À croire que les deux commissions des finances du Parlement s’étaient donné le mot pour porter l’estocade. Mercredi, à quelques heures d’intervalle, députés et sénateurs ont adopté deux amendements de suppression du Service national universel (SNU), dans le cadre des travaux préparatoires à l’examen du volet « dépenses » du budget de l’Etat. À l’Assemblée nationale, ce sont les rangs clairsemés du camp présidentiel qui ont permis aux élus du NFP de faire voter cette suppression.
Au Palais du Luxembourg, c’est le sénateur socialiste Éric Jeansannetas, auteur d’un rapport spécial sur les crédits de la Jeunesse, qui a présenté à ses collègues une proposition de baisse de 100 millions d’euros, finalement adoptée à l’unanimité moins deux abstentions, ce qui revient à éteindre le dispositif. « L’enveloppe restante de 28 millions doit servir à régler les dépenses inhérentes à la cessation du SNU », précise l’élu à Public Sénat.
Suppressions en série
Rappelons toutefois que les modifications apportées en commissions sur un projet de loi de finances ont seulement valeur d’avis. La Constitution prévoit que seul le texte présenté par le gouvernement soit débattu en séance publique à l’Assemblée nationale. Les amendements qui ont été adoptés en commission sont donc à nouveau présentés dans l’hémicycle.
Du côté de la Chambre haute, on ignore encore sur quelle version du texte les sénateurs auront à travailler à partir du 25 novembre. Soit la copie amendée par les députés, à condition qu’ils parviennent à voter un budget. Soit le projet initial du gouvernement si aucun texte ne sort du Palais Bourbon. Auquel cas, les amendements de suppression pourraient se multiplier. « J’ai l’intention d’en déposer un », glisse le sénateur centriste Laurent Lafon, le président de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport.
Pas de généralisation du dispositif
Le Service national universel est-il en train de vivre ses dernières heures ? Ce dispositif, voulu par Emmanuel Macron, devrait en tout cas faire les frais des importantes mesures d’économie déployées par l’exécutif pour redresser les finances publiques. Au point que sa généralisation, annoncée pour 2026, n’est plus d’actualité. Mais pas question pour l’heure d’envisager la suppression du SNU, a assuré Gil Avérous, le ministre des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative, lors d’une audition devant le Sénat mercredi soir. Pourtant, une large partie des parlementaires souhaitent en finir avec cette coûteuse promesse de campagne, dont ils estiment qu’elle n’a jamais atteint son objectif.
Le budget alloué au SNU devrait passer de 160 millions cette année à 128 millions d’euros en 2025. Le dispositif, dimensionné pour 80 000 volontaires en 2024, ne serait plus en mesure d’en prendre en charge que 66 000 en 2025. Voire seulement 40 000, si l’hypothèse d’un coup de rabot supplémentaire de 55 millions d’euros sur le budget des sports et de la jeunesse venait à se confirmer. « La généralisation annoncée pour 2026 demande un engagement financier, aujourd’hui inatteignable, en tout cas les crédits 2025 ne nous permettront pas d’aller au-delà de ce qui a été fait en 2024 », a reconnu Gil Avérous devant les sénateurs.
Au cours de cette audition, de nombreuses prises de parole se sont succédé pour réclamer la fin du SNU, en particulier du côté de la gauche : « Est-ce que ce n’est pas le moment de faire entendre raison au président, de lui dire stop, et de réorienter les fonds vers d’autres programmes ? », a notamment lancé la benjamine du Sénat, l’écologiste Mathilde Ollivier. Mais l’exécutif invoque le succès du dispositif auprès des participants pour justifier son maintien. Un taux de satisfaction de 90 %, selon le ministre, qui reconnaît toutefois « qu’il convient de s’interroger sur le format du SNU, son contour et son coût ».
« On voit bien que ça ne marche pas »
En septembre dernier la Cour des comptes a rendu un rapport au vitriol sur ce service civil, pointant à la fois l’absence de pilotage budgétaire et le manque « d’horizon clair ». Les Sages de la rue Cambon estiment que la généralisation du SNU, qui concernerait à terme 800 000 jeunes, coûterait entre 3,5 et 5 milliards d’euros. De leur côté, les parlementaires regrettent régulièrement l’absence de débat sur ce dossier.
Largement inspiré du service militaire, le SNU a été lancé en 2019 et reste encore au stade de l’expérimentation. Il se découpe en trois volets : un « séjour de cohésion de deux semaines » pour les 15-17 ans, centré sur des activités collectives et culturelles, suivi d’une « mission d’intérêt général » de douze jours. La troisième phase, optionnelle celle-ci, décrite comme un « engagement volontaire de plusieurs mois au sein d’un corps en uniforme ou d’une association », peut s’effectuer jusqu’à l’âge de 25 ans.
« Que fait-on de cet outil hybride ? En plus, on sait qu’il ne s’adresse pas spécifiquement aux jeunes qui en ont le plus besoin, mais à des jeunes assez volontaires qui sont déjà dans des dynamiques de socialisation », résumait la semaine dernière, au micro de Public Sénat, Laurent Lafon. Selon la Cour des comptes, 46 % des volontaires en 2023 ont des parents militaires, policiers, gendarmes ou pompiers. « Je n’ai pas d’opposition systématique à un dispositif qui crée du lien social, mais là, on voit bien que ça ne marche pas », abonde Éric Jeansannetas. Et de conclure : « On ne peut pas rester dans l’expérimentation pendant six ans… »