Taxe d’habitation : ce que dit le couac du gouvernement

Taxe d’habitation : ce que dit le couac du gouvernement

Le gouvernement tergiverse sur la suppression de la taxe d’habitation pour les 20% des ménages les plus aisés. Un célibataire gagnant plus de 2.500 euros serait concerné. Pas sans conséquences politiquement. Mais entre la recherche d’économies et les impératifs constitutionnels, l’équation se complique…
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Cafouillage, couac, voire marche arrière… En deux jours, le gouvernement, principalement par la voix de son ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a réussi à se contredire sur la suppression totale de la taxe d’habitation (TH).

Dimanche, le locataire de Bercy a dans un premier temps ouvert la porte, sur Europe 1, à l’abandon de la suppression de cet impôt local pour les 20% des Français les plus aisés. Le sujet pourrait être abordé lors du grand débat, annoncé par Emmanuel Macron en réponse aux gilets jaunes. « On peut très bien demander aux Français est-ce que vous estimez que pour les 20% les plus riches, il est légitime ou non de supprimer la taxe d’habitation ? » faisait mine de s’interroger le ministre de l’Economie, tout en affirmant qu’il était « essentiel » d’aller « au bout de la suppression » de cet impôt. Lundi matin, sur France inter, le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux confirme que son maintien pour les 20% des ménages les plus aisés était « sur la table ».

Egalité devant l’impôt

Après une bonne nuit de réflexion, surprise mardi matin : « Eclairage » du ministre de l’Economie qui prend des allures de rétropédalage. « J'ai redit dimanche qu'il fallait aller au bout de la suppression de la taxe d'habitation. Aller au bout de la suppression de la taxe d'habitation cela veut dire aller au bout de la suppression de la taxe d'habitation », a insisté Bruno Le Maire lors d'un colloque… tout en redisant que « cela n’interdisait pas que ce sujet fasse partie du débat sur la fiscalité ». 

Fin de l’histoire ? Non. Mardi, en fin de d’après-midi, un urgent de l’AFP tombe : la suppression de la taxe d'habitation pour les plus riches sera bien « sur la table » lors du grand débat, affirme l’Elysée… La présidence vise toujours la suppression pour 100%, mais « si les Français nous disent qu'ils n'en veulent pas, nous sommes prêts à étudier le sujet ».

La suppression de la TH pour 80% des ménages était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron. L’exécutif avait ensuite annoncé l’extension de sa suppression pour les 20% des ménages restants, après une décision du Conseil constitutionnel qui pointait le risque d’inégalité devant l’impôt.

Les classes moyennes seraient concernées

Derrière cet imbroglio, il faut y voir des raisons d’ordre politique et d’autres plus économiques. Côté politique, les premières déclarations de Bruno Le Maire semblaient répondre à la demande de justice sociale. On ne touche pas à l’ISF, mais pourquoi pas faire payer « les plus riches » sur la taxe d’habitation ? Or si les plus hauts revenus sont bien concernés, les classes moyennes sont aussi dans les 20%. Le risque devient alors éminemment politique. Ce qui n’a pas échappé à un ministre : « Il faut faire attention. Qui serait touché par ça ? On ne peut pas comparer la taxe d’habitation et l’ISF Ce serait une erreur » nous a confié lundi un membre du gouvernement, avant le rétropédalage. Plus clairement, le même ajoute :

« C’est le socle de notre électorat » (un ministre)

Pour se retrouver dans les 20% les plus aisés qui paient la taxe d’habitation, il suffit d’avoir un revenu fiscal de référence de 27.000 euros pour un célibataire sans enfant, soit un revenu réel de 2.500 euros par mois. En mai dernier, le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, précisait qu’il s’agissait de « 2500 euros nets par personne ». Pour un couple sans enfant, le seuil est de 43.000 euros de revenu fiscal de référence, soit environ 4.000 euros par mois.

« Quand on présente ça comme une mesure de justice fiscale, c’est l’argument qui me fait le plus bondir » réagit le sénateur LR de Seine Saint-Denis, Philippe Dallier. « Encore une fois, ce sont les classes moyennes qui en prennent plein la figure. A 2.500 euros, on ne va quand même pas expliquer qu’ils font partie de la catégorie des riches qu’on va devoir taxer pour calmer la grogne fiscale. C’est quand même dingue » pour le vice-président du Sénat.

