Retraites : l’emploi des seniors, une question dont la réforme ne pourra pas faire l’économie

Retraites : l’emploi des seniors, une question dont la réforme ne pourra pas faire l’économie

Des négociations sur le maintien dans l’emploi des seniors et sur une entrée progressive dans la retraite s’ouvrent au ministère du Travail. Rapport commandé par Matignon, idées des partenaires sociaux, pistes du Sénat : chacun y va de sa proposition pour répondre à cet enjeu.
Public Sénat

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

L’emploi des seniors est, pour l’heure, l’un des angles morts de la réforme des retraites. Malgré la concession du gouvernement, la persistance d’un âge d’équilibre dans le projet de loi confirme ce que le Premier ministre Édouard Philippe rabâche depuis novembre : « Nous allons travailler plus longtemps ». Le chef du gouvernement est d’ailleurs convaincu que de la conférence de financement, à laquelle sont conviés les partenaires sociaux, germera une mesure d’âge.

La solution d’un système de décote qui dissuadera les salariés de partir avant un certain âge, sous peine d’une décote des pensions, pose question dans un pays où structurellement le marché de l’emploi apparaît moins accessible aux seniors. Selon la DARES, au dernier trimestre 2018, 77,2 % des 55-59 ans étaient en activité. Pour les 60-61 ans, la part tombait à 49 %. Les chiffres s’expliquent surtout par des départs en retraite anticipée, beaucoup moins par le chômage. Mais les statistiques du ministère du Travail indiquent que le taux chômage des plus de 55 ans s’est aggravé en 2018 (+ 0,5 % à 6,5 %), contrairement à l’ensemble des actifs. Et cette catégorie des seniors reste, de loin, la plus touchée par le chômage de longue durée.

« Une mesure d’âge, chaque année, ça rapporte, mais elle coûte pour l’assurance chômage pour ceux qui sont au chômage », relève auprès de nous le rapporteur général de la commission des Affaires sociales, le sénateur (MoDem) Jean-Marie Vanlerenberghe. Notons d’ailleurs que les seniors ont été préservés des dispositions de la récente réforme de l’Assurance chômage (en matière d’ouverture de droits ou de dégressivité des allocations).

L’enjeu de l’emploi des seniors est plus que jamais d’actualité, maintenant que la réforme a été présentée. Ce défi fait actuellement l’objet d’échanges au ministère du Travail, entre organisations syndicales, représentants du patronat et gouvernement. Ce cycle s’est ouvert ce mardi et doit aborder de la gestion des fins de carrières autour des questions de retraite progressive, de cumul emploi-retraite, de formation. Le dossier croise aussi celui de la prise en compte de la pénibilité.

À la veille de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020, en octobre, une voix avait d’ailleurs alerté le Sénat, en toute franchise sur la réforme des retraites. « Redynamisons l'emploi des seniors, avant d'examiner les mesures nécessaires. Je considère qu'il n'est peut-être pas inéluctable de regarder du côté de l'âge légal », lâchait Gérard Rivière, président du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), s’exprimant de manière « personnelle ».

Le Sénat appelait à faire des fins de carrière une « grande cause nationale »

Au Parlement, et notamment à la Haute assemblée, ces préoccupations étaient en ligne de mire ces derniers mois. Fin septembre, une mission d’information a remis une série de 18 propositions pour lever les « freins » à l’emploi des travailleurs les plus âgés. René-Paul Savary (LR) et Monique Lubin (PS) appelaient notamment à anticiper « le plus en amont possible la seconde moitié de la carrière et à « fluidifier » la transition vers la retraite. Les préconisations allaient du renforcement du suivi par les employeurs ou de l’accompagnement au sein de Pôle Emploi, au fléchage plus important du plan d’investissement dans les compétences vers ce public. Plus largement, les deux sénateurs réclamaient de faire du sujet une « grande cause nationale » et de « changer le regard porté sur ces actifs ».

De son côté, le gouvernement a reçu ce mardi le rapport Bellon-Meriaux-Soussan, qui formule 40 idées pour servir de base à la concertation qui s’est ouverte. Là encore, les mêmes lignes directrices : mettre fin au « fatalisme » et instaurer un véritable changement de culture. La couleur est annoncée dès la première page du rapport : il n’est pas question de seniors mais des « travailleurs expérimentés ».

À bien des égards, beaucoup de pistes font écho à celles du Sénat, avec trois mois de retard. Pour faciliter les reconversions, le rapport auquel a participé Sophie Bellon (présidente du conseil d'administration de Sodexo) préconise ainsi un déplafonnement du compte personnel de formation au-delà de 45 ans, là où le Sénat demandait un « abondement spécifique » pour les personnes qui perdent leur emploi après 45 ans. Côté syndicats, le relèvement est aussi demandé par la CFE-CGC.

Élargir le dispositif de la retraite progressive

Comme le gouvernement l’envisageait, les deux rapports préconisent d’élargir à l’ensemble des actifs le dispositif de la retraite progressive, façon de lisser les transitions. Rappelons qu’actuellement les fonctionnaires, les professions libérales ou les salariés au forfait-jour n’en disposent pas.

