Autoroute A69 : le Sénat adopte une proposition de loi pour relancer le chantier controversé

Les sénateurs ont adopté ce jeudi un texte inédit, afin de permettre la reprise du chantier de l'autoroute Toulouse-Castres suspendu en février par une décision de justice administrative. Les écologistes, opposés à ce projet, remettent en cause la constitutionnalité de cette proposition de loi.
Romain David

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C’est un premier pas vers une éventuelle reprise du chantier de l’autoroute A69. Le Sénat a adopté ce jeudi 15 mai, par 252 voix pour et 33 voix contre, une proposition de loi dite « de validation », afin de contourner l’annulation administrative de ce projet controversé, dont la genèse remonte aux années 1990. Ce texte ne change pas la législation mais vise à reconnaître « l’intérêt public majeur » de cette autoroute selon l’exposé des motifs. « Cette autoroute est terminée à 70 %, arrêter un projet aussi avancé est une pure ineptie, aussi sur un plan environnemental », a défendu à la tribune son co-auteur, le sénateur Union centriste du Tarn Philippe Folliot.

« Il y a eu de multiples recours, c’est un droit dans notre démocratie, mais, jusqu’au mois de février, par 14 fois la justice administrative a autorisé les travaux. Et là, nous nous retrouvons face à une situation quelque peu ubuesque », a expliqué l’élu, rappelant que ce projet faisait l’objet d’un « consensus politique départemental assez exceptionnel ». « 1 000 personnes ont perdu leur emploi du jour au lendemain, avec des conséquences pour le bassin d’emplois, pour les décideurs économiques qui se voient stoppés par rapport à leurs perspectives, et pour les riverains puisque nous avons une balafre de 50 km sur le territoire », a énuméré Philippe Folliot.

« La suspension du chantier coûte chaque jour 180 000 euros à l’Etat ! », a voulu ajouter le sénateur de l’Hérault Christian Bilhac.

« La position du gouvernement n’est plus à prouver sur la nécessité de cette autoroute », a commenté Philippe Tabarot, le ministre chargé des Transports. « Le bassin de Castres-Mazamet est le seul bassin de plus de 100 000 habitants en France à n’être desservi ni par une autoroute, ni par une gare TGV, ni par un aéroport international. Les conséquences de cette situation sont durement ressenties sur le terrain, ce bassin est en décrochage par rapport aux autres bassins d’Occitanie au regard de la démographie, du vieillissement de la population, de la dynamique de création d’emplois… »

« Raison impérative d’intérêt public majeur »

Le chantier de l’autoroute A69, visant à relier l’A68, près de Toulouse, à la rocade de Castres, est au cœur d’un bras de fer entre ses détracteurs, qui dénoncent son impact environnemental, et ses défenseurs qui font valoir les retombées économiques pour le territoire de Castres.

Commencé en mars 2023, il a finalement été suspendu par le tribunal administratif de Toulouse le 27 février dernier, après annulation des autorisations environnementales suite au recours d’associations. Les juges ont estimé qu’aucune « raison impérative d’intérêt public majeur » ne justifiait de déroger aux dispositions du code de l’environnement. Par ailleurs, le tribunal a également considéré que le coût élevé du péage ne permettrait pas de rendre cette route attractive pour les usagers. L’Etat a fait appel de cette décision.

Séparation des pouvoirs

Le texte examiné ce jeudi par le Sénat constitue une démarche législative assez inédite, portée par les deux sénateurs Union centriste du Tarn, Marie-Lise Housseau et Philippe Folliot. Un texte similaire a également été déposé à l’Assemblée nationale par les deux députés du département, Jean Terlier (Renaissance) et Philippe Bonnecarrère (Non inscrit). À la Chambre haute, les débats se sont longuement attardés sur la constitutionnalité de ces propositions de loi.

Le rapporteur Franck Dhersin a reconnu des « interrogations qui touchent au principe de séparation des pouvoirs ». « La démarche et le calendrier d’examen suscitent des interrogations juridiques sur ce texte. Parce qu’il vise à valider un acte administratif ayant été annulé par le juge administratif, ensuite parce qu’une procédure d’appel est en cours à la demande de l’Etat », a-t-il concédé. Avant d’argumenter : « Le principe de séparation des pouvoirs proscrit toute validation législative sur un acte ayant déjà été annulé par une décision de justice devenue définitive, or, en l’espèce, ça n’est pas le cas puisque l’annulation a été décidée en première instance et qu’un appel est en cours », a-t-il argumenté.

« Un festival de trouvailles législatives »

« Il arrive que des décisions de justice déplaisent, c’est la vie démocratique, mais aujourd’hui nous débâtons de la frontière entre le législatif et le judiciaire, et de la légitimité du Parlement à se substituer aux juges », a pointé le sénateur écologiste Jacques Fernique. « À une semaine de leur décision, le législateur crée un précédent grave en tentant d’influencer une Cour de Justice », a-t-il accusé.

« Nous ne sommes qu’au début d’un festival de trouvailles législatives à faire sauter dans leurs tombes les pères de la Constitution… », a raillé son collègue Ronan Dantec, auteur d’une motion d’irrecevabilité. « Cela veut-il dire que dès qu’un projet sera annulé par un tribunal, le Parlement déposera une loi de validation ? ». Cet écologiste est allé jusqu’à déposer un amendement pour rebaptiser ce texte « Proposition de loi visant à empiéter sur la compétence du juge administratif ». « Cet amendement est quelque peu excessif et provocateur, ce qui est très rare chez le sénateur Dantec… », a ironisé le ministre.

Le sénateur écologiste a fait savoir qu’il avait l’intention de saisir le Conseil constitutionnel.

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