Budget de la Sécurité sociale : « Il faut trouver d’autres moyens de financement », plaide le sénateur Alain Milon, « comme la capitalisation »

L’examen du budget de la Sécurité sociale au Sénat en est à ses prémices. Ce matin, au détour de la discussion d’un article technique, les sénateurs ont débattu de l’avenir du financement du système de santé français. L’occasion pour le clivage gauche droite de se redessiner dans l’hémicycle, préfigurant un débat de fond sur le sujet de la protection sociale.
Mathilde Nutarelli

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Ce jeudi, le Sénat a entamé l’examen des articles du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026. Au détour d’un article sur l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), les sénateurs ont eu un vif débat sur le financement du système de santé.

200 millions d’euros supplémentaires pour les hôpitaux

L’article 2 du budget de la Sécurité sociale est un passage obligé et technique du texte : il fixe le mondant de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour l’année passée. Pour 2025, dans la version du gouvernement, ce montant était maintenu identique à celui voté dans le budget initial : 265,9 milliards d’euros. Au Palais Bourbon, c’est l’adoption d’un amendement de la France Insoumise dénonçant la sous-évaluation de l’Ondam par le gouvernement qui a supprimé l’article.

Au Sénat, la majorité sénatoriale l’a rétabli, en y ajoutant une modification. La rapporteure générale du budget de la Sécurité sociale, la centriste Élisabeth Doineau, a fait adopter un amendement rétablissant l’article 2 et modifiant la ventilation des 265,9 milliards. Elle propose de réévaluer de 200 millions d’euros les dépenses relatives aux hôpitaux, en diminuant d’autant un poste regroupant diverses dispositions. Une modification à laquelle la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, s’est montrée défavorable : « Ces 200 millions ont déjà été engagés, notamment dans le fonds d’intervention régional [qui finance des actions supervisées par les agences régionales de santé, ndlr], ils sont un peu fictifs. Il faudra qu’on retravaille les chiffres pour les rendre les plus conformes à la réalité. », a-t-elle expliqué.

A gauche, les groupes écologiste et communiste voulaient aller encore plus loin, en affectant 800 et 900 millions d’euros supplémentaires aux hôpitaux pour finir l’année. Leurs amendements n’ont pas été adoptés.

La dette des hôpitaux pour 2024 s’élève à 30 milliards d’euros

Le débat de cet amendement a été l’occasion pour les sénateurs de tous les bancs d’exprimer leur vision du financement de l’hôpital et plus largement, du système de santé. Tous se sont accordés pour déplorer l’état d’endettement des hôpitaux en France et la trajectoire en ciseau entre les dépenses de santé et les recettes. En 2024, la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) estime cette dette à 30 milliards d’euros. Mais une fois ce constat posé, les solutions sur les bancs du Palais du Luxembourg sont radicalement différentes.

« Il n’est pas acceptable que 30 % de la population qui cotise permette de soigner 100 % de la population »

A droite et au centre, les sénateurs dénoncent un dérapage des dépenses de santé. « En 2019, on était à un tout petit peu plus de 200 milliards d’euros de dépenses et on est aujourd’hui à 267 milliards d’euros, c’est une inflation importante, certes due à la démographie. Mais on peut tous se dire que cela fait trop longtemps que cela dure, cette dérive. Derrière cela, nous payons des intérêts d’emprunt qui sont de plus en plus lourds. Nous croulons sous la dette et nous n’avons pas le choix que d’avoir une vision comptable des choses et je le regrette », s’est alertée Élisabeth Doineau.

Sur leurs bancs, on propose alors plusieurs solutions : la baisse des dépenses, via une meilleure prévention, une « rationalisation » ou une « réforme » de l’hôpital, mais aussi le recours à d’autres modes de financement, comme la capitalisation. « Il n’est pas acceptable que 30 % de la population qui cotise permette de soigner 100 % de la population. Il faut donc trouver d’autres moyens de financement : les exonérations de cotisations sociales peuvent en être un, tout comme la capitalisation », a affirmé Alain Milon, président LR de la commission des affaires sociales par intérim. Le sénateur Les Indépendants de Corrèze, le médecin Daniel Chasseing, a même évoqué la mise en place de la très décriée TVA sociale.

« On sait très bien pourquoi aujourd’hui on manque de recettes »

De l’autre côté de l’hémicycle, la gauche est totalement opposée à cette vision. Pour les membres des groupes socialiste, écologiste et communiste, prendre le problème pas le bout des dépenses est une mauvaise solution, car réduire celles-ci serait dangereux. « Il va falloir dire aux Français quelles dépenses on baisse. On va être à l’os sur un certain nombre de sujets. Il faudra leur dire ‘Vous avez bien vécu jusqu’à maintenant, c’est terminé. Vous avez été bien soignés jusqu’à maintenant, vous ne le serez plus. Vous avez bien été protégés jusqu’à maintenant, vous ne le serez plus’. Il faut tenir un discours de vérité », s’est agacée la sénatrice socialiste des Landes Monique Lubin, appuyée par sa collègue communiste de la Seine-Maritime Céline Brulin. « Les dépenses de santé sont non seulement incompressibles, mais la démographie va les renforcer. Cela devrait appeler à trouver de nouvelles façons de les financer », a-t-elle argumenté.

Pour les groupes de gauche, la cause du creusement du déficit serait une baisse « organisée » des recettes de sécurité sociale. « On sait très bien pourquoi aujourd’hui on manque de recettes. Cela a été parfaitement documenté. On est à peu près à 50 milliards d’euros par an qui nous manquent depuis 2018, à cause de mesures prises qui auraient dû provoquer un ruissellement qu’on n’a pas vu venir », a asséné Monique Lubin. Un tacle direct aux politiques macronistes de baisse des taxes et cotisations sociales mises en place depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée.

Ce que la gauche demande, c’est donc une hausse des recettes, via la fin de plusieurs niches sociales qui permettent à des entreprises de s’exonérer de cotisations sociales.

« Le gouvernement a lui-même proposé un renforcement de 850 millions d’euros pour les établissements de santé »

Lors de ce débat, au cours duquel le clivage droite gauche s’est clairement réaffirmé, la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin a défendu la politique gouvernementale. « On a créé le meilleur système au monde pour traiter la maladie aiguë, on a maintenant une médecine qui doit faire face à la maladie chronique », a-t-elle affirmé dans l’hémicycle, « en 2026, le gouvernement a lui-même proposé un renforcement de 850 millions d’euros pour les établissements de santé. Nous avons bien conscience des difficultés ». Cet ajout sera débattu à l’article 49 du projet de loi.

Amélie de Montchalin a défendu la nécessité de retrouver une croissance économique dynamique pour accompagner la hausse à venir des dépenses de santé. « Il y a des enjeux de croissance économique, il y a des enjeux de taux d’emploi, mais même comme cela, cela ne suffit pas à avoir assez de croissance de nos recettes [pour suivre la hausse des dépenses] », a-t-elle analysé.

Ce débat, dès le début de l’examen du texte, risque d’avoir lieu à plusieurs reprises lors de l’étude du projet de loi, notamment lors de la discussion de l’article 49. « Comment on fait des choix pour qu’une partie [des recettes] soit assumée un peu plus par les assurés qui en ont les moyens, pour qu’on ait un peu plus de coordination des parcours de soins, ce sont les articles après l’article 2 », a promis la ministre. Mais il faudra sûrement plus qu’un budget de la Sécurité sociale pour trancher le débat. « Je pense qu’à force de discuter tous les ans, il serait utile de mettre en place une mission de travail sur comment financer la santé des Françaises et des Français », a proposé Alain Milon.

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