Ce matin, Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste, était l’invitée de la matinale de Public Sénat. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé sa volonté qu’une loi spéciale soit déposée dans les prochains jours au Parlement, quelles seront les modalités de son examen devant les deux assemblées parlementaires ? Les élus pourront-ils déposer des amendements sur le texte ? Un gouvernement démissionnaire peut-il défendre un tel texte ? Explications.
Budget de la Sécu : les sénateurs PS réussissent à retirer un article pour protester contre le sort des coursiers ubérisés
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Le président de séance a dû s’y prendre à deux reprises pour bien comptabiliser les votes, dans un scrutin qui s’est joué de justesse. Les sénateurs PS ont réussi à arracher une victoire, symbolique, au début de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 dans la nuit du 13 au 14 novembre, en faisant adopter l’un de leurs amendements, contre l’avis du gouvernement et la commission des affaires sociales.
Ils ont provoqué la suppression de l’article 6, un dispositif qui devait améliorer le recouvrement des cotisations sociales dues par les travailleurs des plateformes de type Deliveroo ou Uber. L’article prévoyait de confier à ces plateformes la responsabilité de déclarer et de prélever les cotisations dues par les micro-entrepreneurs, à la place de ces derniers. Selon l’Urssaf Caisse nationale, 69 % des micro-entrepreneurs, qui utilisent une plateforme, déclarent des chiffres d’affaires inférieurs aux montants des transactions enregistrées par les plateformes. Le manque à gagner, en termes de cotisations pour la Sécurité sociale, s’est élevé à 175 millions d’euros en 2022.
« Le gouvernement serait mieux inspiré de les faire cotiser tout court »
Afin de lutter contre ce phénomène, le gouvernement souhaitait que les cotisations soient directement retenues à la source par les plateformes. « Plutôt que de faire cotiser les plateformes à la place des travailleurs, et de jouer ainsi les perceptrices, le gouvernement serait mieux inspiré de les faire cotiser tout court pour le recours aux travailleurs qu’elles emploient et qui sont aujourd’hui dépourvus de statut », a ainsi fait valoir la sénatrice Monique Lubin. Depuis plusieurs années, son groupe bataille pour tenter d’améliorer les droits et les conditions de travail de ces livreurs ou chauffeurs.
La sénatrice des Landes a estimé que si le gouvernement « souhaitait véritablement mettre fin aux fraudes », il « serait à l’initiative au niveau européen pour appuyer la directive Schmit ». Ce texte porté par le commissaire Nicolas Schmit propose de « renverser la charge de la preuve », en instituant une présomption de salariat pour les travailleurs de plateformes (relire notre article). Ce serait à ces dernières de prouver le caractère indépendant des travailleurs plutôt qu’aux travailleurs de prouver un lien de subordination avec elles.
« Une mesure de conquête sociale » pour le ministre des Comptes publics
Les sénateurs PS ont rappelé que la France faisait partie des États opposés à cette directive. La suppression d’article 6 vise, selon eux, à pousser le gouvernement à « changer de méthode ». La commission des affaires sociales était défavorable à la disparition de l’article, qualifié « d’important dans la lutte contre les fraudes » par la rapporteure Élisabeth Doineau (Union centriste).
Pour le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, sur la même ligne, l’article constituait à la fois une « sécurisation de nos recettes » mais également une mesure à même de « garantir l’accès à un certain nombre de droits » aux travailleurs des plateformes, à travers le versement de cotisations. « C’est une mesure de conquête sociale, pour tous ces micro-entrepreneurs qui passent par les plateformes », a-t-il motivé.
« Vous, qui dans votre canapé, vous vous satisfaites de vous faire livrer pour deux euros, quand il pleut le soir, un burger, vous êtes complices d’un esclavagisme moderne »
L’explication de vote de Bernard Jomier a viré au coup de gueule. Le chef de file du groupe socialiste sur le projet de loi, a dénoncé un « scandale », soulignant que Uber Eats, l’une des plateformes les plus utilisées pour la livraison de repas, avait récemment abaissé la rémunération des coursiers qui transitent par son intermédiaire. « La régulation dont vous parlez, c’est la régulation d’un esclavagisme et rien d’autre. C’est inadmissible ! » s’est exclamé le parlementaire.
Pointant la responsabilité du gouvernement « qui refuse d’affronter cette question au nom du mythe de l’auto-entreprenariat », le sénateur de Paris a également pointé le rôle des habitants de sa propre ville. « Vous, qui dans votre canapé vous vous satisfaites pour deux euros, quand il pleut le soir, un burger, « vous êtes complices d’un esclavagisme moderne. »
Le gouvernement devrait néanmoins avoir tout le loisir de rétablir l’article dans la suite de la navette, d’autant plus avec le recours à un prévisible 49.3.
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