutés sur le report de l’âge légal de départ à la retraite. A la sortie de sa discussion avec la Première ministre, mardi 3 janvier, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, a assuré qu’en cas de report de l’âge légal de départ à 64 ou 65 ans, le syndicat « se mobilisera ». Il faut dire que depuis son accord sur la réforme Fillon en 2003, la CFDT fait l’objet d’un éternel procès en trahison.


L’opposition est nette mais pas encore très bien interconnectée, note le politologue Michel Verpeaux. « Les syndicats ne veulent pas être une courroie de transmission des partis politiques de gauche. Pour le moment, ils tentent de garder une certaine autonomie. »

Si le gouvernement se targue de discuter avec toutes les parties prenantes, Philippe Moreau-Chevrolet, professeur en communication politique à Sciences Po, note que la méthode utilisée est « très agressive » à l’égard des syndicats. « Les corps intermédiaires ne sont que peu pertinents pour le gouvernement. Le fait de ne pas négocier en amont c’est nier l’utilité des corps sociaux intermédiaires. »

Face à cette opposition, le gouvernement risque de devoir donner du mou et rétropédaler sur plusieurs mesures. Pour Dominique Andolfatto, Élisabeth Borne tente de remplir le cahier des charges du président en délivrant une « réforme a minima pour assurer un financement pérenne mais également éviter un mouvement social ». C’est également l’analyse du communicant politique, Philippe Moreau-Chevrolet. « On va peut-être voir la montagne accoucher d’une souris : c’est-à-dire que la réforme risque d’être décevante au vu de ce qui était prévu, et très technique. Aujourd’hui, Macron a besoin de s’assurer d’une réforme pour la postérité. »

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