Ce matin, Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste, était l’invitée de la matinale de Public Sénat. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé sa volonté qu’une loi spéciale soit déposée dans les prochains jours au Parlement, quelles seront les modalités de son examen devant les deux assemblées parlementaires ? Les élus pourront-ils déposer des amendements sur le texte ? Un gouvernement démissionnaire peut-il défendre un tel texte ? Explications.
Alcool : des sénateurs veulent un prix plancher de 3,50 euros pour une bouteille de vin pour « diminuer la consommation »
Par François Vignal
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On pourrait l’appeler la « taxe Villageoise ». C’est le PMU, pour prix minimum unitaire. A l’occasion de l’examen du budget 2024, qui débute ce jeudi au Sénat, plusieurs sénateurs entendent s’attaquer au prix de l’alcool. Non pas en touchant aux taxes en réalité, mais en instaurant un prix plancher. Des amendements identiques vont être déposés en ce sens.
« Jusqu’ici, le débat était, est-ce qu’on met plus de taxes sur l’alcool. Ici, on a un outil qui cible les gros consommateurs », vante le sénateur (apparenté PS) Bernard Jomier. La mesure viserait en effet les vins les moins chers, que les personnes qui ont la plus grosse dépendance à l’alcool ont tendance à consommer. Le sénateur de Paris, médecin de profession, souligne que l’idée ne part pas de rien. « En Ecosse, cela a été mis en place en mai 2018. Ça a produit des résultats. On va porter ce débat lors du projet de loi de finances », avance Bernard Jomier.
« Cela diminue la consommation d’alcool chez les gens qui boivent beaucoup »
A ses côtés, deux spécialistes viennent appuyer l’idée de ce prix minium. « Cela diminue la consommation d’alcool chez les gens qui boivent beaucoup. Chez les gens qui boivent modérément, ça ne change rien », explique Bernard Basset, président d’Addictions France. De quoi permettre un « effet positif sur la santé publique ». En France, 8 % des adultes consomment la moitié de l’alcool vendu. Un chiffre qui laisse songeur. En 2050, après l’application du prix minimum, les économies estimées en termes de santé publique sont de 237 millions d’euros.
Autre argument : alors que le secteur viticole s’oppose toujours à toute mesure, Bernard Basset souligne que le prix plancher n’aura pas d’impact économique sur le secteur, du moins pas sur l’essentiel de la production :
L’amendement explique qu’une unité d’alcool correspond à 10 grammes d’alcool pur. Le prix minimum par unité d’alcool serait ensuite « déterminé par décret ». L’idée est de le fixer à « 50 centimes par unité », précise Bernard Basset, sachant qu’il y a « 7-8 unités d’alcool par bouteille » de vin par exemple. La mesure concernerait tous les alcools, mais c’est surtout le vin qui est visé. Concrètement, « il n’y aurait plus de bouteille de vin en dessous de 3,50 euros », illustre le président d’Addictions France.
Un cubi de 5 litres passerait de 9,35 à 23,30 euros
Sur le site de l’une des principales enseignes de la grande distribution, on trouve par exemple un « vin rouge de pays de l’Aude » à 2,49 euros, un « vin rouge de pays d’Hérault » à 1,85 euros. La célèbre bouteille de La Villageoise s’affiche à 4,15 euros, mais elle fait 150 cl, soit 2 euros les 75 cl. Mieux, le « Beauval », dont l’étiquette précise qu’il s’agit d’un « vin de la communauté européenne », s’affiche à 1,75 euros. A ce prix-là, on est plus proche de la piquette que du grand cru. Quant au « Fin bouquet », il propose le fameux « mélange de vins de différents pays de la communauté européenne » au prix imbattable de 1,70 euros. Soit une augmentation de 106 % pour cette bouteille premier prix, une fois le prix minimum pris en compte, selon nos calculs.
Cela « s’appliquerait aussi aux cubis », précise Bernard Basset. Les cubis les moins chers coûtent un peu plus de 9 euros pour 5 litres, comme celui-ci à 9,35 euros. Après application du prix unitaire minimum, ce même cubi passerait environ à 23,30 euros. Soit une augmentation de 149 %, toujours selon nos calculs. Le prix de la préservation de la santé publique.
