Des voitures de polices transformées en torches. Le 8 octobre 2016, 16 personnes avaient attaqué, pour certaines avec des cocktails Molotov, deux voitures de police stationnées près du quartier de la Grande Borne, une cité très sensible de l’Essonne. Dans une première voiture, un adjoint de sécurité de 28 ans et une gardienne de la paix de 39 ans avaient pris feu. Deux agents étaient parvenus à s’extirper de l’autre voiture et avaient été blessés plus légèrement.
Samedi, la cour d’assises des mineurs de Paris a condamné, en appel, cinq des treize jeunes à des peines allant de six à dix-huit ans de réclusion criminelle pour leur rôle dans l’attaque et a par ailleurs prononcé huit acquittements. Le verdict, plus clément qu’en première instance, a suscité le courroux des forces de l’ordre et des manifestations ont eu lieu devant certaines juridictions.
Dans la matinale de Public Sénat mardi matin, Frédéric Péchenard, le vice-président LR de la région Île-de-France chargé de la sécurité, a apporté son soutien aux policiers. « Il y a une espèce de ras-le-bol », estimait-il. « Les violences ont particulièrement augmenté contre les forces de l’ordre », a assuré Frédéric Péchenard qui y voit « un recul de l’autorité de l’Etat » mû par « un sentiment d’impunité ». Pour l’ancien directeur général de la police nationale, le problème réside dans l’application des peines : « On arrivera à récupérer le terrain quand il y aura une sanction en face de chaque peine ». Dimanche, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a apporté son soutien aux forces de l’ordre, tweetant qu’il « recevrait personnellement la semaine prochaine les policiers victimes. »
Mais ce mercredi, Mediapart révèle que les investigations menées sont entachées de PV tronqués, d’éléments à décharge cachés et de violences en garde à vue. Deux prévenus, Foued, 22 ans, et Dylan, 25 ans, ont ainsi passé 4 ans pour le premier et 18 mois pour le second en détention, avant d’être acquittés.
Sans surprise, au Sénat, la droite soutient les forces de l’ordre, quand la gauche dénonce une instrumentalisation et une surenchère sécuritaire.
« Il faut une stratégie globale de désescalade »
N’allez pas parler à Jean-Pierre Grand de manquements dans l’enquête policière. Le sénateur LR, qui a participé au Beauvau de la sécurité, balaye de la main les questions sur les éléments révélés par le site d’investigation. « Je ne peux pas vous répondre. Mais 50 millions de Français pensent comme moi » Comme lui ? Un soutien net et franc aux policiers. « Je comprends parfaitement que les policiers soient en colère, désabusés. Les images que diffusent les médias, des policiers qu’on a tenté d’assassiner, sont dans la tête de nos concitoyens. Personne ne peut imaginer qu’on puisse en sortir aussi facilement. C’est un message terrifiant pour les jeunes délinquants et criminels : ils ont une forte chance d’impunité ! », déplore le sénateur de l’Hérault. Comme le rapportait Le Parisien, l’avocat d’un des prévenus a tout de même déposé deux plaintes visant les enquêteurs pour faux et usage de faux.
Même son de cloche du côté de Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR. « C’est très compliqué pour le peuple français de comprendre comment fonctionne le jury d’appel. Le doute profite aux accusés. Et les peines sont faibles par rapport aux faits », estime l’ancien corapporteur de la proposition de loi sur la « sécurité globale ». Des PV tronqués ? « Je n’en sais rien », écarte-t-il. Et poursuit : « Il y a eu des policiers brûlés vifs. La peine est insuffisante. Et au regard des conditions dans lesquelles les accusés sont acquittés, on peut se poser des questions sur l’efficacité de la justice en France. On a une société qui est de plus en plus acquittée, mais de plus en plus violente ». Face à cela, l’élu de la chambre Haute regrette que les seules réponses soient « les peines proportionnées et les réductions automatiques des peines ». « Tout ça n’est plus adapté au contexte sociétal dans lequel on vit », martèle l’ancien ministre.
Sénateur centriste, également corapporteur de la loi « sécurité globale », Loïc Hervé comprend lui aussi « l’émoi des victimes. C’est une agression d’une violence inouïe qui débouche sur des peines faibles. » L’élu de Haute-Savoie a lu le réquisitoire du procureur général. « Quand on éclaire les jurés d’assises, je voudrais qu’on le fasse avec toute la sévérité qui préside. Trouver des circonstances atténuantes, ça commence à bien faire pour les policiers. Il va falloir que dans notre pays, force reste à la loi. C’est ce que nous avons voulu faire dans le texte sécurité globale », argue-t-il.