Lundi matin, sur RTL, Gérard Darmanin avait lui-même évoqué la relativité de la richesse des 20% concernés : « C’est compliqué parce que la suppression de la taxe d’habitation c’est jusqu’à 2500 euros de revenus si vous êtes célibataire, je ne pense pas qu’on soit riche à 2500 euros de revenu » a-t-il reconnu, ajoutant qu’« en revanche, il y a des gens qui ont des gros revenus et de grosses habitations. On peut imaginer que ce ne serait pas juste de les exclure ».

Un grand débat qui tombe bien

L’élément que l’exécutif n’avait pas prévu, c’est la crise des gilets jaunes. Emmanuel Macron a annoncé 10 milliards d’euros de mesures pour tenter de calmer la fronde sociale, ainsi qu’un grand débat. Ou plutôt un grand non-débat, du moins pour certains sujets, à commencer par la suppression de l’ISF. Le gouvernement ne veut pas entendre parler de sa remise en cause. Comment dès lors rendre crédible et attractif un débat, si les thèmes et une partie des conclusions semblent choisis avant même qu’il ait commencé ?

Bruno Le Maire s’est appuyé sur ce grand débat pour justifier la réflexion sur la taxe d’habitation : « Si nous répondons non à chaque demande des Français, que nous ne sommes pas capables d'écouter la demande de justice, nous ne réussirons pas le grand débat, qui doit s'ouvrir dans les prochaines semaines ».

« Ça démontre l’impasse budgétaire dans laquelle est le gouvernement »

Ce que le locataire de Bercy ne dit pas, ce que l’équation budgétaire entre en ligne de compte. Il y pense, forcément. Attaché à la baisse du déficit et aux respects des critères de Maastricht, l’exécutif s’est lancé dans la recherche de nouvelles économies pour compenser les 10 milliards de dépenses nouvelles. Fin 2018, il a déjà trouvé 2,5 milliards d’euros : report d’un an de la baisse de l’impôt sur les sociétés pour les plus grandes entreprises, qui rapporte 1,8 milliard d’euros, taxation des GAFA en France (500 millions d’euros) et « niche Copé » révisée (200 millions d’euros). Ce n’est pas suffisant. La suppression totale de la taxe d’habitation pour les 20% des ménages les plus aisés coûterait, selon les chiffres, entre 7 et 9 milliards d’euros. Autant de dépenses en moins pour les caisses de l’Etat s’il ressort du grand débat – ça tombe bien – que les Français ne souhaitent pas la suppression totale de la taxe. 2,5 + environ 7 = 10 milliards. CQFD, le compte est bon. On comprend mieux pourquoi le sujet pourrait être ouvert à la discussion du grand débat…

« Ça démontre l’impasse budgétaire dans laquelle est le gouvernement, il doit trouver au moins 10 milliards d’euros sur les mesures annoncées pour les gilets jaunes » constate Philippe Dallier, membre de la commission des finances.

Nouvelle usine à gaz

D’un point de vue de la légalité, s’ajoute la question posée par le Conseil constitutionnel. Et d’un point de vue technique, le maintien de la TH pour les 20% les plus aisés créerait une nouvelle usine à gaz, déjà bien engagée pour compenser la suppression de l’impôt pour les communes, qui en bénéficiaient au nom de l’autonomie financière. De quoi s’arracher les cheveux pour les fonctionnaires chargés des collectivités.

Pour le sénateur LREM Julien Bargeton, il faut justement aller « au-delà de ce sujet » de la taxe pour se pencher, « lors du grand débat, pourquoi pas, sur la question des finances locales et des compétences ». Le grand soir des finances locales est annoncé depuis plus d’un an par le gouvernement et devrait – théoriquement – aboutir vers le printemps 2019. Le sénateur de Paris, membre de la commission des finances ajoute qu’« il ne faut pas se focaliser sur le sujet de la taxe d’habitation, mais plutôt voir la question de la fracture territoriale et de la justice entre territoires ». On parie que Bercy ne voit pas les choses uniquement sous cet angle.

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