« Deux textes courts mais lourds d’enjeux » : c’est avec cette formule que le rapporteur de deux projets de loi examinés au Sénat ce 1er juillet, Jean-Marie Vanlerenberghe (MoDem), a résumé les choses. Deux projets de loi (l’un organique, l’autre ordinaire) relatifs à la dette sociale et à l’autonomie ont été adoptés dans la soirée par le Sénat. La Haute assemblée, où la droite et le centre sont majoritaires, a accepté une importante opération comptable pour la Sécurité sociale, rendue nécessaire par la crise sanitaire du Covid-19. En parallèle, les sénateurs ont acté – après de sévères réserves sur la méthode employée – le lancement d’une cinquième branche de la Sécurité sociale pour la prise en charge des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Elle viendra s'ajouter aux quatre branches historiques : maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, famille, retraite. Ce principe avait été introduit dans le texte à l’Assemblée nationale.
Concernant le premier volet, la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) va reprendre 136 milliards euros de dette accumulés par la Sécurité sociale. Ce transfert était nécessaire, car la Sécu est incapable de gérer de tels montants sur une longue période. « Seule cette reprise nous protégera contre le risque de devoir déclarer un jour le paiement des prestations par manque de financement », a insisté le secrétaire d’État auprès du ministre de la Santé Adrien Taquet. La durée de vie de la Cades, qui devait s’éteindre fin 2024, est prolongée de neuf années, jusqu’en 2033. Tout comme sa principale ressource : la CRDS, la contribution pour le remboursement de la dette sociale de 0,5 % qui frappe n’importe quel revenu.
La majorité sénatoriale refuse que des investissements immobiliers soient considérés comme une dette sociale
Contre l’avis du gouvernement, les sénateurs sont restés sur leur rédaction, en refusant de transférer un tiers de la dette des hôpitaux (13 milliards d’euros) à cette même Cades. Pour le rapporteur Jean-Marie Vanlerenberghe, cette promesse présidentielle doit être honorée par l’État, et non par la Sécurité sociale. « Les bâtiments n’appartiennent pas à l’Assurance maladie ! C’est une dette très largement due à des investissements immobiliers, parfois surdimensionnés, mal maîtrisés, réalisés à l’initiative de l’État », a-t-il fait valoir, craignant un « précédent dangereux » avec la nature de cette opération. Adrien Taquet a, au contraire, affirmé que l’un et l’autre étaient liés, et que par cette modification, le Sénat allait « priver les hôpitaux d’une bouffée d’air ».
Le président de la commission des Affaires sociales, Alain Milon, y a vu un manque de cohérence, sachant que l’État a pourtant repris à son compte la dette de la SNCF. Pour le sénateur LR, l’État aurait dû prendre l’intégralité de la dette des hôpitaux à sa charge.
« Le gouvernement a décidé de faire de la Cades une auberge espagnole », déclare Jean-Noël Cardoux (LR)
Si la majorité sénatoriale s’est résolue à accepter le transfert de 136 milliards d’euros de dette (dont 30 déjà accumulés, et 92 au titre de provision pour les années 2020 à 2023), les groupes de gauche au Sénat ont dénoncé une mauvaise opération, rappelant que l’État bénéficiait de meilleures conditions d’emprunt et qu’une part importante du déficit résultait de décisions gouvernementales, notamment des absences de compensations d’exonérations de cotisations sociales. « Il y a une confusion des dépenses sociales pour discrètement faire payer par la Sécurité sociale les décisions prises pendant la crise », s’est exclamée la sénatrice communiste Cathy Apourceau-Poly. Sophie Taillé-Polian, sénatrice Génération.s siégeant au groupe socialiste, a ajouté que la promesse présidentielle de ne pas augmenter les impôts était déjà démentie par le projet de loi, avec la survie pour neuf années encore de la CRDS.
« J’affirmerai notre opposition au transfert de 136 milliards à la Cades », déclare Yves Daudigny (PS)
Quand le rapporteur apporte un contre-exemple au gouvernement avec la réforme des retraites
Malgré l’opposition du secrétaire d’État, les sénateurs ont également maintenu leur système de règle d’or pour les régimes de base de la Sécurité sociale (relire notre article), afin « de protéger les générations futures » de toute reconstitution de la dette sociale. L’idée est d’imposer, à partir de 2024 un équilibre des comptes sur cinq années, ce qui permettrait des dépassements ponctuels. L’équilibre serait à réaliser sur dix ans, cas d’évènement exceptionnel.
