« À aucun moment on ne nie les atrocités du 7 octobre », les dirigeants de l’Agence France Presse s’expliquent sur leur couverture de la guerre Israël-Hamas

Auditionnés par la commission de la culture du Sénat, le PDG et le directeur de l’information de l’Agence France Presse se sont expliqués sur leur suivi du conflit entre Israël et le Hamas. Depuis la fin du mois d’octobre, l’agence est critiquée pour son refus de qualifier dans ses dépêches le Hamas d’organisation terroriste.
Rose Amélie Becel

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« On monte en épingle un sujet depuis des semaines, c’est quand même dingue. À aucun moment on ne nie les atrocités du 7 octobre ! » Ce mardi, peu avant la fin de son audition par la commission de la culture au Sénat, le PDG de l’Agence France Presse (AFP) Fabrice Fries tient à faire cette mise au point une bonne fois pour toute.

L’agence d’information, qui est implantée dans 151 pays pour couvrir l’actualité et la transmettre sous forme de dépêches à de nombreux médias, est au cœur d’une polémique sur son traitement du conflit entre Israël et le Hamas. Le 27 octobre, un article du Figaro rendait compte d’une note interne de l’agence, indiquant que l’usage du qualificatif « terroriste » est « proscrit » pour décrire le Hamas.

Le lendemain, dans un communiqué, l’AFP a expliqué qu’il s’agissait d’une « disposition de longue date, conforme aux politiques rédactionnelles des autres agences de presse internationales ». Selon l’agence, tout est une question de contexte d’utilisation du terme de terroriste, elle précise ainsi refuser de qualifier des « mouvements, groupes ou individus de terroristes sans attribuer directement l’utilisation de ce mot ou sans utiliser des guillemets ».

« Le mot terroriste n’apporte absolument rien à nos descriptions »

Les sénateurs de la commission culture n’ont pas tous été convaincus par ces explications préalables à l’audition des dirigeants de l’AFP. Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, s’est par exemple interrogé du fait que le mot « terroriste » soit déjà apparu dans plusieurs dépêches de l’agence par le passé : « Le 7 janvier 2015, vous qualifiez d’attentat terroriste l’attentat de Charlie Hebdo et pour autant vous ne voulez pas qualifier le Hamas de terroriste. »

À ce sujet, Phil Chetwynd, directeur de l’information de l’AFP également auditionné, plaide l’erreur humaine. « Oui, il est possible de trouver sur le fil de l’AFP, qui contient des millions de documents, des exemples où le style n’est pas respecté. Il y a des erreurs. Mais il y a 99,9 % des situations où le mot terroriste est employé sur le fil dans un contexte correct », explique le journaliste.

Sur la couverture précise du conflit entre Israël et le Hamas, Phil Chetwynd demande aux sénateurs d’observer la totalité de la couverture de la guerre faite par l’agence, depuis les attaques du 7 octobre. « Tout ce qu’on a décrit dans le sud d’Israël, dans les kibboutz, est décrit avec des mots qui rendent absolument clair que c’est atroce. Le mot terroriste n’apporte absolument rien à nos descriptions. Ce qu’on privilégie toujours, c’est de raconter ce que l’on voit », se défend-il.

Les chiffres du Hamas sur le bilan humain à Gaza « considérés comme fiables »

Autre source de critique du travail de l’AFP, l’utilisation des chiffres du ministère de la Santé de Gaza – administré par le Hamas – pour rendre compte du bilan humain des bombardements de l’armée israélienne dans l’enclave palestinienne. Le journaliste estime de son côté qu’il s’agit d’une source fiable : « Les chiffres partagés par les autorités administratives du Hamas sont considérés comme fiables par l’ONU et les ONG qui travaillent sur place. Ils sont très détaillés, on a des noms de famille. Ils ne sont pas énormément contestés par les autorités israéliennes. »

Les dirigeants de l’agence ont tout de même émis quelques regrets sur leur traitement de la frappe contre l’hôpital Al-Ahli de Gaza City, survenue le 17 octobre. Le soir même, le Hamas évoquait un bilan de près de 500 victimes et un tir de l’armée israélienne. Mais les autorités de l’Etat hébreu contestent ce bilan, estimant qu’il s’agit du tir raté d’une roquette du Jihad Islamique, allié du Hamas, avec un bilan humain bien moins important. « Nous aurions dû être plus prudents dans la manière dont nous avons écrit la dépêche. Nous aurions dû être plus fermes sur le fait que l’AFP n’était pas sur place et donc pas en mesure de confirmer les allégations du Hamas », reconnaît Phil Chetwynd.

Des accusations d’antisémitisme « graves et infamantes »

Pour tenter d’éteindre les accusations sur son traitement de l’information jugé par certains pro-palestinien, le directeur de l’information de l’agence a également indiqué qu’il s’agissait d’une polémique « purement française, qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Elle sidère nos équipes dans la région, plutôt habitués à entendre que notre agence fait le jeu d’Israël ».

L’agence doit aussi faire face à des accusations d’antisémitisme, jugées « graves et infamantes » par son PDG. « L’AFP est née en août 1944, grâce à l’action d’une poignée de résistants bientôt rejoints par des rescapés de la Shoah, pour mettre fin à la propagande et à la censure imposée par l’occupant nazi à l’Office français de l’Information alors en place », a tenu à rappeler Fabrice Fries.

Sur X, anciennement Twitter, le député des Français de l’étranger Meyer Habib (apparenté LR) avait dénoncé « l’antisémitisme, la haine d’Israël et l’apologie du terrorisme hélas niché parfois au cœur de l’AFP ». À la fin de son audition Fabrice Fries a indiqué aux sénateurs que, constatant que le député n’avait pas retiré ses propos, l’AFP allait porter plainte.

À Gaza, des journalistes « dans une précarité extrême »

Le directeur de l’information de l’agence a également souligné auprès des sénateurs la difficulté exceptionnelle de la couverture du conflit actuel : la bande de Gaza n’est pas accessible depuis l’extérieur. Habituellement aidés en temps de conflit par des renforts, les 7 journalistes de l’AFP qui couvrent en permanence l’actualité de l’enclave se retrouvent donc seuls, « dans une précarité extrême » selon Phil Chetwynd.

« Nos journalistes et leurs familles, au total cela représente 70 personnes, sont dans une situation très difficile dans le sud de Gaza. Nous avons évacué nos bureaux à Gaza City il y a deux semaines, car ils sont dans la zone où Israël a demandé à tout le monde de fuir », indique le directeur de l’information.

Le 2 novembre, l’immeuble qui abrite les locaux de l’agence dans l’enclave palestinienne a été touché par une frappe, si elle n’a fait aucune victime « les dommages du bâtiment sont considérables » déplore le directeur de l’information. L’agence conserve cependant un live vidéo transmettant des images en direct à Gaza City, elle est la seule agence de presse internationale à avoir un tel dispositif.

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