Ce matin, Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste, était l’invitée de la matinale de Public Sénat. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé sa volonté qu’une loi spéciale soit déposée dans les prochains jours au Parlement, quelles seront les modalités de son examen devant les deux assemblées parlementaires ? Les élus pourront-ils déposer des amendements sur le texte ? Un gouvernement démissionnaire peut-il défendre un tel texte ? Explications.
« Ça ne sera plus comme avant » : Une partie de la majorité sénatoriale groggy, après le rejet du CETA
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L’hémicycle du Sénat n’avait pas connu pareille tension depuis les débats sur la réforme des retraites, en mars 2023. Dans le rôle du combustible qui a mis le feu au palais du Luxembourg : le CETA, l’accord économique et commercial global signé entre l’Union européenne et le Canada. Procédure inédite, l’examen s’est déroulé dans le cadre de l’espace parlementaire réservé au groupe communiste, qui a décidé d’y insérer le projet de loi de ratification, que le gouvernement avait laissé sommeiller dans la navette parlementaire depuis son adoption de justesse à l’Assemblée nationale, à l’été 2019.
En pleine crise agricole, et à quelques semaines des élections européennes, une large majorité du Sénat a décidé de voter contre le projet de loi de ratification de l’accord. Par 211 voix, soit les groupes de gauche, une très grande part des Républicains et une poignée de centriste, l’article ratifiant l’accord commercial a été retiré, contre 44 voix. Seul subsiste, dans le texte, le volet relatif au partenariat stratégique conclu entre l’UE et le Canada, validé en bout de course par 243 sénateurs contre 26. In extremis, puisque le scrutin s’est achevé à deux minutes de la fin de l’espace réservé au groupe communiste.
Les sénateurs centristes quittent l’hémicycle, après une intervention de Bruno Retailleau, un incident rare
De bonne tenue dans la matinée, la séance a tourné au vinaigre en milieu d’après-midi après une douzaine de prises de parole sur le premier article, le CETA à proprement parler. Sur proposition de Bruno Retailleau, le président du groupe LR, l’hémicycle a activé l’une des dispositions du règlement – l’article 38 – afin de limiter les prises de parole à venir à une seule expression « pour », et une expression « contre », craignant de ne pouvoir se prononcer dans les temps. Pour rappel, la durée d’examen au sein d’une journée réservée à un groupe est limitée à quatre heures.
L’accélération a provoqué la colère de Claude Malhuret (Horizons), qui s’apprêtait à prendre la parole pour défendre les avantages du CETA. La procédure a surtout brusqué le groupe Union centriste (UC), qui voyait depuis le départ d’un mauvais œil l’inscription du CETA dans le cadre d’une niche parlementaire, communiste qui plus est. « On va vous laisser entre vous », a déclaré Hervé Marseille, le président de l’Union centriste, avant de quitter l’hémicycle avec ses troupes. Il sera rejoint plus tard par les sénateurs RDPI (Renaissance) et Les Indépendants (Horizons) de Claude Malhuret. L’incident de séance est rare, entre LR et UC, qui constituent ensemble la majorité sénatoriale. Le matin même, les centristes – favorables pour l’essentiel au CETA – avaient tenté d’obtenir sans succès, un renvoi du texte en commission, estimant que les conditions n’étaient pas réunies pour débattre sereinement du vote.
« Hervé Marseille reste un ami et un allié », réagit Bruno Retailleau
« Cela montre que la motion aurait dû être votée », s’étrangle à la sortie de l’hémicycle le sénateur Olivier Cadic, l’un des partisans du CETA. « La majorité sénatoriale éclate car Bruno Retailleau a empêché le groupe, qui fait la majorité du Sénat, de s’exprimer pendant les débats ». Et d’ajouter : « Tout le monde est choqué, cela va donner lieu à un débat en groupe mardi ! » Le président de groupe Hervé Marseille ajoute sur notre antenne : « Il y a des limites à tout. Moi je demande le respect ! »
Interviewé sur notre antenne, Bruno Retailleau tente de dédramatiser l’incident. « Hervé Marseille reste un ami et un allié. On a utilisé ensemble l’article 38 au moment des retraites. Là, on a bien vu qu’il y avait aussi une obstruction. On voulait que le Sénat puisse se prononcer », insiste le sénateur de la Vendée. Pour rappel, la totalité les groupes du Sénat, y compris les centristes, avait adopté une résolution il y a deux ans invitant le gouvernement à soumettre le projet de loi de ratification.
« Les conditions du débat vont laisser des traces, ça ne sera plus comme avant », lâche le centriste Vincent Capo-Canellas
Dans les couloirs, certains centristes restent profondément marqués par la séance du jour. « Les conditions du débat vont laisser des traces, ça ne sera plus comme avant », pressent Vincent Capo-Canellas sous le coup de l’émotion. À l’image de parlementaires favorables au gouvernement, ce sénateur dénonce « l’alliance cul par-dessus tête » de « LR avec le PS, jusqu’au Parti communiste ». « Je ne comprends plus où est le logiciel. Sur un accord de libre-échange qui a un bilan positif, c’est un tête-à-queue idéologique qu’on ne comprend pas ».
« LR et le PS se sont laissés emporter par la culture de l’opposition. S’ils étaient au pouvoir, ils seraient pour le CETA. C’est l’outrance de la culture d’opposition », épingle Olivier Henno (UDI).
Un sénateur LR, qui n’était pas en séance au moment des débats, mais qui a pu suivre les développements à distance grâce à de multiples SMS de collègues, refuse également de cautionner la position majoritaire emmenée par Bruno Retailleau. « Je ne peux pas valider ça, c’est une parodie de débat. Je ne savais pas qu’on pouvait être plus bête que la droite la plus bête du monde », lâche-t-il sous le sceau de l’anonymat. « Normalement, à droite il y a des libéraux ! » s’interroge un autre de ses voisins qui venait à sa rencontre.
« Cela arrive, on n’est pas toujours d’accord dans les familles politiques »
Max Brisson, sénateur LR opposé au CETA, cherche à relativiser la brouille du jour. « Sur le libre-échange et l’organisation du monde, ce n’est pas nouveau qu’il y ait une approche différente. Les centristes ont une vision très libérale du monde, nous, on est pour un libéralisme régulé. J’ai eu l’impression de me retrouver 30 ans en arrière », met en perspective le sénateur des Pyrénées-Atlantiques.
Une autre sénatrice de premier plan du groupe tient aussi à minimiser cet accrochage sénatorial. « Cela arrive, on n’est pas toujours d’accord dans les familles politiques. On a plus souvent une vision commune que différente », explique notre interlocutrice. Mais « l’incident est suffisant important pour que ça pique un peu », admet-elle.
Olivier Henno reconnaît aussi que ce n’est pas le premier accroc qui déchire LR et UC. D’autres, moins sérieux, ont déjà rythmé la vie de la majorité sénatoriale. « Mais il ne faudrait pas que ce genre de choses se reproduise trop souvent. On touche à nos fondamentaux là ! Que les communistes donnent le la, ça pose une sacrée question », s’étonne le sénateur du Nord. Chez les centristes comme chez LR, la prochaine réunion hebdomadaire, mardi matin, devrait prendre des airs de thérapie de groupe.
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