S’il a reconnu que la règle était « vertueuse » Adrien Taquet n’a pas été séduit. « Elle est prématurée dans un contexte d’après-crise […] Si on la remet en cause le lendemain, elle perd toutes ses vertus », a-t-il argué, peu optimiste sur l’hypothèse de comptes à l’équilibre. « Vous l’avez vous-même introduite dans la réforme des retraites, c’est une quasi-copie conforme », a rétorqué Jean-Marie Vanlerenberghe. Nouvelle réponse du gouvernement : la crise est passée par là.
Il s’en est toutefois fallu de peu pour que le Sénat retire à la dernière minute les fondations de la cinquième branche de la Sécurité sociale, dédiée à la perte d’autonomie. Son principe a été conservé dans le texte, par 179 voix contre 156, notamment grâce aux centristes qui n’ont pas voulu suivre les Républicains. « Le débat est tellement attendu. Il ne s’agit pas pour nous de signer un chèque en blanc », a fait valoir le sénateur (Union centriste), Olivier Henno.
Des sénateurs peu emballés par la perspective d’une « coquille vide »
Pas vraiment opposée sur le fond, la droite sénatoriale a surtout bataillé sur la forme. « Le Sénat, dans son intégralité, y est favorable. Allons-y ensemble, dans une vraie loi, mais pas au détour d’un article additionnel sur un projet de loi portant sur la dette sociale », a encouragé le sénateur Alain Milon (voir la vidéo en tête).
Le groupe LR a notamment déploré l’absence de financements à la hauteur. Le gouvernement s’est engagé à mettre un milliard d’euros sur la table pour la perte d’autonomie dès l’exercice 2021. Et le projet de loi adopté prévoit de flécher, à partir de 2024, 0,15 point de CSG pour la cinquième branche (soit 2,5 milliards d’euros par an). Des sommes jugées insuffisantes par les sénateurs qui ont rappelé que le rapport Libault avait évalué les besoins à 10 milliards d’euros. « Ne s’agit-il pas d’une coquille vide ? » s’est demandé le sénateur LR de la Loire, Bernard Bonne, au sujet de la naissance de la cinquième branche, que les députés comparaient à une « première pierre ». Une maçonnerie décevante pour la commission des Finances du Sénat. « Nous sommes assez loin du mur », a ironisé Christine Lavarde (LR). « Quand on a glissé un pied dans la porte, soit on l’ouvre totalement, soit la porte vous claque au nez. Afficher maintenant la volonté de créer une cinquième branche peut nous réserver des surprises désagréables », a ajouté le sénateur LR Jean-Noël Cardoux.
Adrien Taquet met en garde les sénateurs sur les titres des journaux
Plus gênant encore, pour les représentants des collectivités territoriales que forment les sénateurs, la création d’une cinquième branche est actée avant même la fin des concertations des acteurs concernés, comme les départements. Les sénateurs ont d’ailleurs enrichi le projet de loi, en inscrivant noir sur blanc la liste complète des acteurs devant être entendus (relire notre article). Une mission doit remettre, en septembre, un rapport sur la gouvernance et le financement de la cinquième branche.
Sécurité sociale : Adrien Taquet met en garde les sénateurs sur les titres des journaux
« Héritiers » des quelques ajouts introduits à l’Assemblée scellant cette cinquième branche, une majorité de sénateurs s’est donc rangée derrière le gouvernement. « Rien n’est préempté », leur a assuré Adrien Taquet, expliquant qu’une 5e branche (plutôt qu’un 9e risque de la Sécurité sociale, dilué entre les quatre branches existantes) permettrait d’identifier plus facilement des recettes et des dépenses, et de « mieux définir des règles de gestion ». Le gouvernement estime que la première pierre permet d’engager des débats dès le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) de cet automne, et le projet de loi sur le grand âge, que le gouvernement s’engage à présenter avant la fin de l’année. « Ça ne restera pas une coquille vide […] Je n’envisage pas que, demain, les journaux titrent sur le fait que le Sénat a rejeté la création de la cinquième branche », a-t-il ajouté.
La pression médiatique et un Sénat pris au piège, c’est précisément ce que redoutait Alain Milon, le président de la commission des Affaires sociales il y a une semaine face au ministre de la Santé. À son tour, il a mis la pression sur le gouvernement. « Vous allez créer un espoir considérable dans le pays », a-t-il soulevé, mettant en garde contre le risque de désillusions.