A contrario, s’il refuse de se prononcer sur une décision de justice, le sénateur socialiste Jérôme Durain observe, lui, une « dérive martiale, droitière, hypersécuritaire » à partir du procès de Viry-Châtillon. « Au fond le sujet, c’est que plutôt de dire que nous avons des efforts à faire entre police et population, on est en train d’adhérer à une thèse selon laquelle les policiers sont maltraités. Mais en l’espèce, ce que révèle Mediapart, c’est que tout n’est pas blanc d’un côté et noir de l’autre », soulève celui qui a participé au Beauvau de la sécurité. « En continuant d’enfoncer ce clou, on creuse encore le fossé avec une partie de la population. Il faut une stratégie globale de désescalade », plaide-t-il.
« On a qu’à confier la justice à l’intelligence artificielle ! »
D’autant qu’une proposition venue d’un candidat à la présidentielle l’a conforté dans son analyse. Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France, a suggéré sur Europe 1 de créer « une peine de prison automatique » pour les agresseurs de policiers. Il demanderait ainsi aux Français de se prononcer à l’automne 2022 sur une modification de la Constitution s’il était élu. Ce qu’a immédiatement moqué le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, ravi de pointer « l’énormité du propos ». « Il suffit d’interpeller des gens accusés de violence contre les policiers pour qu’ils soient condamnés ? », a-t-il renchéri sur RTL mercredi matin. Sur Facebook, Xavier Bertrand a rétropédalé : « Une peine automatique minimale reste une peine, prononcée par un tribunal, au terme d’un procès équitable, dans le respect du contradictoire et sur la base d’un dossier et de preuves permettant d’établir les faits […] si et seulement si le procès conclut à [la] culpabilité » de l’accusé.
« Quand je pensais que sa candidature était censée incarner une certaine centralité… », souffle Jérôme Durain qui observe que tout le débat public est focalisé sur le sécuritaire, campagne d’Emmanuel Macron à l’appui. « On entretient la rage, la haine, le face-à-face, le sentiment d’injustice. On se prépare à une situation généralisée de défiance. C’est la politique du gros bâton. Si encore ça avait des résultats de terrain… », pointe-t-il.
Loïc Hervé moque aussi la proposition du candidat Bertrand. « J’ai beaucoup de mal avec tout ce qui est automatique. Ça me paraît trop. Ceux qui demandent ce genre de peine demanderont l’inverse demain ». Il ironise : « On a qu’à confier la justice à l’intelligence artificielle ! » Et d’adresser un conseil à l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy : « Xavier Bertrand devrait regarder comment fonctionne un jury populaire ».
Même dans son propre camp, la proposition de Bertrand est raillée. « Ça ne me paraît pas très sérieux. On ne met pas des gens en prison éternellement et sans preuves. Il faut éviter ce genre de chose, la surenchère politique pas sérieuse… Il y a Marine Le Pen pour ça », tacle Jean-Pierre Grand. Seul Marc-Philippe Daubresse, fervent soutien du président des Hauts-de-France, décèle des vertus dans la fameuse proposition. « Bertrand a raison. J’ai été confronté en permanence dans la loi sécurité globale, à des articles de l’Assemblée qui étaient inconstitutionnels. Si on veut bouger les choses il faut réformer la Constitution de manière mesurée. Il faut toujours penser qu’un dictateur peut arriver à la tête du pays », prévient-il. « Au regard de notre société, on peut se poser la question d’introduire des dispositifs plus sévères pour protéger les forces de l’ordre. Le chef de l’Etat veut modifier la Constitution pour l’écologie ? Pourquoi on ne le ferait pas pour la sécurité ? », interroge-t-il.
Tous conviennent que la sécurité aura une place centrale dans la campagne de 2022, déjà bien engagée. Ce que regrettent Jérôme Durain comme Loïc Hervé. « Il y a cette espèce de débat permanent sur la sécurité, l’immigration, l’islam. J’ai voté contre le texte séparatisme. Le spectacle donné par certains sénateurs montre la surenchère sur ce sujet-là ! Ça finit avec des scores élevés du RN ! », fustige le centriste. Et d’asséner : « Chacun devra assumer ses responsabilités. »