Depuis son retour au gouvernement, place Vendôme, Gérald Darmanin occupe l’espace et égraine au fil des jours des annonces fortes. Alors qu’approche l’examen à la chambre haute, de la proposition de loi sénatoriale et transpartisane sur le narcotrafic, le ministre de la justice a annoncé le regroupement des « cent plus gros narcotrafiquants » dans une seule et même « prison de haute sécurité ».
Agressions contre les enseignants : retour sur les mesures chocs de la commission d’enquête du Sénat
Par Simon Barbarit
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« Le simple fait qu’un professeur ait pu être décapité pour blasphème en 2020 démontre que faille, il y a ». C’était le constat sévère et implacable fait par Mickaëlle Paty devant les sénateurs, il y a un peu plus d’un an. La sœur de Samuel Paty avait elle-même contacté Gérard Larcher et François-Noël Buffet, respectivement président du Sénat et président de la commission des lois à l’époque, pour leur demander d’ouvrir une commission d’enquête sur « les dysfonctionnements qui ont conduit à l’assassinat » de son frère le 16 octobre 2020. La commission des lois et la commission de la culture s’étaient conjointement dotées des pouvoirs d’une commission d’enquête, le 15 juin 2023 pour se pencher, pendant 6 mois, sur les mécanismes de protection pour les enseignants victimes d’agressions. Une mission qui verra ses travaux d’autant plus justifiés, après l’assassinat de Dominique Bernard, tué, en octobre 2023 au collège-lycée Gambetta à Arras par un jeune islamiste radicalisé.
En mars 2024, la mission remet son rapport et 38 préconisations « pour protéger l’école ainsi que l’ensemble du personnel qui y travaille et restaurer l’autorité de l’institution scolaire ». C’est d’abord « le constat de la terrible solitude vécue par les membres du personnel éducatif face à un quotidien marqué par les tensions et par les conflits », que relève François-Noël Buffet. En conférence de presse, le président de la commission des lois pointera des faits allant de « l’insulte misogyne à l’agression physique », en passant par la menace ou la contestation de certains enseignements.
Son collègue, Laurent Lafon avait précisé que « ces contestations ne se limitaient pas aux matières traditionnellement identifiées comme sensibles, l’histoire géographie ou la SVT, elles se sont étendues à d’autres disciplines, le sport, le dessin, la musique ». De même, ces contestations « concernent pratiquement tous les territoires ».
Formation à la défense de la laïcité plus accrue pour les enseignants
Plus préoccupant, la commission constate que « la défense de la laïcité se délite aussi chez les adultes des établissements par manque de connaissance, voire parfois, par manque de conviction ». « Nous avons clairement perçu un phénomène générationnel. Les jeunes enseignants sont de plus en plus sensibles aux notions de laïcité ouverte ou plurielle », avait déploré le sénateur centriste. Un écho aux propos de Mickaëlle Paty qui avait dénoncé une formation des enseignants « tout à fait succincte par rapport à la laïcité ». « Il faut reprendre la main sur l’enseignement supérieur pour qu’un système de contrôle soit mis en place sur ce qui est fait et comment cela est fait », avait-elle plaidé.
Et elle a été entendue par la commission qui préconise de « rendre la main à l’éducation nationale pour la formation des enseignants et ne plus la faire dépendre la formation initiale de l’université ». A court terme, la commission plaide pour que la formation des futurs enseignants à la promotion des valeurs de la République et de la laïcité soit « un module majeur » de leurs formations en INSPÉ, réalisée par un fonctionnaire de l’éducation nationale. Les contractuels devront eux obligatoirement suivre cette formation au plus tard dans le mois suivant sa prise de poste.
Plus symbolique, la commission propose d’instaurer tous les ans, en octobre, dans chaque établissement scolaire, un hommage aux enseignants assassinés, en tenant compte de l’âge des élèves ».
Elargissement de l’application de la loi de 2004
L’une des mesures chocs avancées par la chambre haute portait sur une évolution de l’application de la loi de 2004 sur l’interdiction du port des signes et vêtement religieux ostentatoires, jugée « trop floue », dans certains cas.
C’est pourquoi, elle recommande d’élargir l’interdiction « à toute activité organisée par l’institution scolaire, en dehors du temps scolaire », sortie scolaire le soir, cérémonie de remise d’un prix pour un concours organisé par l’éducation nationale ou en partenariat avec le ministère, participation à un forum d’orientation…
« Des lycées à part » pour les élèves les plus difficiles
On relèvera également la recommandation numéro 14 qui vise à développer les structures d’accueil pour les élèves hautement perturbateurs ou poly-exclus. Après l’assassinat du professeur Dominique Bernard, Gabriel Attal, encore ministre de l’Education nationale, avait indiqué vouloir « sortir » les élèves signalés pour des faits de radicalisation des établissements scolaires. « On doit trouver une autre solution que de les scolariser », avait défendu le locataire de la rue de Grenelle.
« J’ai entendu dire qu’on parlait de centres de redressement. Ce n’est pas du tout le sujet », avait déminé François-Noël Buffet au micro de Public Sénat. « Vous avez des enfants et des jeunes qui sont en difficulté. Il faut bien trouver un moyen de les scolariser et de continuer leur éducation, aussi difficile soit-elle. Il faut des lycées à part, un dispositif à inventer pour qu’ils puissent continuer de progresser, d’apprendre et se départir de la situation dans laquelle ils sont embarqués, en grande partie par les réseaux sociaux » avait plaidé le sénateur du Rhône.
Sanction pénale pour les parents en cas d’entrave à l’enseignement
Le procès de l’assassinat de Samuel Paty a montré l’influence néfaste d’un parent d’élève sans ce drame. Pour y remédier, la commission recommande de rappeler « systématiquement aux parents en début d’année les prérogatives de l’enseignant (notation, liberté pédagogique, choix des textes), le caractère obligatoire des programmes scolaires en insistant sur les chapitres ou enseignements susceptibles d’être source de contestations, ainsi que les sanctions pénales en cas d’entrave à l’enseignement ». Pour ce faire, les parents devraient signer une « charte des parents ».
En cas de menace ou d’agression, la commission du Sénat avait insisté sur la nécessité de fluidifier les procédures policières et judiciaires, par la généralisation de référents identifiés dans chaque brigade de gendarmerie ou de commissariat pour renseigner les agents de l’éducation nationale sur le dépôt de plainte. L’administration pourrait également déposer plainte elle-même en lieu et place de l’agent avaient proposé les sénateurs.
Lors de leurs auditions, les sénateurs avaient observé « un décalage entre ce qui est vécu par les acteurs de terrain et ce qui est dit officiellement par l’administration. « Ça participe à ce climat de : pas de vague, un climat de méfiance entre les acteurs de terrain et leur hiérarchie », avait souligné Laurent Lafon.
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