Accès à l’IVG : « En France, l’avortement est encore un acte à part, certaines femmes sont culpabilisées, infantilisées »

Après l’entrée de l’IVG dans la Constitution, la commission des affaires sociales du Sénat se penche sur les conditions d’accès à l’avortement. Elle auditionnait ce matin les responsables de la confédération nationale du Planning familial, qui rappellent que les lois votées pour faciliter l’accès à cette pratique restent en partie inefficaces.
Rose Amélie Becel

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Depuis l’entrée de l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, la commission des affaires sociales du Sénat a lancé une mission d’information sur les conditions d’accès à l’avortement. Les trois rapporteurs – les sénateurs Alain Milon (LR), Brigitte Devésa (Union centriste) et Cathy Apourceau-Poly (PCF) – menaient ce 27 mars leur première audition publique, en compagnie de la présidente de la confédération nationale du Planning familial Sarah Durocher et d’Albane Gaillot, chargée de plaidoyer au Planning.

Pour l’association, les difficultés d’accès à l’IVG persistent en France, avec de grandes disparités sur le territoire. Le Planning familial alerte également sur la forte mobilisation de mouvements anti-avortement, qui pratiquent la désinformation sur internet et les réseaux sociaux, mais freinent également l’adoption de politiques ambitieuses en matière d’éducation sexuelle. « En France, l’avortement est encore un acte à part, certaines femmes sont culpabilisées, infantilisées », déplore Albane Gaillot.

« Lorsque vous tapez dans un moteur de recherche “je veux avorter”, vous avez une chance sur deux de tomber sur un site anti-choix »

« Les anti-choix, les anti-droit, attaquent de manière très régulière le Planning familial. Pendant le vote de la constitutionnalisation, il y a eu trois attaques en une semaine sur nos antennes », alerte Sarah Durocher. Mais, pour la présidente du Planning familial, ces actes de vandalisme qui ont récemment touché des centres partout en France ne constituent pas les atteintes les plus graves à l’accès à l’avortement.

Pour Sarah Durocher, sur le terrain, le premier obstacle à la pratique de l’IVG reste la désinformation : « Aujourd’hui, lorsque vous êtes enceinte et que vous tapez dans un moteur de recherche “je veux avorter”, vous avez une chance sur deux de tomber sur un site anti-choix ». Depuis 2017, l’entrave numérique à l’IVG est pourtant un délit qui expose les coupables de désinformation à des peines allant jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. Pourtant, les mouvements anti-avortement disposent toujours de moyens conséquents pour acheter des noms de domaine sur internet et ainsi facilement se positionner en tête des recherches, déplore le Planning familial. « Nous avons mis deux ans à lancer un chat en ligne, en parallèle de notre numéro vert, car nous n’arrivions pas à le faire financer. Lorsque le chat est sorti, il a fallu seulement deux mois aux anti-choix pour faire la même chose », dénonce Sarah Durocher.

Dans cette « bataille numérique », les anti-avortement s’appuient également de plus en plus sur les réseaux sociaux. En janvier dernier, la Fondation des femmes alertait dans un rapport sur la recrudescence des discours anti-IVG sur ces plateformes, expliquant notamment qu’un cinquième des vidéos recommandées par Instagram au sujet de l’avortement contiennent de fausses informations.

Seulement 15 % des jeunes ont accès aux cours d’éducation sexuelle dans leurs établissements

En matière d’éducation sexuelle, essentielle pour assurer un bon accès à l’information sur l’avortement en France, le Planning familial dénonce aussi « la désinformation de mouvements comme “Parents vigilants” et “SOS éducation” sur le travail que font les associations sur le terrain ».

Depuis une loi de 2001, trois séances annuelles d’éducation à la sexualité doivent être dispensées « dans les écoles, les collèges et les lycées ». « Aujourd’hui, des rapports sont sortis et montrent que seulement 15 % des jeunes ont eu accès à cette éducation, souvent à partir de la 4ème, alors que les questions de stéréotypes, de violence et de consentement devraient être abordées beaucoup plus tôt », déplore Sarah Durocher. Avec SOS homophobie et le Sidaction, le Planning familial a ainsi décidé il y a un an de saisir le tribunal administratif, pour demander une réelle application de la loi.

« Nous avons la chance, en France, d’avoir une loi que des féministes demandent dans le monde entier, mais elle n’est pas appliquée », regrette la présidente du Planning familial, qui dénonce le « manque de courage » des politiques. L’association, qui a sollicité tous les ministres de l’Éducation nationale depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en 2017, déplore de n’avoir jamais été reçue par Jean-Michel Blanquer et Pap Ndiaye, et réclame une rencontre avec la nouvelle ministre Nicole Belloubet.

Les sages femmes bientôt autorisées à pratiquer des IVG instrumentales ?

Enfin, pour le Planning familial, les conditions d’accès à l’avortement restent largement inégales sur le territoire. En dix ans, l’association estime que 130 centres IVG ont fermé leurs portes. Selon la Drees, en 2022, 17 % des patientes ont été contraintes de réaliser un avortement hors de leur département, un chiffre qui frôle même les 50 % dans certains départements ruraux comme l’Ain et l’Ardèche. « Un avortement, c’est trois rendez-vous, imaginez devoir faire trois allers-retours de 80 kilomètres », note Sarah Durocher.

Si les chiffres des avortements pratiqués augmentent légèrement, la présidente du Planning familial estime qu’il ne s’agit pas d’un bon indicateur pour conclure à une amélioration de l’accessibilité : « Une femme qui souhaite avorter est capable de faire des kilomètres, si elle dépasse les délais en France elle est capable de faire des kilomètres à l’étranger. C’est la question du vécu du parcours d’avortement qui importe. »

La loi de mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement devait permettre aux sage-femmes de pratiquer des IVG instrumentales, au même titre que les médecins. Mais, le décret pris en décembre dernier restreint cette pratique, obligeant la présence d’un médecin spécialisé, d’un gynécologue-obstétricien et d’un anesthésiste-réanimateur dans le centre de santé où l’avortement est pratiqué par une sage-femme. « Dans certains hôpitaux, la pratique sera donc impossible », dénonce Albane Gaillot, chargée de plaidoyer au Planning familial. Au début du mois, le ministre de la Santé Frédéric Valletoux a promis que ce texte serait réécrit « très vite, dans les prochaines semaines ».

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