Au niveau des branches, le rapport sénatorial recommandait de faire de la question de l’emploi des seniors un élément obligatoire dans les négociations d’accords de branches. Les deux travaux se rejoignent sur la question des grandes entreprises, en demandant de rendre obligatoire un plan d’action unilatéral en faveur de l’emploi des seniors dans les entreprises de plus de 300 salariés quand la négociation obligatoire sur la gestion des parcours professionnels n’aboutirait pas. Certains syndicats aimeraient abaisser le seuil.

Le Sénat souhaite encourager les entreprises à conclure des accords adaptant les conditions de travail des salariés âgés afin de les maintenir dans l’emploi, le rapport remis au gouvernement se veut plus précis : il préconise d’inciter les branches à négocier un dispositif « d’aménagement conventionnel de fin de carrière ». Il s’agirait de permettre à un salarié volontaire de voir sa rémunération baisser en parallèle d’un allégement de ses responsabilités, en contrepartie du versement de l’indemnité conventionnelle de licenciement (proposition 33). On imagine mal naître un consensus chez les syndicats autour de cette piste.

Acquisition de nouveaux droits avec le cumul emploi retraite

Sur le cumul emploi-retraite, les deux rapports souhaitent rendre le dispositif encore plus attractif avec une solution rigoureusement identique : rendre créatrices de droits à la retraite les cotisations prélevées sur les revenus d’activité exercée dans le cadre d’un cumul entre un emploi et une retraite à taux plein.

Pour les négociations entre partenaires sociaux, la discussion s’annonce musclée sur le volet des cotisations. La confédération des PME (CPME) demande des baisses de charges sur les contrats signés pour des seniors, ce que refuse la CFDT, qui craint des effets d’aubaine. Au rayon du malus, l’idée soulevée par Force ouvrière de faire payer un licenciement par des cotisations forfaitaires risque à l’inverse de hérisser les organisations patronales.

« On doit d'abord gagner ce combat avant d'aller expliquer aux gens : Mes bons amis, travaillez plus longtemps », déclarait Emmanuel Macron

On le sent, la question de l’emploi des seniors est un sujet anxiogène lorsque l’on aborde la réforme des retraites. De nombreux internautes ont malicieusement exhumé des paroles du chef de l’État :

Il n’y a pas si longtemps encore, le chef de l’État lui-même jugeait qu’il serait « hypocrite » de « décaler l’âge légal », tant que le problème du chômage ne serait pas « réglé ». « Alors, on va dire : Maintenant, il faut passer à 64 ans ? Vous ne savez déjà plus comment faire après 55 ans. Les gens vous disent : les emplois ne sont plus bons pour vous. C’est ça la réalité. On doit d'abord gagner ce combat avant d'aller expliquer aux gens : Mes bons amis, travaillez plus longtemps. » C’était le 25 avril 2019, lors de la conférence de presse suivant le grand débat national.

Dans la même thématique

Paris : Speech of Emmanuel Macron at La Sorbonne
7min

Politique

Partage de la dissuasion nucléaire : « Une nouvelle fois, le Président Macron improvise, au détriment de notre crédibilité »

Après un discours particulièrement scruté à la Sorbonne, Emmanuel Macron a répété sa volonté « d’ouvrir le débat » sur la mutualisation des armes nucléaires françaises avec les autres Etats de l’Union européenne. Si le président de la République est resté flou sur ses propositions, ces déclarations ont suscité un rejet quasi unanime au sein de la classe politique française.

Le

Paris : QAG au Senat
5min

Politique

Narcotrafic : « Le garde des Sceaux semble avoir suivi de près nos auditions », note le rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale

Nouveau statut de repenti, nouveau parquet national anticriminalité organisée (PNACO), nouveau crime « d’association de malfaiteurs en bande organisée »… Le garde des Sceaux a annoncé plusieurs pistes pour lutter contre le « haut du spectre » du narcotrafic. Des annonces qui s’inspirent largement des travaux de la commission d’enquête sénatoriale qui remettra son rapport le 14 mai.

Le

Nimes: CRS 8 deployed to combat drug trafficking in the Pissevin district
4min

Politique

Narcotrafic : comment fonctionne le statut de repenti en France ?

Le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti a annoncé ce week-end une évolution du statut de repenti afin de lutter contre le « haut du spectre » du narcotrafic. Ce statut existe en France depuis la loi Perben de 2004, mais n’a été que très peu utilisé. Explications.

Le

Retraites : l’emploi des seniors, une question dont la réforme ne pourra pas faire l’économie
3min

Politique

Convocation de Mathilde Panot pour apologie du terrorisme : « Il y a une volonté de faire taire, de la part du pouvoir en place », s’insurge Manuel Bompard

Invité de la matinale de Public Sénat, le coordinateur de la France Insoumise est largement revenu sur les accusations qui touchent son parti. La cheffe de file des députés insoumis, Mathilde Panot doit être auditionnée, demain, pour apologie du terrorisme tandis que Jean-Luc Mélenchon est visé par une plainte du gouvernement pour injures publiques. 

Le