Sécurité, séparatisme : le gouvernement critiqué par l’opposition… et une partie de la majorité
Le gouvernement continue à placer les thèmes régaliens au cœur du débat. Une volonté dénoncée par l’opposition de gauche, mais aussi jusque dans les rangs du gouvernement ou de LREM, avec le risque de « faire monter nous-même ce sentiment d’insécurité ».

Sécurité, séparatisme : le gouvernement critiqué par l’opposition… et une partie de la majorité

Le gouvernement continue à placer les thèmes régaliens au cœur du débat. Une volonté dénoncée par l’opposition de gauche, mais aussi jusque dans les rangs du gouvernement ou de LREM, avec le risque de « faire monter nous-même ce sentiment d’insécurité ».
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Le gouvernement avait choisi d’axer sa rentrée 2019 sur l’immigration. Pour la rentrée 2020, c’est la sécurité qui a la cote. Depuis les déclarations du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sur « l’ensauvagement », la séquence sécurité marque les débats. Et ce n’est pas fini. Un projet de loi sur le « séparatisme » devrait être présenté en octobre. Il pourrait être examiné au Parlement début 2021. L’exécutif entend continuer de pousser les sujets régaliens.

Dans la foulée du Conseil des ministres, ce mercredi, le gouvernement a tenu un séminaire de rentrée, qu’on attendait sur ces questions. A l’issue, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, ne s’est pourtant pas étendu sur le sujet. Il a quand même rappelé l’importance pour l’exécutif du « patriotisme républicain au travers de la sécurité du quotidien et la lutte contre les séparatismes ».

Face aux « violences qui se banalisent », « le Président a rappelé notre détermination et nos objectifs. On avance dans une logique de fermeté » et « d’humanité ». L’objectif affiché est « l’impunité zéro ». Pour en savoir plus, il faudra attendre. « Nous aurons dans les prochaines semaines un travail avec les collectivités locales pour rendre plus efficace les sanctions », « avec des sanctions éducatives, des travaux d’intérêt général quand c’est nécessaire » dit-il, ajoutant que « d’autres mesures seront annoncées sur l’efficacité des sanctions dans les prochaines semaines », « en parallèle de la présentation du budget » prévue fin septembre (voir la vidéo).

« On doit être là pour trouver des solutions et pas pour faire de la surenchère »

La volonté est bien là d’aborder ces sujets. Politiquement, le gouvernement répond à son électorat, qui a glissé à droite, et continue de siphonner la droite, qui cherche régulièrement à le coincer sur les sujets régaliens. Mais pour quelques membres du gouvernement ou de la majorité, la manière d’aborder la question passe mal. Certains l’expriment publiquement, comme le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti. Mais sous couvert d’anonymat, d’autres ne cachent pas non plus leur gêne. « Il ne faut pas opposer sécurité et sentiment d’insécurité. Il faut faire attention à ne pas faire monter nous-même ce sentiment d’insécurité » lâche ainsi un ministre de poids. Alors que 70% des Français estiment, selon un sondage Ifop, que le terme « ensauvagement » est justifié, il raille son collègue de l’Intérieur, « bien conseillé par l’institut de sondage qui a dû faire le sondage avant… » Le même ajoute :

Le terme ensauvagement me choque d’un point de vue sémantique. Des gens vont se sentir visés. Il y a une connotation très borderline. (un ministre)

Même gêne d’une députée LREM, à qui « le terme ne plaît pas ». « On doit être là pour trouver des solutions et pas pour faire de la surenchère. En utilisant ce genre de terme, vous heurtez, dressez les gens les uns contre les autres. Vous faites un peu de la provoc’ » met en garde cette responsable, qui pense aussi qu’« on ne devrait pas lier séparatisme et sécurité », si jamais la tentation était là… Elle ajoute : « Il faut porter un message politique, mais après, il faut faire. D’où l’intérêt de la méthode du premier ministre, qui veut être dans le concret ».

Pour la sénatrice LREM de Gironde, Françoise Cartron, en campagne pour sa réélection aux sénatoriales du 27 septembre, il faut au contraire ne pas avoir peur d’aborder ces sujets. « Quand il y a un problème, qu’il soit réel ou non, avec un ressenti, il faut en parler. Je le vois dans la campagne, avec la violence contre les maires. Ils disent, "mais que fait le gouvernement ?" Un maire a été agressé ici, l’auteur a été arrêté avec un rappel à la loi… Ils ont un sentiment d’abandon. C’est bien que le gouvernement se saisisse du sujet » selon Françoise Cartron. Quant au séparatisme, « regardons la réalité en face, s’il y a des mesures à prendre, qu’on les prenne » ajoute l’ancienne socialiste.

