Séparatisme : la Conférence des évêques de France critique une « loi répressive » qui donne « le sentiment que les croyants sont des citoyens dont il faudrait se méfier »

Séparatisme : la Conférence des évêques de France critique une « loi répressive » qui donne « le sentiment que les croyants sont des citoyens dont il faudrait se méfier »

Auditionné début février par la commission des lois du Sénat en amont de l’examen du projet de loi confortant les principes républicains, Monseigneur Eric de Moulins Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, avait relevé un « certain nombre de dispositions inquiétantes » dans le projet de loi du gouvernement. Ce mercredi, le Figaro publie un appel des Eglises chrétiennes inquiètes pour leur liberté.
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Par Pierre Maurer

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En voulant lutter contre les « séparatismes », le gouvernement va-t-il se mettre à dos l’ensemble des cultes ? Déjà critiqué la semaine dernière par la Fédération protestante, le projet de loi sur le respect des principes de la République ne l’est pas moins par la Conférence des évêques de France (CEF). Auditionné ce mercredi matin par la commission des lois du Sénat, son président, Monseigneur Eric de Moulins Beaufort estime que le texte débattu à l’Assemblée national présente « un certain nombre de dispositions qui nous inquiètent ». Alors que le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) redoute « un sentiment de suspicion généralisée » et que la Fédération protestante de France (FPF) pense que le projet de loi, qui sera soumis au Sénat à partir de la fin mars, provoquera des dommages collatéraux pour l’ensemble des cultes, le CEF regrette lui aussi que le texte donne le « sentiment que les croyants sont des citoyens dont il faudrait se méfier ». « C’est contraire à ce qui nous a été annoncé au mois d’octobre », souligne Eric de Moulins Beaufort, déplorant un projet de loi « répressif ». Seul le grand rabbin de France, Haïm Korsia, approuve le « diagnostic de cette loi ».

« Il est inquiétant de devoir affirmer et réaffirmer par une charte que nos citoyens respectent les lois de ce pays »

Les inquiétudes du CEF - comme pour la Fédération protestante - se focalisent principalement pour les associations cultuelles, qui sont près de 5000 en France. « Beaucoup de dispositions qui sont prévues par cette loi auront pour résultat de rendre plus difficile la vie de nos associations », estime-t-il. D’abord à cause de l’article 27 du projet de loi qui introduit l’obligation de réitérer « la déclaration de qualité cultuelle d’une association ». « Or, à une époque où les préfets devaient donner leur accord pour chaque libéralité reçue par une association cultuelle, nous avons eu de mauvaises expériences de préfectures qui n’étaient pas capables de traiter ces dossiers dans les temps », relève Eric de Moulins Beaufort.

L’article 6, prévoyant un contrat « d’engagement républicain » fait l’objet de la même défiance. « Il y a déjà une charte qui fixe un certain de nombre principes à laquelle les associations sont censés participer, et auxquelles les associations doivent souscrire, pourquoi faut-il encore ajouter un contrat ? Cela prouve la faiblesse de ce genre de dispositif. Quand on aura épuisé les charmes de la charte et du contrat, il faudra encore inventer un dispositif du même ordre. Et donc de nouveau, on va se retrouver avec une mesure qui va compliquer la vie des associations, qui énumère un certain nombre de principes auxquels il n’y a pas d’opposition de notre part, mais qui donne l’impression que dès qu’une association est cultuelle, elle serait à surveiller de plus près », fustige-t-il.

« Il est inquiétant de devoir affirmer et réaffirmer par une charte que nos citoyens respectent les lois de ce pays. Le seul intérêt du contrat c’est la répression », ajoute-t-il. Autre incongruité, l’archevêque du diocèse de Reims remarque que certains députés souhaitent ajouter à la liste de ce contrat le principe de « laïcité ». « Est-ce que cela veut dire que le Secours catholique ne devrait plus être catholique ? La rédaction de cet article 6 ne permet pas d’être en sécurité », tance-t-il.

En somme, le CEF « comprend bien qu’il y a des faits qu’il faut prévenir et des actes qu’il faut punir », mais a « le sentiment que pour lutter contre une pincée d’islamistes, c’est l’ensemble des citoyens croyants qui vont voir l’organisation de leurs églises ou confessions, alourdie et compliquée ». « Une loi répressive ne peut que donner cette impression », insiste Eric de Moulins- Beaufort.

Changement de ton dans les discussions inter-religieuses après l’assassinat de Samuel Paty

Interrogé par les sénateurs sur les échanges inter-religieux en amont de la présentation du texte, l’archevêque a livré une anecdote révélant une fracture du dialogue. « Lorsque le président de la République nous a présenté ce qu’allait être le discours des Mureaux, la réaction des trois responsables musulmans présents à l’Elysée a été de dire : « Cette loi va nous aider à lutter contre nos propres intégristes », explique-t-il. « Mais le climat s’est transformé après l’assassinat de Samuel Paty autour de la question des caricatures, qui a donné l’impression aux citoyens musulmans que cette loi allait organiser le fait qu’on puisse se moquer de la foi musulmane », estime-t-il. Après cet événement, l’archevêque - qui considère que « les caricatures de Charlie Hebdo ne représentent pas le sommet de l’esprit français » - a constaté un « changement d’attitude global dans nos échanges ».

Selon lui, la difficulté que connaît la France réside dans le fait que « les musulmans n’ont pas vécu, n’ont pas connu la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905, et nous avons du mal à faire entrer nos citoyens musulmans dans cette matrice-là. Je pense qu’il est possible de les y aider avec le temps. C’est un long travail. Mais est-ce qu’il faut pour cela nous compliquer l’existence ? C’est ce que vous avez à décider », lance-t-il aux sénateurs.

À titre personnel, il « encourage nos concitoyens musulmans à s’organiser comme nous l’avons fait, sur la base associative, puis en facultés, centres de formation etc. Je répugnerai l’idée que l’Etat veuille organiser ou fonctionnariser les ministres du culte musulman comme si l’Etat avait à connaître de cela. On retomberait dans une sorte de concordat », prévient-il.

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