Guillaume Kasbarian, Minister for Housing, visits the Silva Tower construction site in Bordeaux

Crise du logement : Le Sénat tire la sonnette d’alarme et appelle à une « loi de programmation »

A l’issue de plus de quatre mois d’auditions, la mission d’information relative à la crise du logement du Sénat a rendu ses conclusions. Dans un rapport fleuve, elle alerte sur une « crise politique », et appelle à « agir rapidement et fortement », face à l’absence d’une « véritable réflexion d’ensemble » depuis 50 ans.
Alexis Graillot

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« A trop vouloir économiser sur le logement, à trop compter sur un ajustement naturel par « la main invisible du marché », en attendant la baisse des prix, le gouvernement prend le risque d’être non pas un pompier, mais un pyromane dans une crise qui, j’en ai la conviction profonde, est politique parce qu’avec le logement on touche à l’essentiel », déclarait Dominique Estrosi-Sassone, présidente LR de la mission d’information relative à la crise du logement, à l’occasion de l’ouverture des travaux, en décembre dernier.

Près de cinq mois plus tard, pas de changement de diagnostic, mais une confirmation pour les sénateurs : la crise du logement constitue bel et bien une « crise politique », qui constituera « un déterminant du vote lors des prochaines échéances électorales ». Ces derniers mois, la chambre haute s’est d’ailleurs fortement mobilisée, votant plusieurs propositions de loi en la matière, la dernière en date, le 9 avril dernier, portant sur la rénovation de l’habitat dégradé.

 Le bâtiment, c’est un paquebot : quand il avance, il entraîne tout le monde. Aujourd’hui, il est arrêté, et il va falloir des années pour le relancer. 

Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment (FFB), auprès de l'AFP

Une crise ancienne, aggravée par les poussées inflationnistes

A court terme, il ne fait nul doute que la crise du logement actuelle a été déclenchée par l’inflation grandissante, qui a conduit la Banque centrale européenne (BCE) à augmenter brutalement les taux d’intérêt, pour ralentir la demande et stopper la « spirale prix-salaires », comme l’expliquait l’institution financière en juillet 2022 : « Si les particuliers et les entreprises pensent qu’une forte inflation va perdurer, les travailleurs auront tendance à exiger des hausses de salaires et les employeurs pourraient à leur tour augmenter leurs prix. C’est ce que l’on appelle souvent une spirale prix-salaires. Nous continuerons à augmenter les taux d’intérêt, et donc à rendre le crédit plus onéreux et l’épargne mieux rémunérée, afin d’éviter l’émergence d’une telle spirale ». Une hausse qui doit cependant être mise en perspective avec l’augmentation concomitante des coûts de construction, en hausse de 20 % depuis 2022, selon le rapport, mais également la baisse du pouvoir d’achat des Français, pour qui, « avec un reste à vivre réduit, il leur est plus difficile d’envisager une acquisition immobilière ».

Avec des conséquences très visibles, la première d’entre elles, « la chute des volumes de la construction neuve », estimée à 20 % sur un an, « nombre historiquement bas », selon la Fédération française du bâtiment. « Pour l’emploi, c’est catastrophique », s’alarme d’ailleurs son président Olivier Salleron dans l’AFP, pour qui « 300 000 emplois vont être perdus dans le secteur de la construction en trois ans par rapport à début 2023 ». « Le bâtiment, c’est un paquebot : quand il avance, il entraîne tout le monde. Aujourd’hui, il est arrêté, et il va falloir des années pour le relancer », déplore-t-il. Les transactions dans le logement ancien se sont également effondrées de 22 % sur un an, « la plus forte baisse sur un an observée depuis 50 ans », selon le rapport.

Pour autant, le rapport pointe des causes plus sous-jacentes de cette crise, notamment « l’effet inflationniste de l’environnement financier », les sénateurs constatant que « sur les 25 dernières années, les prix ont été multipliés par plus de deux alors que le revenu disponible brut n’a pas du tout eu cette dynamique ». En outre, les élus pointent la « réalité structurelle » de la « forte détérioration de la rentabilité locative » : « C’est mathématique puisque les loyers ont globalement progressé au même rythme que les revenus », précise le rapport. Peut-être moins intuitif, le texte met également l’accent sur le « changement de regard sur l’acte de construire », au regard de la lutte contre le changement climatique : « Là où les grands ensembles voire des gratte-ciels pouvaient être signes de prospérité, de progrès et de modernité, des constructions bien plus modestes font désormais l’objet de nombreux recours des riverains au nom de l’écologie et de la préservation du cadre de vie, signes sans doute d’une société plus individualiste et dont la vision de l’avenir a profondément changé », se désolent les sénateurs.

 Le problème du logement est clair : il tient à la fois à l'offre et à la demande. Or, pouvoir se loger, acquérir son logement, c'est pour tant de Français le projet d'une vie, l'assurance d'une retraite sereine. 