« L’Ecosse a dû convaincre le lobby du Whisky. On a d’autres difficultés ici. C’est le vin »
Mais l’idée risque d’être difficile à faire avaler au secteur. « L’Ecosse a dû convaincre le lobby du Whisky. On a d’autres difficultés ici. C’est le vin », note Amine Benyamina, président de la Fédération française d’addictologie, présent ce matin. Surtout, il faudra convaincre d’abord une majorité de sénateurs, puis le gouvernement. Deux écueils de taille. Les intérêts du secteur viticole sont bien défendus au Sénat, comme au sein même de l’exécutif, à commencer par Emmanuel Macron, comme le constate celui qui est aussi addictologue à l’hôpital Paul Brousse de Villejuif :
Le président de la Fédération française d’addictologie rappelle les tristes chiffres. « 75.000 morts par an sont liés au tabac, et 42.000 morts sont liés à l’alcool », mais « devant 42.000 morts, il y a une responsabilité qui est affichée », lance Amine Benyamina.
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« On est l’assemblée des territoires, donc c’est un peu compliqué ici, dès qu’on cible l’alcool »
Si la rationalité appelle à agir fortement, ce n’est pourtant pas le cas. « On est l’assemblée des territoires, donc c’est un peu compliqué ici, dès qu’on cible l’alcool », reconnaît le sénateur Renaissance, Xavier Iacovelli, présent à la conférence de presse. Il défendra aussi un amendement identique. Pour espérer faire avancer les choses, « il y a un lobbying interne qu’on mènera dans nos groupes respectifs », avance le sénateur du groupe RDPI, présidé par François Patriat, sénateur de la Côte-d’Or.
Si la défense du secteur rassemble élus de gauche comme de droite – le groupe d’étude « vigne et vin » rassemble de nombreux sénateurs – le sujet de la lutte contre les méfaits de l’alcool est aussi transpartisan. « Même si on n’est pas du même groupe politique, ces combats-là doivent nous réunir », soutient le sénateur des Hauts-de-Seine. Avec le PMU, Xavier Iacovelli salue une mesure « intelligente, car ça ne vise pas les viticulteurs français », relève le sénateur du groupe RDPI. Car dans les faits, « ce sont principalement les vins étrangers, qui arrivent en vrac », qui sont concernés.
« En terme de santé publique, c’est dramatique »
La sénatrice du groupe RDSE, Véronique Guillotin, membre du Parti radical, explique de son côté avoir tenté de déposer l’amendement lors du budget de la Sécu. Mais il a été jugé irrecevable. Les sénateurs ont cette fois trouvé la solution : une très légère baisse, de 0,1 %, du droit d’accise, qui est une taxe sur l’alcool. De quoi le rattacher au projet de loi de finances.
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« Je ne suis pas une ayatollah du zéro alcool. Je bois un verre de vin le midi », précise au passage la sénatrice, qui était aux sénatoriales sur la liste du sénateur LR Jean-François Husson, rapporteur du budget. Mais pour l’élue de la Meurthe-et-Moselle, il y a urgence. « En terme de santé publique, c’est dramatique », alerte Véronique Guillotin. Outre la santé, la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, présente également, voit un autre intérêt à batailler contre l’alcool : mieux lutter « contre les violences faites aux enfants et aux femmes ». « L’alcool augmente considérablement les risques de passage à l’acte dans la violence », souligne la sénatrice du Val-de-Marne, qui explique que « la moitié des féminicides » sont causés sous alcool, qui joue également un rôle dans « les violences sexuelles ».
« J’ai échangé avec le ministre de la Santé. Il veut vraiment développer la politique de prévention »
Le gouvernement sera-t-il prêt à suivre ? La dernière campagne de prévention du ministère de la Santé, épinglée pour la faiblesse de ses messages, comme le conseil de boire un verre d’eau entre deux verres d’alcool, n’envoie pas un bon signal… « J’ai échangé avec le ministre de la Santé. Il veut vraiment développer la politique de prévention », croit Bernard Jomier, qui « espère » que le gouvernement suivra.
S’il semble difficile de trouver une majorité pour ce PLF, les auteurs de l’amendement ont bon espoir d’arriver à leur fin, dans un avenir plus ou moins proche. C’est au fond « la capacité de notre pays à trouver un compromis entre des intérêts différents », qui est jeu, souligne Laurence Rossignol, « il faudra passer un compromis entre la filière et la santé publique ».