Venezuela : « les populations fuient pour des raisons plus économiques que politiques »

Venezuela : « les populations fuient pour des raisons plus économiques que politiques »

Ils sont plus de 5 000 à fuir leur pays chaque jour : pénurie alimentaire et sanitaire, hyperinflation, répression politique, criminalité record… Qu’est-ce qui pousse les populations à fuir le Venezuela, ancien fleuron de l’Amérique latine et principale réserve pétrolière de la planète ? Les généreuses années chavistes sont loin derrière, et la dérive autoritaire du régime de Nicolás Maduro inquiète, mais il semble que la crise économique prenne le dessus. Explications.
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Par Marie Oestreich

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Une population poussée à l’exil

Chaque jour, des milliers de Vénézuéliens poussés à l’exil débarquent sur le pont Simon-Bolivar, qui marque la frontière avec la Colombie. 10 % de la population a fui le Venezuela depuis 2015 d’après les derniers chiffres du Haut-Commissariat de l’ONU (HCR), et on se situe aujourd’hui dans le plus grand mouvement de population de l’histoire récente de l’Amérique latine. Andreina Flores, journaliste vénézuélienne réfugiée à Paris, compare cette situation à celle de la caravane de migrants qui a quitté le Honduras il y a un plus d’un mois : « Si on considère 8 000 migrants dans la caravane du Honduras, au Venezuela on parle de 5 000 personnes qui fuient le pays tous les jours, on peut faire plusieurs caravanes avec ça. » Les pays frontaliers, à l’instar de la Colombie où sont arrivés près d’un million de Vénézuéliens, selon l’autorité migratoire Migración Colombia, ou encore le Pérou, qui tend à fermer ses frontières, peinent à faire face à ce défi migratoire inédit.

Qualifiée de « système autoritaire de fait » par Serge Ollivier, docteur et spécialiste de l’histoire récente du Venezuela, qui rappelle l’absence de contre-pouvoirs et le musellement des partis d’opposition depuis l’élection d’une assemblée constituante en août 2017, la politique de Nicolás Maduro est une « dictature » pour Emmanuel Macron. Tout pourrait laisser à penser que c’est la dérive autoritaire qui pousse en premier lieu les populations à partir, et pourtant, Andreina Flores, journaliste vénézuélienne réfugiée à Paris rappelle qu’aujourd’hui : « les populations fuient pour des raisons plus économiques que politiques ».

« Aujourd’hui il n’y a pas de contre-pouvoir au Venezuela » #UMED
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Un demi-mois de salaire pour une boîte d’œufs

À titre d’exemple concret, aujourd’hui au Venezuela, pour se procurer une boîte d’œufs, c’est la moitié d’un salaire minimum qu’on doit dépenser. En cause, l’inflation record qui selon le FMI atteindra 1 000 000 % d’ici la fin de l’année 2018. « L’inflation la plus haute du monde », martèle Andreina Flores, qui rend le moindre approvisionnement en produits de base périlleux. Couplée au manque de diversification de l’économie vénézuélienne qui repose majoritairement sur le pétrole, cette inflation entraîne des pénuries massives en termes d’alimentation et de médication : « 90 % de médicaments manquants » d’après Serge Ollivier, et des aliments de base introuvables sur le territoire vénézuélien comme « le poulet, la viande, le riz, le sucre » explique Andreina Flores.

Venezuela : une crise économique profonde #UMED
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Résultat, d’après la journaliste, les Vénézuéliens sont forcés de tenir des journées de travail de 20 heures pour survivre dans leur pays. Autre alternative : s’engager dans une contrebande florissante au Venezuela, qui consiste à revendre des produits vénézuéliens en dollars (par exemple : de l’essence) plutôt qu’en bolivar dans les pays frontaliers, afin de contourner la crise monétaire. Contrebande dont la garde nationale aux frontières est complice, et tire profit de la situation dans des proportions non négligeables.

« La crise ne s’explique pas uniquement par la chute des cours du pétrole »

En cause ici : « la chute des cours du pétrole qui a entraîné une récession de 4 années consécutives au Venezuela », une première, précise Serge Ollivier. Pour l’historien, cette situation économique désastreuse ne prend pas seulement racine dans la crise pétrolière mais aussi dans « une incompétence crasse et une corruption abyssale » du régime politique et économique chaviste qu’il juge « extrêmement irresponsable ». Mais c’est aussi « l’étatisation » de l’économie sous ce même régime qui a mis à mal toute l’économie vénézuélienne pour Renée Fregosi, philosophe et politologue. « C’est tout l’appareil productif qui a été déstructuré par les expropriations », subies par de nombreux dirigeants, notamment de PME.

Djordje Kuzmanovic, orateur national de la France Insoumise, a une autre explication, il pointe du doigt l’ingérence des États-Unis dans la politique économique du pays qui de son point de vue mérite d’être soulignée. Signalant un « blocus pour l’accès au dollar » de l’administration Trump, il dénonce « les sanctions irréversibles pour l’économie du Venezuela » qu’il considère comme un « ordre de guerre qui rend très complexe les échanges » entre les deux pays. Pour Serge Ollivier, l’argument d’une origine américaine de la crise économique vénézuélienne relève d’un « discours de propagande du gouvernement Maduro », d’autant plus que la crise des liquidités au Venezuela date de la fin du régime chaviste.

Le Venezuela, un pays sous emprise extérieure ? dans le viseur des Etats-Unis ? #UMED
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Pour stopper l’hémorragie migratoire, le Venezuela va devoir reprendre pied économiquement, et revenir à un équilibre budgétaire stable. Mais cela sera-t-il suffisant alors que la situation politique du pays est encore obscure et que la voix de l’opposition apparaît fortement bridée ?

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