Résidents en Ehpad : « L’enjeu c’est de protéger, sans priver de liberté », pour la sénatrice Monique Lubin

Résidents en Ehpad : « L’enjeu c’est de protéger, sans priver de liberté », pour la sénatrice Monique Lubin

La Défenseure des droits publie ce mardi 4 mai un rapport sur les droits des résidents en Ehpad, et le constat est alarmant : ils représentent 80 % des 900 réclamations déposées ces six dernières années. Et pendant la crise du covid leurs droits ont été « grandement entravés, et de façon bien plus importante que pour le reste de la population ». Un constat qui ne surprend pas la commission des affaires sociales du Sénat.
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Par Fanny Conquy

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Préserver les droits et les libertés des personnes en Ehpad, concilier les enjeux de santé publique et les besoins spécifiques des personnes âgées… Tels sont les grands axes du rapport remis ce mardi sur les « Droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad ». En six ans, la Défenseure des droits a reçu 900 réclamations, et 80 % d’entre elles concernaient des résidents en Ehpad. Depuis le début de la crise du covid, le rythme s’est intensifié.

L’autorité administrative pointe du doigt des dysfonctionnements et des manquements depuis le début de la pandémie : « Le droit à la vie privée et familiale a été grandement entravé au cours de la crise sanitaire, et de façon bien plus importante pour les personnes résidant en Ehpad que pour le reste de la population. ». Des atteintes aux droits fondamentaux et aux libertés, dont le rapport donne des exemples : « Le Défenseur des droits a été saisi de situations de tests de dépistage réalisés sans recueil de consentement de la personne concernée, et parfois malgré son refus explicite, en méconnaissance de ses droits, sous contrainte par contention. » ; ou encore : « Le Défenseur des droits a été saisi de situations où les proches n’ont pas eu la possibilité de voir le défunt, immédiatement mis en bière ».

Le rapport souligne aussi des interdictions trop strictes au vu de l’évolution de la pandémie, de la vaccination, et des connaissances sur les lieux de contamination : « Lors de la période de déconfinement, l’attention du Défenseur des droits a été appelée sur des situations de maintien des restrictions de circulation au sein des Ehpad, notamment pour les accès aux extérieurs (jardin, patio, etc.) ». Des sorties en extérieur ont également été parfois interdites pour des résidents vaccinés, alors qu’elles auraient pu être compatibles avec la sécurité des résidents et des personnels.

Mise en lumière de défaillances existantes

Pour Catherine Deroche, sénatrice LR et présidente de la commission des affaires sociales au Sénat « comme dans de nombreux secteurs, la crise a mis en lumière des dysfonctionnements existants. Pour les Ehpad, le Sénat avait fait ce diagnostic depuis longtemps. » Monique Lubin, sénatrice socialiste des Landes, également membre de la commission des affaires sociales, partage le constat présenté dans le rapport. « Il était impératif de protéger les résidents en Ehpad, au début de la crise la situation était dramatique… Il est difficile de protéger sans priver de libertés, mais cela a été très rude, pour les résidents et pour les familles ».

Des visites très limitées voire impossibles, des contacts interdits, des résidents cloîtrés dans leurs chambres, sans échanges… « Cela a créé une grande souffrance. Mais c’est lié à ce que l’on savait du manque de personnel et de leur travail à flux tendu. Ils n’étaient pas assez nombreux, c’était impossible pour le personnel de pallier l’absence des familles en accordant beaucoup de temps et d’attention aux résidents… Dans certains établissements, il y a eu aussi du personnel malade, et cela n’a fait qu’aggraver ce manque d’effectifs existant », selon Monique Lubin.

La loi Grand âge

Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociale, également rapporteure de la mission d’enquête sur la gestion du covid, estime que les éléments du rapport de la Défenseure des droits pourront être utiles pour la future loi sur le grand âge… « Mais pour le moment nous ne voyons rien venir sur ce texte. » Monique Lubin va dans le même sens : « Cette crise doit servir de leçon. Le covid nous a ouvert les yeux sur beaucoup de choses, dont la situation dans les Ehpad. On attend la loi Grand âge, qui ne vient pas, et pourtant elle est plus qu’urgente. »

La sénatrice des Landes souhaite une véritable remise en question, une vraie réflexion sur l’état de notre société : « Avec cette crise, on s’est rendu compte que la France était un des pays les plus puissants au monde, mais peut-être un colosse aux pieds d’argile. On pensait que les virus, c’était pour les autres. On n’était pas prêts. Et il faudra tirer des conséquences, notamment avec le cas des Ehpad. Il faut réfléchir à la dépendance et aux moyens qui y sont consacrés, à travers la loi que nous attendons sur le grand âge et l’autonomie ».

Catherine Deroche souligne que le Sénat avait déjà pointé du doigt la façon problématique dont les résidents en Ehpad sont parfois considérés : « On les voit comme des personnes non-adultes, non-responsables. Or, l’Ehpad c’est un lieu de vie, pas un lieu d’enfermement. On restreint leurs libertés sans demander leur consentement, sans discernement. On a restreint les droits de visite. Il a été parfois impossible d’assister aux derniers instants de proches, qui sont morts seuls…. Il y a eu un glissement, qui partait d’une bonne intention, qui visait à protéger la santé des résidents, mais qui a fini par un manque d’humanité et d’éthique ».

Recommandations

Pour assurer plus de liberté, et le respect des droits fondamentaux des résidents, la Défenseure des droits fait soixante-quatre recommandations. Notamment, « modifier l’article L. 311-4 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) relatif à la présence de la personne de confiance lors de la conclusion du contrat de séjour afin que la personne de confiance désignée soit systématiquement invitée à participer à l’entretien sauf si la personne accueillie s’y oppose. » Mais aussi, dans le contexte de crise plus particulièrement, « d’adopter un cadre juridique spécifique garantissant le respect par les Ehpad, du caractère nécessaire et proportionné des mesures prises dans le cadre d’une crise sanitaire et susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés des personnes accueillies. »

Autre recommandation : « inscrire dans une disposition du CASF le droit de visite quotidien du résident par ses proches s’il le souhaite ». Une suggestion portée également par le président du groupe LR au Sénat Bruno Retailleau. « Je souhaite garantir le principe d’un vrai droit de visite de tous les malades dans les établissements publics et privés de santé. Ce droit de visite doit être réaffirmé comme la règle, car nous avons été saisis de trop nombreux cas de familles qui n’ont pas pu rendre visite à leurs proches […] Il faut donc réaffirmer un droit de visite le plus régulier possible, tout comme pour l’accompagnement de la fin de vie qui n’est pas négociable. » déclarait le sénateur de Vendée en avril dernier.

Catherine Deroche précise : « Pour l’heure nous n’avons pas de calendrier sur cette proposition de loi. Peut-être aurons-nous des précisions demain en conférence des Présidents. Ou bien nous ferons en sorte que cela se traduise par des amendements dans un futur texte sur l’urgence sanitaire. Car il faut que ces dispositions sur les droits de visite entrent en œuvre le plus rapidement possible, c’est très important. »

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