La délégation aux droits des femmes et la commission des lois qui mènent conjointement une mission d’information pour évaluer l’efficacité des mesures visant à lutter contre cette récidive, auditionnaient ce jeudi plusieurs psychiatres et psychologues experts.
Alors que 6 000 personnes, en grande majorité des hommes sont condamnés chaque année dans des affaires de violences sexuelles, ces experts interviennent à plusieurs stades de la procédure, que ce soit en garde à vue, avant leur sortie détention, ou encore dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire avec injonction de soins.
La mission s’intéressait donc au rôle de ces experts dans la prévention de la récidive. Roland Coutanceau, expert psychiatre, président du Syndicat national des experts psychiatres et psychologues (Snepp), rappelle, tout d’abord, que l’évaluation se fait en plusieurs étapes. D’abord sur l’homme, l’acte en lui-même, et le témoignage de la victime. « On ne peut pas analyser quelqu’un si on n’a pas en contrepoint le discours de la plaignante et explorer la vie affectivo sexuelle », a-t-il détaillé.
Concernant spécifiquement l’évaluation du risque. « Il y a le risque dans l’analyse de l’homme et le risque dans l’analyse de l’acte », a-t-il distingué. S’appuyant sur une étude statistique réalisée outre Atlantique, Roland Coutanceau relève « que contrairement à ce que pense l’opinion publique, nombre d’auteurs d’agression sexuelle ne récidivent pas ».
« Si on accompagne un père incestueux dans une injonction de soins, on a une probabilité de récidive quasi nulle »
Le psychiatre distingue ensuite le risque de récidive selon l’acte. « Les auteurs d’agressions sur les jeunes garçons extrafamiliaux forment le groupe le plus récidivant […] le deuxième groupe le plus récidivant, ce sont les violeurs sur adultes ». Pour ce deuxième groupe, trois facteurs de risques, selon l’acte, sont à prendre en compte pour déterminer la dangerosité et le risque de récidive : si la victime est inconnue de son agresseur, s’il a utilisé une arme et s’il l’a séquestré. « Statistiquement, il y a des gens plus inquiétants que d’autres », appuie-t-il. Pour ces profils, il préconise d’utiliser leur temps de peine pour effectuer le suivi d’accompagnement. A l’inverse, il note que « l’inceste judiciarisé récidive peu ». « Si on accompagne un père incestueux dans une injonction de soins, on a une probabilité de récidive quasi nulle ».
« Les experts psychiatres ne sont pas mauvais pour diagnostiquer les individus […] là où on est moins bons, c’est sur la question de la dangerosité », reconnaît Laurent Layet, expert psychiatre, représentant de l’Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej), président de la Compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d’appel (CNEPCA). « C’est une évaluation à l’instant T mais aussi une projection dans le futur et ça, c’est beaucoup plus compliqué ».
Laurent Layet regrette une tendance chez les magistrats à faire expertiser les auteurs par des psychiatres et les victimes par des psychologues. « Ça n’a aucune base scientifique. Un même expert peut expertiser l’auteur et la victime. Ça peut être très riche au niveau de la dynamique criminologique, pour (comprendre) la relation d’emprise », a-t-il préconisé.
« Manque criant de prévention »
Chez les psychologues, Florent Simon, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP) relève justement « qu’assez peu d’auteurs sont atteints de troubles psychiatriques ». « Pour nous, il ne nous semble pas pertinent de penser la notion de récidive sous l’angle unique de la psychopathologie ou de la psychiatrie ». Il constate également qu’un certain nombre d’auteurs ont, eux, même subi des agressions sexuelles ou des viols. « Cela montre la nécessité d’un véritable travail sur la prévention et une attention portée sur les mineurs auteurs ». Il demande de renforcer les postes de psychologues et de soignants dans les établissements pénitentiaires et les centres médico-psychologiques et de créer des centres spécialisés qui permettraient de favoriser un suivi en continu et sur du long terme.
« Selon un récent rapport de la protection judiciaire de la jeunesse, les auteurs représentent la moitié des mises en cause dans les affaires de viols et d’agression sexuels sur mineurs. 95 % sont des garçons et les moins de 13 ans représentent près de 30 % des auteurs », insiste-t-il.
Florent Simon regrette lui aussi « un manque criant de prévention » notamment sur le risque lié à l’exposition des mineurs à la pornographie. Un sujet qui avait l’objet d’un rapport de la délégation aux droits des femmes, il y a deux ans.