Séparatisme : le Sénat vote l’interdiction des prières dans l’enceinte des universités

Séparatisme : le Sénat vote l’interdiction des prières dans l’enceinte des universités

Les sénateurs ont introduit une série de nouvelles dispositions au projet de loi sur le respect des principes de la République, afin de renforcer la neutralité dans l’enseignement supérieur.
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Nouvelle soirée de discussions vives au Sénat sur les questions de laïcité, au sixième jour d’examen du projet de loi sur le respect des principes de la République. L’hémicycle, dominé par la droite, a fait adopter plusieurs nouveaux articles au sein du texte contre les séparatismes, dans le but de renforcer la neutralité à l’université. Interdiction des prières dans les couloirs des universités, lutte contre les actions de propagande perturbant la tenue de conférences, ou encore interdiction dans la loi des listes communautaristes aux élections étudiantes : de nombreux articles sont venus ainsi se greffer entre l’article 24 et le 25 du projet de loi.

Le Sénat a notamment adopté une nouvelle disposition interdisant l’exercice du culte dans l’enceinte d’une université. Il ne concerne pas seulement les salles de cours ou les amphithéâtres, mais peut également s’appliquer dans les couloirs ou encore les sanitaires. « Nous devons refuser la pratique des prières dans les couloirs des universités. L’exercice du culte dans un lieu inapproprié ne me semble pas acceptable dans notre République », a insisté le rapporteur (LR) Stéphane Piednoir.

« Nous devons refuser la pratique des prières dans les couloirs des universités »
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Interdiction de l’exercice du culte à l’université : un article « source d’ambiguïté » selon Jean-Michel Blanquer

Introduit au moment des débats en commission, l’article a été dû être précisé en séance, après plusieurs « remarques » sur sa portée large. Stéphane Piednoir a fait adopter un amendement excluant les locaux mis à disposition des aumôneries du champ de l’article, mais aussi les établissements de l’enseignement supérieur d’Alsace-Moselle, où les dispositions sont différentes. Même avec ces modifications, la rédaction proposée reste « source d’ambiguïté » et ne règle pas toutes les difficultés, selon le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, opposé à l’article.

Les sénateurs communistes et écologistes, de même que le gouvernement, ont tenté de le supprimer. « Nous ne pensons pas que la laïcité doive conduire nécessairement à écarter de l’espace public toute forme d’expression religieuse. Cette vision de la laïcité n’est pas conforme à l’esprit de la loi de 1905. C’est un sénateur athée qui vous le dit », est intervenu Pierre Ouzoulias (PCF). « Restrictif », mais aussi « inutile » : c’est l’autre critique adressée à cet article qu’a formulée Daniel Salmon. Le sénateur écologiste a rappelé que les présidents d’université avaient tout pouvoir d’interdire les manifestations religieuses dans les règlements intérieurs.

Reste la réalité du phénomène. Pierre Ouzoulias a indiqué que le dernier exemple en date remontait à 2015, lors d’une prière dans une salle d’une université parisienne. « Depuis, la conférence des présidents d’université nous a dit qu’elle n’avait pas vu d’éléments comparables ». « Ce n’est pas un cas en quelques années, c’est quarante atteintes à la laïcité par an, constatées dans les universités publiques », a rétorqué Stéphane Piednoir. Pas de quoi modifier la loi pour le centriste Loïc Hervé, qui s’est énervé en fin de séance contre « le concours Lépine » à l’œuvre sur le projet de loi. « Nous légiférerions sur une quarantaine de cas pour 1,6 million étudiants en France », a-t-il mis en perspective.

La réponse de la droite à des annulations de colloques

Un autre article introduit en commission a également provoqué des débats tendus entre les groupes de gauche et la droite. Jean-Michel Blanquer s’y est également opposé. Après plusieurs cas d’annulation de conférences ou de colloques ces derniers mois à la suite de pressions, la droite sénatoriale a ajouté un article afin d’interdire les comportements et actions de prosélytisme ou de propagande, de nature à « perturber » les activités d’enseignement et de recherche, la tenue de conférences ou de débats autorisés par le président d’université. Ou de « troubler le bon fonctionnement du service public ». Chez les détracteurs de l’article, les mêmes arguments qu’évoqués plus tôt ont été mis en avant : le droit actuel est suffisant et le président d’université a toute latitude de réagir. Les socialistes ont par exemple expliqué que détailler ce qui relevait du trouble à l’ordre public pouvait être une disposition « restrictive », en plus d’être de « nature à entamer le principe d’autonomie des universités ».

Des échanges sur la liberté d’expression et sur la controverse universitaire ont également animé les échanges. « La controverse dans le respect, ce n’est pas l’entrave, la pression, les menaces […] Si on regarde la vérité en face, on voit qu’il y a des groupes de pression qui veulent faire régner la terreur intellectuelle », s’est exclamé le sénateur LR Max Brisson. « Nous ne nous trompons pas, il s’agit là du retour de l’article 38 de la loi de programmation de la recherche censurée au Conseil constitutionnel il y a quelques mois », s’est inquiété l’écologiste Daniel Salmon, évoquant une « fuite en avant répressive ».

L’interdiction des signes religieux à l’université débattue puis refusée

L’article obligeant une association souhaitant bénéficier de locaux dans une université à signer le contrat d’engagement républicain, a également été maintenu dans le texte. Il avait été ajouté lors des débats en commission. Mais une nouvelle disposition a été ajoutée en séance, après l’adoption d’un amendement de Max Brisson (LR) : l’interdiction de listes communautaristes au sein des établissements universitaires. « Depuis plusieurs années, on assiste au développement de revendications communautaristes, le plus souvent à caractère religieux, au sein de certaines listes électorales candidates aux élections pour la représentation des étudiants », a-t-il mis en garde.

Principes républicains : « Il y a une forme de surenchère politique ! »
02:10

Le communiste Pierre Ouzoulias a rétorqué que les règlements intérieurs l’interdisaient déjà. « On fait de la surenchère, la solution est déjà trouvée », a ironisé le socialiste Éric Kerrouche. « Soit c’est déjà réglé, et on se demande pourquoi un tel projet de loi. Soit on en fait trop. Vous trouvez toujours une bonne raison pour ne pas participer à cet effort », s’est lassé le sénateur Max Brisson, prenant à partie la gauche frontalement pour la deuxième fois depuis le début des débats. « J’accepte mal qu’on nous donne des leçons alors que même sur l’instruction en famille, vous faites preuve d’une forme de tolérance », a répliqué la socialiste Sylvie Robert, en référence à l’article 21 réécrit par la droite.

L’hémicycle n’a cependant suivi Jérôme Bascher, qui souhaitait interdire dans les établissements de l’enseignement supérieur le port de signes ou tenues ostentatoires manifestant une appartenance religieuse. L’amendement, cosigné par plus d’une trentaine de ses collègues LR, n’a pas reçu le soutien de la commission de la culture et de l’éducation, qui pointait l’absence de demande des présidents d’université. Mais il a suscité d’ultimes passes d’armes avant la levée de la séance.

Le Sénat refuse l'amendement interdisant le port du voile à l'université
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