Rétablir les frontières nationales, un slogan FN aux allures de « mythe »
C'est l'un des slogans phares du Front national: "rétablir les frontières" nationales, "supprimées" à cause de Schengen. Mais cette promesse, qu...

Rétablir les frontières nationales, un slogan FN aux allures de « mythe »

C'est l'un des slogans phares du Front national: "rétablir les frontières" nationales, "supprimées" à cause de Schengen. Mais cette promesse, qu...
Public Sénat

Par Guillaume DAUDIN

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C'est l'un des slogans phares du Front national: "rétablir les frontières" nationales, "supprimées" à cause de Schengen. Mais cette promesse, qu'endossent aussi d'autres dirigeants de l'extrême droite européenne réunis samedi à Coblence (Allemagne), s'apparente à un "mythe", de l'avis de spécialistes.

"La France libre, la France maîtresse de ses lois, de son économie, de sa monnaie, et gardienne de ses frontières, voilà la condition de toute politique nationale", affirmait Marine Le Pen dans son discours fondateur de Fréjus (Var), le 18 septembre.

Concrètement, le FN veut abolir l'espace Schengen, l'une des principales réalisations de l'Union européenne, vaste zone de 26 pays (dont 22 de l'UE) à l'intérieur de laquelle les contrôles aux frontières sont théoriquement abolis pour les voyageurs.

Le poste-frontière Saint-Ludovic à Vintimille, à la frontière franco-italienne le 6 août 2016
Le poste-frontière Saint-Ludovic à Vintimille, à la frontière franco-italienne le 6 août 2016
AFP/Archives

La France, après les attentats de novembre 2015, a pourtant déjà rétabli des contrôles à certaines frontières. Une dérogation exceptionnelle qui ne peut excéder deux ans, selon le code Schengen.

Interrogée début janvier par l'AFP lors de ses voeux à la presse sur ce qu'elle entend concrètement par "rétablir les frontières", Marine Le Pen a simplement évoqué la situation d'avant l'accord de Schengen, entré en vigueur début 1995. "Avant, il y avait des frontières, des postes de douane! La France avait vécu avant l'UE!", expliquait-elle la veille.

Des migrants en train d'être secourus par l'équipage du Topaz Responder de l'ONG maltaise Moas et la croix rouge italienne au large des côtes libyennes le 4 novembre 2016
Des migrants en train d'être secourus par l'équipage du Topaz Responder de l'ONG maltaise Moas et la croix rouge italienne au large des côtes libyennes le 4 novembre 2016
AFP/Archives

"Je n'ai jamais parlé de fermer les frontières", avait-elle déclaré après l'attentat de Nice, le 14 juillet, "je dis simplement qu'elles doivent exister, comme dans tous les autres pays du monde, et permettre de filtrer les terroristes".

"Fermer les frontières?": elle l'a pourtant déjà explicitement demandé, par exemple en septembre 2015.

Des militants du mouvement
Des militants du mouvement "No Borders" (Pas de frontières) manifestent avec une banderole disant "les frontières sont le problème" le 7 août 2016 à Vintimille, à la frontière franco-italienne
AFP/Archives

Nicolas Dupont-Aignan, candidat Debout la France à la présidentielle, propose lui carrément un "contrôle à tous les postes-frontières nationaux", et pour cela le recrutement de 10.000 policiers, l'utilisation de portiques sur les routes pour contrôler les véhicules... "Comme on faisait avant", dit-il.

Un des soutiens de Mme Le Pen concède la difficulté de ce mot d'ordre : "On n'a pas une frontière facile à contrôler".

En tout état de cause, la fermeture des frontières aurait un coût: en 2012, dans le chiffrage de son projet présidentiel, le FN avait budgété 551 millions d'euros sur cinq ans pour rémunérer 2.000 policiers et 2.000 gendarmes assignés à cette tâche.

Une étude publiée en février 2016 par France Stratégie, un organisme d'expertise gouvernemental, a estimé qu'il faudrait 10 milliards d'euros par an à long terme. Sans compter le coût indirect des embouteillages aux frontières pour les 359.800 travailleurs frontaliers résidant en France (Insee 2012).

"Nous prendrons ce coût à court terme", répond Mme Le Pen, raillant les "comptables" qui ne tiendraient pas compte de celui "de l'insécurité lié à l'ouverture des frontières".

- Un "mythe"-

Le projet de rétablissement des frontières est néanmoins jugé irréaliste par les spécialistes.

Aucune source interrogée n'est capable de dire combien de points de passage existent entre la France et ses voisins.

Un fonctionnaire de la police de l'air et des frontières à Toulouse, le 26 juin 2006
Un fonctionnaire de la police de l'air et des frontières à Toulouse, le 26 juin 2006
AFP/Archives

Interrogé en mai 2016 à l'Assemblée nationale par la Commission d'enquête parlementaires sur les attentats de 2015, David Skuli, directeur central de la Police aux frontières, soulignait qu'avec 2.900 km de frontières terrestres et 5.853km de côtes "le contrôle aux frontières est très difficile à assurer" en France métropolitaine, notamment à cause des "phénomènes de contournement".

Chercheur en sciences politiques à Sciences Po et à l'Université de Liège, le Belge François Gémenne juge aussi que ce slogan se résume à un voeu pieux: "Sauf à mettre une clôture avec des miradors et des gardes-frontières à chaque endroit, les frontières seront par définition poreuses, sauf quand vous avez un obstacle physique, par exemple la Méditerranée et la Manche. Et encore..."

"Ca n'a jamais été très compliqué de passer, même avant Schengen, qui a acté ce qui était déjà une réalité dans beaucoup d'endroits", ajoute ce spécialiste des migrations.

Des fonctionnaires de la Police Aux Frontières (PAF) patrouillent dans la gare de Tain-l'Hermitage, le 09 juillet 2010
Des fonctionnaires de la Police Aux Frontières (PAF) patrouillent dans la gare de Tain-l'Hermitage, le 09 juillet 2010
AFP/Archives

Yvan Gastaut, historien à l'Université de Nice et commissaire de l'exposition "frontières" au Musée de l'histoire de l'immigration, abonde: "Rétablir les frontières repose sur cette idée mythique et mythifiée d'une étanchéité qui n'existera jamais. Cet argument a essentiellement pour vocation de sécuriser l'opinion publique à ce sujet."

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