Tribune de militaires : « ça traduit un vrai malaise », estime Roger Karoutchi

Tribune de militaires : « ça traduit un vrai malaise », estime Roger Karoutchi

Une nouvelle tribune de militaires, anonymes et en service cette fois, publiée dans l’hebdomadaire ultraconservateur Valeurs actuelles relance la polémique. Au Sénat, la droite y voit une détresse des militaires tandis que la gauche et LREM dénoncent une manœuvre politique en vue de la présidentielle tout en s’inquiétant du fond comme de la forme de ce texte.
Public Sénat

Par Héléna Berkaoui

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« La France est une République et son armée est républicaine », rappelle fermement le sénateur socialiste, Jean-Marc Todeschini, après la parution dans l’hebdomadaire ultraconservateur Valeurs actuelles d’une nouvelle tribune de militaires, dimanche soir. La première, parue il y a moins de trois semaines, avait déjà suscité de nombreuses réactions et entraîné des sanctions à l’encontre des signataires.

La ministre des Armées a indiqué que les 52 généraux qui ne sont plus en activité seront traduits devant un conseil supérieur d’armée en vue de leur radiation et que les 18 militaires d’actualité qui ont violé le devoir de réserve seront soumis à des sanctions sous la responsabilité du chef d’État-major des armées.

Dans ces tribunes qui laissent peu de doute quant à l’orientation politique de leurs auteurs, les signataires se targuent de vouloir garantir « la survie de notre pays » qui serait menacé par « l’islamisme et les hordes de banlieue » ou encore par « un certain antiracisme ». Selon eux, la guerre civile serait à nos portes.

Le texte publié par Valeurs actuelles ce dimanche présente la particularité de ne révéler ni le nom du ou des auteurs ni celui des signataires. « On ne descend pas dans le débat public avec une cagoule en prétendant être apolitique et en tenant des propos inouïs », s’offusque le sénateur LREM, André Gattolin. En plus des « abus sémantiques » de cette missive, le sénateur regrette le « vous accusateur » des auteurs qui s’adressent au gouvernement mais aussi aux parlementaires.

Moins de 24 heures après sa publication, cette tribune a recueilli 150 000 signatures selon le décompte de Valeurs actuelles mais comme certains internautes le soulignent, il est possible de signer plusieurs fois. Ainsi, un internaute a signé cet appel deux fois : une fois au nom de Fidel Castro, une autre au nom d’Hugo Chavez.

« Qu’est ce qui prouve que ce sont des militaires en activité ? », interroge également le sénateur LREM des Hauts-de-Seine, André Gattolin. Valeurs Actuelles a avancé que ce texte est porté par 2 000 militaires d’active avant d’expliquer à Libération que ce chiffre était davantage un objectif et que seuls quelques centaines de signatures ont été recueillies à ce stade.

Interrogé sur la matinale de France inter, l’ancien président de la République, François Hollande, soulevait aussi ce point en accusant Valeurs actuelles de bafouer la déontologie journalistique. « C’est inquiétant que Valeurs actuelles fasse une pétition sans signatures, sans que l’on sache qui tient ces propos ou défend cette ligne. Comment peut-on laisser penser que l’armée aujourd’hui serait animée par de tels sentiments ? […] On ne devrait même pas donner crédit à ce que vient de faire Valeurs actuelles : quand il n’y a pas de signatures, il n’y a pas de texte », a-t-il réagi.

Dans la matinale de Public Sénat, le député socialiste Boris Vallaud affirme aussi que ce texte ne saurait refléter l’état d’esprit de l’ensemble des militaires : « Beaucoup de militaires actifs sont parfaitement dans leur responsabilité. Je suis attaché à une armée républicaine au service de la République, de la paix civile qui est la seule façon de vivre ensemble » (voir la vidéo ci-dessous).

Sur le fond, Jean-Marc Todeschini, sénateur socialiste de Moselle et ancien secrétaire d’Etat chargé des Anciens combattants, estime que cette tribune s’apparente à de la « dénonciation calomnieuse ». Le texte accuse le gouvernement de faire des concessions à l’islamisme et évoque des « accommodements avec la délinquance ».

En revanche, pour le sénateur LR des Hauts-de-Seine, Roger Karoutchi, cette missive vient dire avant toute chose le désarroi présent dans les rangs des forces armées. « Il y a un malaise probablement à cause de la situation de l’armée mais aussi à cause de celle du pays alors il faut se poser les vraies questions : qu’est-ce qui fait aujourd’hui l’identité de ce pays ? Est-ce qu’on lutte suffisamment contre l’islamisme politique ? », interprète le sénateur LR.

Pour autant, Roger Karoutchi admet que la démarche puisse interroger, notamment quant au devoir de réserve particulièrement fort dans cette institution : « L’armée est là pour servir le pays et pour des militaires d’active c’est quand même compliqué de prendre des positions politiques mais je comprends le malaise qui doit être traité en tant que tel ».

« Le gouvernement est défié par ces militaires qui portent une vision fantasmée d’une guerre civile dont on connaît l’origine », juge pour sa part le sénateur écologiste, Thomas Dossus. Lors de la parution de la première tribune, son groupe parlementaire avait saisi le procureur de la République de Paris dénonçant « un appel à l’insurrection militaire » et « une menace grave pour la République » (lire ici).

Pour le sénateur écologiste, le défi ne se limite pas à la publication de ces deux tribunes, « il y a un vrai enjeu, il s’agit d’identifier ces courants factieux au sein de l’armée. Il faut au moins une enquête au sein de l’armée et une réaction de la ministre, Florence Parly », appelle-t-il. Thomas Dossus rappelle également les révélations quant à la présence de militaires néonazis au sein de l’armée française.

« L’extrême-droite dans l’armée, ça a toujours existé et le travail est fait au sein de l’armée sur ce sujet », tempère de son côté Jean-Marc Todeschini. « Tout corps constitué compte des individus d’extrême-droite », ajoute en écho André Gattolin. Pour ces derniers, la publication de ces tribunes relève avant tout d’une manœuvre politicienne en vue de la présidentielle de 2022, « Valeurs actuelles mène campagne », lâche le socialiste, Jean-Marc Todeschini.

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