Les moments d’unité se font rares dans l’hémicycle du Sénat depuis l’ouverture des débats sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), où pratiquement chaque amendement est l’occasion d’une réactivation du clivage gauche-droite, alors que la majorité sénatoriale entend remanier de fond en comble la copie transmise par l’Assemblée nationale. Mais c’est pratiquement d’une même voix que les élus ont dénoncé, ce samedi 22 novembre en début d’après-midi, la sous-compensation des allégements de cotisations, au détriment des caisses de la Sécu.
C’est l’article 12 du PLFSS, parfois appelé « article-tuyau », qui a permis de liguer une large part des élus contre l’exécutif. Celui-ci modifie la répartition des recettes issues de diverses taxes et cotisations entre les branches de la Sécurité sociale, notamment 5,7 milliards d’euros pris à la branche famille et que le gouvernement prévoit de réinjecter dans les branches vieillesse, maladie et autonomie. Surtout, ce rééquilibrage est la conséquence d’une disposition inscrite dans le projet de loi de finances pour 2026, par laquelle l’Etat, via une baisse de la part de TVA affectée à la Sécu, entend récupérer le bénéfice de 3 milliards d’euros issu de la baisse des allégements de cotisations patronales mise en place l’année dernière.
Pour la majorité sénatoriale, la confiscation d’un gain dû à la Sécurité sociale est inacceptable et revient à « jouer avec le feu », car elle pressurise encore un peu plus l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (l’Acoss), en charge de piloter la trésorerie des différentes branches de la Sécu, et qui va devoir mobiliser 80 milliards d’euros en 2026 pour financer les différents mécanismes de protection sociale.
« Une politique des caisses vides »
« Je veux garder les 3 milliards d’euros, sinon c’est un hold-up ! », s’est insurgée la sénatrice centriste Élisabeth Doineau, rapporteure générale du budget de la Sécurité sociale. « Cela creuse le déficit de la Sécu, et je ne suis pas la seule à le dire, la Cour des comptes le dit aussi. Aujourd’hui, nous aurions 5,5 milliards d’euros de niches non compensées, c’est-à-dire de TVA non affectée. Enlever ces 3 milliards d’euros serait catastrophique », a-t-elle dénoncé.
« La politique des allégements généraux étant financé par l’Etat, celui-ci souhaite que son rendement soit attribué à son financeur, c’est-à-dire l’Etat », a tenté d’argumenter Jean-Pierre Farandou, le ministre du Travail et des Solidarités. « Ce que la Sécurité sociale rétrocède à l’Etat, elle le retrouve par des cotisations sociales supplémentaires », a-t-il pointé.
L’écologiste Raymonde Poncet Monge a dénoncé « une politique des caisses vides », rappelant que l’Etat s’était engagé à verser le gain de la réforme des allégements de cotisations à la caisse nationale des allocations familiales et à celle de l’Assurance maladie. « Vider sciemment ces caisses est manifestement une politique majeure des macronistes, qui est responsable des déficits observés aujourd’hui », a-t-elle raillé. En annulant la répartition prévue par ce PLFSS entre les différentes branches, les sénateurs entendent tordre le bras au gouvernement et le pousser à remettre à niveau la part de TVA affectée dans le budget général.
Mercredi, à l’ouverture des débats, la rapporteure Élisabeth Doineau a tenu à alerter sur la situation de l’Acoss, dont le plafond d’emprunt s’approche dangereusement du pic de 90 milliards d’euros atteint pendant la crise sanitaire. D’une manière générale, la majorité sénatoriale de droite et du centre entend ramener le déficit de la Sécu à 15,1 milliards d’euros en 2026, contre 23 milliards attendus à la fin de l’année.