"J'ai rangé les dossiers. Je les tiens à la disposition de mon successeur mais il n'y a personne": comme dans une centaine de communes en France...
Sans candidat à la mairie, les communes « orphelines » saisies par la peur du vide
"J'ai rangé les dossiers. Je les tiens à la disposition de mon successeur mais il n'y a personne": comme dans une centaine de communes en France...
Par Loïc VENNIN
Temps de lecture :
4 min
Publié le
"J'ai rangé les dossiers. Je les tiens à la disposition de mon successeur mais il n'y a personne": comme dans une centaine de communes en France, aucun candidat ne veut remplacer le maire sortant de Baubigny (Côte d'Or), plongeant le petit village dans l'incertitude.
Lorsque Patrick Manière a ouvert à l'AFP le portail de la mairie aux allures de maison de poupée, le maire sortant a découvert que la poignée était cassée. "Vous voyez, ça? Qui va s'en occuper maintenant?".
Il n'y a pas que la réparation d'une simple poignée qui restera en suspens quand l'élu de 73 ans rendra sa casquette, après 14 ans à la tête du village bourguignon, blotti entre falaises calcaires et vignes à Grands Crus.
Les huisseries de la petite maternelle, le projet de panneaux photovoltaïques, l'assainissement... Autant de dossiers "orphelins", dit le retraité, car Baubigny (200 habitants "et quelques", selon le maire) compte parmi les 106 communes sans aucun candidat aux municipales, selon le ministère de l'Intérieur. Il y en avait 62 en 2014.
Faute de combattants, le premier tour des municipales, le 15 mars, est annulé, mais pas le second, dans l'espoir qu'une liste se constitue dans l'intervalle.
La mairie de Baubigny le 4 mars 2020
AFP
Dans le cas contraire, une délégation installée par la préfecture gère les affaires courantes pendant trois mois pour tenter de trouver des candidats. Si aucune bonne âme ne se présente, la commune est dissoute et fusionnée avec une autre.
"Les habitants vont se sentir comme orphelins", avertit M. Manière, car "les gens sont encore attachés au maire". "Ils veulent absolument avoir un élu référent auprès duquel ils peuvent s'épancher: des problèmes de couple, de chiens qui viennent crotter devant la porte... On compte sur nous".
Mais cela "demande du temps": "bien une trentaine d'heures par semaine. Et pour 540 euros par mois". Or "les gens privilégient maintenant leur activité professionnelle", regrette le maire sortant. Ainsi, aucun des neuf conseillers municipaux sortants ne se représente.
- "C'est usant" -
"Je n'ai pas le temps", confirme le premier adjoint, François Rocault, 62 ans. "Je suis vigneron. J'ai des chambres d'hôtes et je veux passer du temps avec mes petits-enfants", dit-il en taillant ses vignes de pinot noir que caressent de timides rayons de soleil hivernal.
"Dans une petite commune, on fait tout. C'est prenant. Vous devez être mécanicien, psychologue, conseiller financier. J'ai même dû sauver une Norvégienne qui voulait se suicider".
Le maire de Baubigny Patrick Manière dans les rues de son village (centre de la France), le 4 mars 2020
AFP
Le maire du XXIe siècle se retrouve de plus seul face à des dossiers "de plus en plus complexes", surtout pour un "petit maire qui n'est pas entouré de conseillers comme dans les grandes communes", rappelle Patrick Manière.
L'élu a ainsi dû apprendre par lui-même quand il a fallu sécuriser la falaise qui menaçait de s'effondrer sur le village. "Je n'y connaissais rien. J'ai dû beaucoup chercher", se souvient-il.
Pierre-Pascal Piacentini, à la tête de Crocicchia, en Haute-Corse, trouve lui aussi que, "aujourd'hui, le maire doit tout faire". "C'est usant", confirme l'élu de ce village de 70 habitants, également sans candidat.
"Dans le rural, il y a une pression sur le maire pour tout faire", explique-t-il à l'AFP, se souvenant avoir été appelé "pour dépanner une antenne télé", "ouvrir une bouteille de vin chez une personne âgée", "déneiger devant les portes"...
"On est seul face à des démarches administratives, des dossiers compliqués", selon l'entrepreneur en bâtiment qui dit avoir consacré deux jours par semaine à la mairie.
La technicisation de la fonction fait "peur", souligne M. Rocault, et le maire, jadis notable respecté, est lui aussi victime de la défiance envers le politique.
"Les fonctions locales sont certes beaucoup mieux perçues", analyse Bruno Cautrès, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof, Paris).
Ainsi, "63% des Français font confiance aux maires" (contre 27% pour le gouvernement), dit-il, citant le dernier baromètre d'OpinionWay pour le Cevipof. "Mais ce n'est quand même pas 80%" d'opinions favorables, nuance-t-il. "La fonction de maire attire moins", conclut le politologue.
"Avant, il y en avait, des candidats", se désole Patrick Manière. "Mais, pour l'instant, mes dossiers vont rester chez moi".
Les élections municipales doivent avoir lieu au mois de mars 2026 dans les 34 875 communes françaises. Pour la première fois, toutes les communes sauf Paris, Lyon et Marseille voteront selon les mêmes règles sans distinction de taille après l’adoption d’une loi en avril 2025.
D’après le dernier baromètre Odoxa réalisé avec Mascaret pour Public Sénat et la presse régionale, 75 % des Français se déclarent favorables à une mise en place du mode de scrutin proportionnel. Néanmoins, le sondage ne distingue pas parmi les différentes modalités.
Les élections en Roumanie, en Pologne ou au Portugal ont montré une poussée des forces eurosceptiques ou anti-establishment. Pourtant, une autre élection en Albanie, qui a eu lieu le 11 mai 2025, a envoyé un signal fort d’adhésion des Balkans à l’Union européenne. Le socialiste Edi Rama, Premier ministre réélu de l’Albanie, est l’invité de l’émission Ici L’Europe avec Caroline de Camaret.
L’un des points d’attention du prochain renouvellement des conseils municipaux se portera sur l’évolution de la parité. 25 ans après la promulgation de la loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux, le nombre de femmes maires reste encore très minoritaire. Le rapport est d’une contre quatre à l’échelle nationale.