Un rapport du Sénat pour l’amélioration de la justice prud’homale

Un rapport du Sénat pour l’amélioration de la justice prud’homale

À la veille de la décision très attendue de la Cour de cassation sur le plafonnement des indemnités pour licenciement abusif, les sénatrices de la Commission des affaires sociales présentent leur rapport sur la justice prud’homale. À travers leurs propositions, elles souhaitent rendre les CPH plus accessibles et plus fluides pour les justiciables.
Public Sénat

Par Helena Berkaoui

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« La justice prud’homale est au milieu du gué. » Membres de la Commission des Affaires sociales et de la Commission des lois, Agnès Canayer (LR), Nathalie Delattre (RDSE), Corinne Féret (PS) et Pascale Gruny (LR) ont présenté ce mardi leur rapport sur la justice prud’homale. Les conclusions des sénatrices résultent d’un travail de 18 mois au cours duquel elles ont pu documenter les nombreux dysfonctionnements de cette juridiction. À la veille de la très attendue décision de la Cour de cassation sur le plafonnement des indemnités prud’homales pour licenciement abusif, les sénatrices affirment que le débat est assez éloigné des préoccupations de leurs interlocuteurs.

« La barémisation a rouvert un dialogue social en entreprise »

« La barémisation a rouvert un dialogue social en entreprise », affirme Nathalie Delattre
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« La barémisation a rouvert un dialogue social en entreprise », affirme même la sénatrice RDSE, Nathalie Delattre qui voit en ces recours une position dogmatique, éloignée du « fonctionnement pragmatique » de cette juridiction. Ce barème, conspué par les syndicats et plébiscité par le gouvernement et le patronat, pourrait cependant être invalidé par la Cour de cassation demain. Les pourfendeurs de ce dispositif, fustige un barème « injuste » qui sécurise « l’employeur fautif » tout en dissuadant les salariés de saisir les prud’hommes. Selon le rapport des sénatrices, on observe une baisse des contentieux prud’homaux accélérée sur les trois dernières années de 19 % en 2016, de 15 % en 2017 et de 6 % en 2018. Si le plafonnement des indemnités prud’homales a été instauré par les ordonnances dites Macron en 2017, il avait déjà été proposé dans le cadre de la loi Macron en 2015 et dans celui de la loi El Khomri en 2016.

Mais ce débat aussi passionnant soit-il n’est pas au cœur du rapport des sénatrices. Ces dernières ont en effet ausculté le fonctionnement des conseils des prud’hommes (CPH) du territoire, de quoi dresser un tableau de cette juridiction et de ses difficultés. Première observation : « La disparité sur le territoire des conseils des prud’hommes (…) On voit que des textes ne produisent pas les mêmes effets sur l’ensemble du territoire selon l’histoire syndicale, selon les rapports humains entre la magistrature professionnelle et les conseillers prud’hommes », rapporte Nathalie Delattre. Une situation qui se vérifie aussi avec les réformes engagées en 2015 par le gouvernement, indique la sénatrice LR, Agnès Canayer qui observe que « les effets escomptés ne sont pas véritablement réalisés ». Par leurs propositions, les sénatrices entendent « simplifier l’accès à la justice prud’homale et surtout la rendre plus fluide ».

Des propositions pour faciliter l’accès des conseils des prud’hommes aux justiciables

Concrètement, les propositions des sénatrices visent en priorité à réduire les délais des procédures. « Les délais de jugement moyens dépassent 16 mois, voire plus de 30 lorsqu’un juge départiteur doit intervenir », renseigne le rapport. Ce qui amène à une situation ubuesque : « en 2017, l’État a été condamné à 332 reprises pour délais non raisonnables en matière prud’homale, pour un montant approchant 2 millions d’euros ». Un paradoxe quand on sait que le nombre d’affaires nouvelles a baissé de 45 % depuis 2005 (voir le graphique ci-dessous). Si les causes de cette situation sont multiples, les sénatrices pointent le taux d’appel des décisions, bien plus élevé que devant les autres juridictions : deux tiers des jugements au CPH sont frappés d’appel.

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Capture rapport sur la justice prud'homale

La conciliation obligatoire est également remise en cause, cette procédure aboutissant seulement dans 8 % des affaires. Les sénatrices proposent que la conciliation devienne facultative. Il s’agirait alors de mettre en place un bureau d’orientation qui sélectionnerait les affaires pour lesquelles une conciliation, une médiation ou un autre mode de règlement à l’amiable pourrait être tenté. Le cas échéant, ces affaires seraient renvoyées devant un bureau de jugement.

Pour faciliter l’accès à la justice des citoyens, les sénatrices proposent une révision du barème de l’aide juridictionnelle. Selon leurs interlocuteurs, la complexité des formulaires CERFA est aussi en cause. Ce formulaire découragerait certains justiciables à faire valoir leurs droits et imposerait une charge de travail excessive aux greffes.

Rétablir le lien de confiance entre les justiciables et les conseils des prud’hommes

Dans ce rapport, il est aussi question de rétablir le lien de confiance entre les justiciables et les conseils des prud’hommes. Une entreprise qui passe nécessairement par le renforcement de ces juridictions. Comme nombre d’observateurs, les sénatrices rapportent un manque de moyens humains et matériels criants, de nombreuses préconisations sont formulées en ce sens. Les sénatrices estiment également qu’il faudrait consolider le rôle et le statut des conseillers prud’homaux, ces juges non professionnels qui sont soit salariés, soit employeurs.

Le rapport préconise de consolider la formation des conseillers prud’homaux avec la mise en place d’une formation continue obligatoire, sous l’égide de l’École nationale de la magistrature. Pour le caractère symbolique, les sénatrices envisagent de remplacer la simple médaille des conseillers par le port de la robe, comme pour les magistrats professionnels. Elles souhaitent également que les conseillers prud’homaux se soumettent à une déclaration d’intérêts qui resterait privée. Là encore cette exigence déontologique est d’ores et déjà appliquée aux magistrats et aux juges consulaires des tribunaux de commerce.

Au cours de leurs travaux, les sénatrices ont observé que le bon fonctionnement des CPH tenait pour beaucoup à la qualité des relations entre conseillers prud’homaux et magistrats professionnels. Leurs compétences étant complémentaires. C’est la raison pour laquelle, elles souhaitent que les échanges entre ces acteurs centraux des prud’hommes soient privilégiés et encouragés notamment par les chefs de cours d’appel.

L’ensemble des préconisations des sénatrices sera soumis à la garde des Sceaux sous peu. En l’absence d’un accueil favorable, les sénatrices porteraient leurs propositions par la voie d’une proposition de loi.  

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