Patrick Kanner : « Il y a aussi le séparatisme des riches »

A gauche justement, on critique, sans surprise, l’approche du gouvernement. « Je suis pour la tolérance zéro, je ne suis pas laxiste » explique Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat. « Ni angélisme » donc, « mais pas non plus d’amalgame ». Or le sénateur PS du Nord a « l’impression d’une stratégie du bouc émissaire, sur les jeunes, les quartiers, au lieu de voir les causes ». S’il est « hors de question que les cages d’escalier soient sous la coupe des dealers », Patrick Kanner souligne que « c’est toujours les pauvres, les premières victimes de l’insécurité ».

Pour ce qui est du séparatisme, Patrick Kanner lance qu’« il y a aussi le séparatisme des riches. La recherche de l’entre-soi existe aussi chez les riches ». Si « des salafistes ont pris les devants dans certains quartiers, il faut s’interroger. Ce sont des quartiers où les services publics ont disparu. Il faut une réponse sociale ».

« L’insécurité à tout va, c’est quand même des thèmes de campagne électorale »

Pour la sénatrice EELV Esther Benbassa, membre du groupe communiste, « le séparatisme est vraiment un concept à ne pas utiliser » car il risque au contraire de « diviser encore plus les Français ». La sénatrice de Paris ajoute :

Le mot séparatisme est utilisé surtout pour désigner les musulmans. C’est un mot anti-cohésion, marqué et connoté. (Esther Benbassa, sénatrice EELV)

Pour la sénatrice de Paris, « qu’il y ait en France des musulmans dans une pratique avec laquelle on peut ne pas être d’accord, car cette pratique envahit aussi l’espace public » est une chose, « mais on peut en discuter, trouver des solutions ». Elle continue : « Mais l’excès de pratique va avec la pauvreté. Ces gens qu’on désigne sont aussi des pauvres ». Pour l’écologiste, la solution passe par « moins de discrimination » à l’emploi et au logement.

Pour ce qui est du débat sur « l’insécurité à tout va, c’est quand même des thèmes de campagne électorale, c’est tout ». Un thème qui rappelle l’un des modèles politiques de Gérald Darmanin : un certain Nicolas Sarkozy.

« Gérald Darmanin s’inspire de Nicolas Sarkozy »

« Je pense qu’il s’inspire de Nicolas Sarkozy. Ils doivent échanger » croit Christian Cambon, sénateur LR du Val-de-Marne. Pour le président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, « il ne faut pas laisser ces sujets, sinon, ce sont les extrêmes qui s’en emparent ». Clément pour Gérald Darmanin, il « considère qu’il s’est mis à la tâche, il fait ce qu’il peut. Mais les déclarations ne valent pas action ».

Dans sa région de l’Ile-de-France, le sénateur pense que « l’insécurité ne cesse de progresser. On l’a vu cet été ». Et de prendre exemple sur son expérience personnelle. Christian Cambon raconte avoir « vécu une agression, pour un vol de portable. On rattrape la personne. Et il a eu un rappel à la loi ! J’ai autant préféré retirer ma plainte. C’est le côté insupportable des choses ». Il ajoute : « On finit par se demander si on est dans un pays de droit ». Pour le sénateur LR, « il faut que le gouvernement puisse apporter des solutions. Mettre plus de policiers sur la voie publique. Mais ce n’est pas une seule mesure qui va tout régler ».

Sur le séparatisme, « on entend des propos assez perturbants de la part de certains groupes » dit Christian Cambon. Mais il doute de l’utilité d’un nouveau texte. « En France, dès qu’il y a un problème, on dit qu’on va faire une loi. Je ne suis pas certain que ce soit la réponse idéale ». L’attitude n’est pas sans rappeler, là aussi, Nicolas Sarkozy, qui avait fait de la sécurité un thème de sa campagne de 2007. Bis repetita ? « Faire monter le sujet aujourd’hui, c’est prendre le risque que la présidentielle se joue sur la sécurité » glisse un ministre, « mais ça permet aussi de montrer qu’on s’en occupe ».

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