Congé menstruel : après le rejet du texte par la droite sénatoriale et le gouvernement, « les femmes devront encore attendre »

À l’occasion de leur niche parlementaire, les sénateurs socialistes défendaient la création d’un congé menstruel, permettant aux femmes atteintes de règles invalidantes de s’arrêter de travailler deux jours par mois. Une proposition de loi rejetée par la majorité sénatoriale et par le gouvernement, malgré les amendements de compromis déposés par les élus centristes.
Rose-Amélie Bécel

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Ce 15 février, le Sénat examinait une proposition de loi des élus socialistes, visant à permettre aux femmes atteintes de dysménorrhée – des règles douloureuses et invalidantes – d’avoir recours à un « congé menstruel » de 2 jours par mois. Malgré plusieurs amendements déposés par l’Union centriste, pour tenter de trouver un compromis avec la droite sénatoriale, les quatre articles du texte ont été rejetés.

Autrice de la proposition de loi, la sénatrice socialiste Hélène Conway-Mouret salue tout de même que ce débat ait permis de « mettre sur la place publique un sujet de société ». « Nous avons perdu l’opportunité au Sénat, non pas d’être en avance sur la société, mais simplement d’être en accompagnement de ses évolutions. C’est regrettable pour le Sénat et pour les femmes qui devront encore attendre », regrette de son côté la socialiste Laurence Rossignol, rapporteure du texte.

Plusieurs entreprises et collectivités testent en effet déjà ce dispositif, à l’image de la mairie de Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis. « Aujourd’hui, il n’existe aucun cadre légal qui permette aux femmes de travailler sans perte de salaire lorsqu’elles souffrent de dysménorrhée, or les différents acteurs le réclame afin de pérenniser ou d’avoir simplement le droit de mettre en place ce dispositif », souligne Hélène Conway-Mouret.

Des craintes sur le secret médical et les discriminations à l’embauche

Le nouveau ministre de la Santé Frédéric Valletoux, qui s’exprimait pour la première fois dans l’hémicycle, s’est opposé à tous les articles de cette proposition de loi. « La question est complexe car il existe des formes multiples de dysménorrhées, l’accompagnement médical est la priorité, l’arrêt médical est le dernier recours et il n’est pas la solution pour toutes », a-t-il défendu.

Première crainte exprimée par le ministre, rejoint par la majorité sénatoriale : ce texte pourrait porter atteinte au secret médical. « Je ne pense pas que toutes les femmes souhaiteraient faire connaitre à leur employeur la raison de leur absence », note Frédéric Valletoux. Une fausse inquiétude, défend Laurence Rossignol : « Le tabou des règles, c’est terminé. Les femmes en ont assez de serrer les dents, de cacher la réalité et de se glisser dans le monde du travail en faisant semblant d’avoir la même physiologie et le même quotidien que les hommes. »

Autre critique portée à la proposition de loi des socialistes : la création d’un congé menstruel ouvrirait la voie à une possibilité de discrimination à l’embauche. « Je pense que l’institutionnalisation d’un congé menstruel pourrait induire un effet secondaire non désiré, celui d’exposer durablement les jeunes femmes à des difficultés dans leur intégration professionnelle », observe la sénatrice Les Républicains Béatrice Gosselin. Un constat que ne partage pas le socialiste Adel Ziane, élu d’une circonscription qui intègre la ville de Saint-Ouen, où la mairie teste déjà le congé menstruel : « S’il y a discrimination, c’est le discriminé qui doit être accompagné et non la personne qui commet la discrimination. Utiliser ce point comme un argument qui empêcherait l’adoption de ce texte, c’est inverser la charge de la preuve. »

Des amendements de compromis rejetés par le gouvernement

Dans une tentative de compromis, la sénatrice centriste Annick Billon a déposé une série d’amendements pour assouplir la proposition de loi socialiste. L’élue souhaitait notamment transformer cette généralisation du congé menstruel en une simple expérimentation, ouverte aux entreprises volontaires. « Ce dispositif a été voté il y a un an en Espagne et n’existe pas encore dans d’autres pays européens. Il n’est pas évident de pouvoir anticiper les conséquences socio-économiques de cette proposition », défend-elle.

Face à l’avis défavorable du gouvernement sur cette proposition d’expérimentation, Annick Billon n’a pas pu s’empêcher de laisser éclater son incompréhension : « Lorsque vous me dites, monsieur le ministre, que lancer une expérimentation est trop compliqué, je pense à l’expérimentation lancée récemment sur l’uniforme à l’école. Je n’ai pas l’impression qu’on ait une idée précise de ce que doit être l’uniforme à l’école, pourtant des collèges et lycées s’engagent aujourd’hui dans cette expérimentation. »

La sénatrice a également proposé de réduire à un jour par mois ce congé, contre deux jours initialement prévus par la proposition de loi. Malgré un avis défavorable de la commission des affaires sociales et du gouvernement, ces deux amendements ont été adoptés par les sénateurs. Tous les articles du texte ayant été rejetés, ces amendements de compromis n’ont finalement pas survécu au vote final de la proposition de loi.

« Ce sujet ne restera pas lettre morte »

Pour régler cette problématique de santé au travail, le ministre estime que « des solutions existent déjà » et que l’exécutif doit œuvrer à les faire connaître. « Une généralisation du congé menstruel tourne le dos à la confiance dans le dialogue social et aboutirait à complexifier ce qui peut exister sur le terrain », défend Frédéric Valletoux.

« Ce sujet ne restera pas lettre morte, je prends l’engagement qu’on puisse le faire avancer encore », promet-il par ailleurs. Dans l’hémicycle, le ministre a fait à ce sujet une première annonce, la préparation de « kits de sensibilisation à destination des entreprises » qui seront diffusés à partir du mois de mars.

Des engagements qui ne semblent pas convaincre les sénateurs socialistes. Dans un communiqué publié à l’issu du vote, Hélène Conway-Mouret et Laurence Rossignol ont dénoncé « le positionnement rétrograde de la droite au Sénat ». « Il est temps que l’Etat se montre exemplaire et prenne davantage en considération les enjeux liés à la santé des femmes », demandent-elles.

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