C’est un délit révélé au grand jour qui se transforme petit à petit en controverse politique. Le cas du député La France insoumise Andy Kerbrat, pris en flagrant délit d’achat de drogue à un vendeur mineur le 17 octobre, divise les parlementaires sur l’attitude à adopter devant ce cas de figure. Le député de Loire-Atlantique a reconnu ce mardi dans un communiqué, après des révélations de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, avoir été contrôlé par les forces de l’ordre en « possession de stupéfiants ». Il est convoqué pour notification d’une ordonnance pénale, une procédure simplifiée pour le traitement de certaines infractions.
Le parlementaire a indiqué qu’il se battrait « contre son addiction » et qu’il allait « suivre un protocole de soins ». L’affaire a tout cas été très commentée chez les responsables politiques. Sa réaction lui a valu des soutiens, notamment à gauche mais aussi jusque dans l’arc central. « Le lynchage qu’il subit est inacceptable », a reconnu l’un de ses adversaires le député Renaissance Karl Olive. « Les addictions touchent toute la société, parlementaires et ministres inclus », a rappelé le sénateur et médecin Bernard Jomier (groupe socialiste).
Les expressions à droite ont été fermes et posent désormais ouvertement la question de la présence d’Andy Kerbrat à l’Assemblée nationale. « Un député a un devoir d’exemplarité », a fait valoir le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. « Il n’est pas tolérable de voir un député de la République acheter des drogues de synthèse à un dealer de rue […] Andy Kerbrat doit tirer les conséquences de ses actes », a lancé l’ancien sénateur qui a déclaré ces dernières semaines vouloir « faire la guerre » au « narcoterrorisme ». « La décence voudrait au moins qu’il se mette en retrait », a également exprimé la sénatrice LR des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer.
« La loi n’exige pas qu’un député touché par cette affaire de drogue démissionne »
Sur le plan du droit stricto sensu, rien n’obligerait le député Andy Kerbrat à mettre fin à ses fonctions, même en cas de condamnation dans ce dossier. « La loi n’exige pas qu’un député touché par cette affaire de drogue démissionne », confirme à Public Sénat Pascal Perrineau, professeur des Universités associé au CEVIPOF.
La détention de produits stupéfiants ne fait partie des infractions concernées par une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité. Depuis la loi Sapin II en 2016, cette peine est prononcée en cas de condamnation pour les atteintes au devoir de probité (détournement de fonds public, prise illégale d’intérêt, corruption, trafic d’influence, concussion, favoritisme).
En 2017, la loi pour la confiance dans la vie politique a étendu ce périmètre aux actes de violences, harcèlement et agressions sexuelles, harcèlement moral, discriminations, escroquerie, acte de terrorisme, abus de confiance, atteintes à la transparence des marchés, certains faux ou encore aux abus de biens sociaux.
En revanche, la responsabilité est personnelle, politique en somme. « Le métier de député ce n’est pas un métier comme les autres. Ce sont des élus de la nation, et cela exige, bien sûr, une certaine exemplarité. Les Français attendent cette exemplarité de leurs élus. Donc ce député de la France insoumise devrait en son for intérieur réfléchir, et peut-être tirer les conséquences qui s’imposent, c’est-à-dire de démissionner », considère le politologue Pascal Perrineau.
Une notion resserrée « d’exemplarité » dans le code de déontologie de l’Assemblée nationale
La législation et les règlements des assemblées ont certes fixé un cadre clair sur les obligations visant à prévenir tout conflit d’intérêts. Mais s’agissant d’exemplarité, le code de déontologie qui figure dans le règlement de l’Assemblée nationale évoque bien cette notion, tout en restant assez flou et en la liant au mandat, et non à la vie privée. Il est notamment indiqué que « dans l’exercice de son mandat, chaque député doit se conformer aux principes énoncés dans le présent code et les promouvoir ». Il est question des principes d’intérêt général, d’indépendance, d’objectivité, de responsabilité, de probité et d’exemplarité. Pour ce dernier item, le code reste succinct, indiquant seulement que « le harcèlement moral ou sexuel constitue une atteinte au devoir d’exemplarité ».
À cet effet, le déontologue de l’Assemblée nationale préconisait en 2016 de faire figurer une précision importante, à savoir l’obligation pour les députés « de prendre garde à ce qu’aucune de leurs actions, dans l’enceinte parlementaire comme en dehors, ne porte atteinte à l’image de l’Assemblée nationale ». Cette évolution n’a toutefois pas été retenue.
Le règlement du Sénat rappelle que l’exercice du mandat se fait dans le respect de la « dignité »
Au palais du Luxembourg, le règlement renvoie à une autre notion, celle de dignité. Les sénateurs « exercent leur mandat dans le respect du principe de laïcité et avec assiduité, dignité, probité et intégrité », peut-on lire à l’article 91 bis. Une décision interprétative précise que « les actes de harcèlement, quelle qu’en soit la nature, constituent un manquement au principe déontologique de dignité mentionné au 2 de l’article 91 bis du Règlement du Sénat ».
Un autre document, distinct du règlement, le « guide déontologie du sénateur », développe davantage ce principe. « Les sénateurs s’obligent à respecter la dignité requise par le mandat parlementaire dont ils sont investis par leur élection. Ils doivent ainsi assurer l’honorabilité et la respectabilité de leur fonction par un comportement adéquat en toutes circonstances. Contreviendrait à l’obligation de dignité toute forme de harcèlement à l’égard d’un tiers », insiste le document remis aux sénateurs.
Le professeur de droit public Charles-Édouard Sénac considère cependant que ce type de cadre déontologique « ne traite pas directement de la vie privée de ceux et celle qui occupent les fonctions de pouvoir ». « Si l’obligation déontologique de dignité existe pour certaines fonctions politiques, telles que les membres du gouvernement, les sénateurs ou les élus locaux, il semble que sa portée soit jusqu’à présent surtout symbolique », détaille dans un récent article cet enseignant à l’université de Bordeaux.