Visite de Benyamin Netanyahu à Paris : « L’objectif, c’est d’obtenir un certificat de respectabilité »
Dans le cadre du colloque « Israël-Palestine : Etat des lieux », organisé le 3 février 2023 au Sénat par la sénatrice Esther Benbassa et à la lumière de l’actualité récente du pays, Public Sénat a interrogé Vincent Lemire, historien, directeur du CRFJ et professeur à l’université Paris-Est/Gustave Eiffel, sur la situation politique en Israël.

Visite de Benyamin Netanyahu à Paris : « L’objectif, c’est d’obtenir un certificat de respectabilité »

Dans le cadre du colloque « Israël-Palestine : Etat des lieux », organisé le 3 février 2023 au Sénat par la sénatrice Esther Benbassa et à la lumière de l’actualité récente du pays, Public Sénat a interrogé Vincent Lemire, historien, directeur du CRFJ et professeur à l’université Paris-Est/Gustave Eiffel, sur la situation politique en Israël.
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Par Lucille Gadler et Mathilde Nutarelli, images de Flora Sauvage

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Le 2 février 2023, le premier ministre d’Israël Benyamin Netanyahu effectuait sa première visite en Europe depuis sa réélection, en novembre 2022. Et c’est à Paris que le chef du gouvernement israélien a choisi de se rendre, alors qu’Israël connaît un regain de tensions nationales et internationales.
Le 27 janvier dernier, un homme a ouvert le feu près d’une synagogue à Jérusalem, tuant 7 personnes, intensifiant les tensions entre Israéliens et Palestiniens. En représailles, le gouvernement de coalition entre la droite et l’extrême-droite de Benyamin Netanyahu a révoqué les droits à la Sécurité sociale des familles des Palestiniens soupçonnés d’avoir mené ces attentats et a mis leur maison sous scellés. Côté palestinien, d’après les chiffres du ministère de la santé, une trentaine de décès sont à dénombrer depuis le début de l’année 2023. A cela s’ajoute une crise démocratique qui se fait sentir dans le pays. Yariv Levin, ministre de la Justice, souhaite en effet faire adopter une réforme de la justice. Parmi les modifications envisagées, l’introduction d’une clause de contournement permettant de refaire voter sous 3 mois les lois annulées par la Cour Suprême, ou encore la possibilité de peser sur la nomination des juges.

Dans le cadre du colloque « Israël-Palestine : Etat des lieux », organisé le 3 février 2023 au Sénat par la sénatrice Esther Benbassa, Public Sénat a interrogé Vincent Lemire, historien, directeur du CRFJ et professeur à l’université Paris-Est/Gustave Eiffel, sur la situation politique en Israël.

Quel était l’objectif de Benyamin Netanyahu en se rendant en visite à Paris, le 2 février dernier ?

L’objectif, c’est d’obtenir, avec une photographie et un aller-retour de 24 heures, un certificat de respectabilité et d’honorabilité. Parce que la France est un pays capable de lui en décerner un : elle est un membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, c’est le seul membre permanent du conseil de sécurité qui est également membre de l’Union européenne. C’est ce que Netanyahu est venu chercher.

Yariv Levin souhaite faire adopter une réforme de la justice. Comme cela a été le cas en Hongrie, les attaques aux institutions judiciaires sont souvent annonciatrices d’attaques plus globales sur les systèmes démocratiques. Aujourd’hui, y a-t-il un réel danger sur la démocratie israélienne, notamment au regard de la réforme sur la Cour suprême ?

C’est ce que disent les Israéliens, c’est ce que dit aussi la présidente de la Cour Suprême, Esther Hayut, qui n’a pas l’habitude de prendre la parole, encore moins face aux médias. Si cette réforme passe, ça serait « un coup fatal », ce sont ses mots, c’est-à-dire un coup mortel porté à la démocratie Israélienne. Donc je crois qu’il faut d’abord écouter les acteurs israéliens qui constatent qu’on est en marche vers une démocratie illibérale, un peu comme celle de Viktor Orban, en Hongrie. Viktor Orban, qui est par ailleurs très proche de Benyamin Netanyahu.

Y a-t-il un réel soutien au gouvernement de Benyamin Netanyahu de la part de la population israélienne ?

A la première table ronde ce matin, le journaliste Dominique Vidal a donné des chiffres intéressants, qui montrent la réaction de la population face à la radicalisation de ce gouvernement au cours de la première semaine. Les conditions de négociations de la coalition et le fait que Benyamin Netanyahu ait cédé énormément de choses à ses alliés d’extrême droite, Ben-Gvir et Smotrich, fait que le taux d’adhésion de la population israélienne est déjà en recul. Le nombre de députés du Likoud, parti de Netanyahu, virtuellement élus aujourd’hui, s’il y avait des élections, serait de 62 au lieu de 64 (sur les 120 sièges de la Knesset, le parlement monocaméral d’Israël).

Il y a jusqu’à 130 000 personnes dans les manifestations à Tel Aviv tous les samedis. 130 000 pour 7 millions de juifs israéliens, cela correspond à plus d'un million de personnes en France. Il y a, c’est vrai, une forme de réveil démocratique de l’opposition en Israël. Par contre, c’est un réveil qui concerne uniquement la question de la démocratie israélienne et pas du tout la question israélo-palestinienne, encore moins palestinienne. Cela est dû à deux choses, d'abord à un choix stratégique du centre et de la gauche. Pour rassembler 130 000 personnes dans la rue, il faut évacuer la question israélo-palestinienne. Ensuite, les seuls partis qui s'intéressent à cette question, la gauche et le centre, n'ont plus d'horizon politique sur le sujet depuis la mort des accords d'Oslo. Ils doivent réinventer un logiciel politique sur la question, ce qui prend du temps, d'où le débat autour de la question de la situation d'"apartheid" et le manque de consensus. 

Est-ce que la position de Netanyahu sur l’Iran est une manière de forcer les Occidentaux à fermer les yeux sur les agissements de son gouvernement contre la démocratie ?

Ces grandes questions géostratégiques n’obéissent pas au même type d’agenda. Personne ne sait quand auront lieu les frappes israéliennes. Personne ne savait que des drones, dont on a finalement appris qu’ils étaient israéliens, allaient frapper Ispahan, il y a de ça une semaine. Le soutien d’Israël à l’Ukraine est relativement modéré pour ne pas dire plus. Parce que ce qui compte pour le gouvernement israélien, d’extrême droite, de droite ou de gauche, c’est la question de la sécurité. Se fâcher avec la Russie, ce n’est pas une option pour le gouvernement. Les questions de politiques intérieures n’entrent pas véritablement en ligne de compte.

Quelle position peuvent adopter les Occidentaux ? Faut-il boycotter Netanyahu ? Emmanuel Macron a rappelé lors de son dîner avec Benyamin Netanyahu la « ferme opposition de Paris à la colonisation », est-ce suffisant ?

Le lieu adéquat sur ces questions, ce sont les Nations Unies, c'est-à-dire la diplomatie multilatérale. Et de fait, les votes ont montré que la France, lors du dernier conseil de sécurité, à l’Assemblée générale, essayait de maintenir une ligne ferme et droite sur la question du droit international. C’est le seul lieu où on peut le faire efficacement, ce qui n’est pas forcément le cas dans le cadre de la relation bilatérale entre la France et Israël.

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