Gabriel Attal, Premier ministre, 30 janvier 2024

Agir sur la demande et sur l’offre

« Le problème du logement est clair : il tient à la fois à l’offre et à la demande. Or, pouvoir se loger, acquérir son logement, c’est pour tant de Français le projet d’une vie, l’assurance d’une retraite sereine ». Gabriel Attal ne croyait pas si bien dire, lors de son discours de politique générale, prononcé le 30 janvier dernier. Si ses annonces sur le logement et notamment la volonté affichée du Premier ministre de revoir la loi SRU avaient réjoui la droite et suscité l’ire de la gauche, le gouvernement en prend largement pour son grade, le rapport dénonçant des mesures partageant « la volonté d’économies budgétaires immédiates et l’alourdissement des contraintes pour les acteurs du secteur » (réduction du prêt à taux zéro, suppression du dispositif Pinel sans solution alternative, ou encore diminution des financements du logement social).

En réponse à un « diagnostic particulièrement alarmant », la mission d’information sénatoriale juge nécessaire d’entreprendre des actions à la fois sur la demande, « pour un effet à court terme », et sur l’offre, « pour un impact à moyen terme ». Sur le premier point, afin de « stopper l’attrition du marché locatif », les sénateurs proposent un report des dispositifs de la loi « Climat et résilience », qui fixe notamment l’interdiction de louer des biens possédant un mauvais diagnostic de performance énergétique (DPE) à horizon 2025. Une mesure qui « fait peser un risque important de sortie du marché d’environ 18 % des logements locatifs » pour le rapport, qui propose un report du mécanisme à 2028, le temps pour les propriétaires de faire les travaux nécessaires.

Autre piste, encore plus d’actualité avec l’approche des JO, les élus du palais du Luxembourg souhaitent s’attaquer à l’explosion de la location touristique, proposant de « donner aux maires les moyens de réglementer sévèrement les meublés de tourisme partout où ces locations provoquent un effet d’éviction sur l’habitat permanent et sont devenues un véritable produit financier ». A cet égard, une proposition de loi en la matière sera prochainement examinée au sein de la chambre haute, dont la rapporteure au Sénat est la sénatrice LR de la Haute-Savoie, Sylviane Noël.

Du côté de l’offre, le rapport met en exergue plusieurs axes. A la clé, différentes mesures en faveur des élus locaux. Ce faisant, les sénateurs souhaitent lancer un chantier de simplification par la réduction des délais et des recours, mais aussi en redonnant « l’envie, les moyens et le pouvoir d’agir » aux maires, rappelant la volonté de ces derniers de « prendre une part plus active dans l’attribution des logements sociaux de leur territoire ». Le Sénat s’était d’ailleurs mobilisé l’année dernière sur le sujet par le vote d’une proposition de loi, portée par la sénatrice LR des Yvelines, Sophie Primas, qui fait désormais du maire, le président de la CALEOL (Commission d’attribution de logements et d’examen de l’occupation des logements), « en lieu et place d’un représentant de l’organisme de logement social ».

En outre, la mission d’information ambitionne d’utiliser le foncier existant, en encourageant la transformation de bureaux en logement, alors que « 4,4 millions de mètres carrés sont vacants en Ile-de-France, soit quelques dizaines de milliers de logements », précise le rapport. Une proposition de loi est là aussi sur les bureaux de la chambre haute. Plus largement, reprenant à leur compte les analyses de la Banque des territoires, les sénateurs aspirent à une « requalification des zones commerciales en entrée de ville », qui offrirait un vivier potentiel d’un million de logements.

« 3 objectifs majeurs » pour une « refondation » de la politique du logement

Sur le long terme, un changement de braquet semble, de la même manière, nécessaire, alors que de nombreux auditionnés ont rappelé « qu’aucune véritable réflexion d’ensemble n’avait été menée depuis la réforme Barre de 1977 », portant notamment création de l’aide personnalisée au logement (APL). Constatant un besoin annuel de logements neufs « entre 350 000 et 520 000 », selon les différents scénarios des professionnels du secteur, les sénateurs souhaitent faire un véritable état des lieux par « la rédaction d’un livre blanc refondant la politique du logement et aboutissant à une loi de programmation », qui créerait notamment une « contrainte temporelle et financière » sur l’exécutif, « comme cela se fait en matière de défense », indique le rapport.

Une « refondation » que les élus déclarent vouloir décliner en trois objectifs. Tout d’abord, « offrir un logement pour tous », en « réaffirm [ant] le modèle du logement social » ; ensuite, par le « déblocage du parcours résidentiel des classes moyennes », qui passent par un « soutien actif à l’accession », via par exemple, un « renforcement du prêt à taux zéro » ; enfin, à travers « la reconnaissance de la contribution sociale et économique du bailleur privé », en d’autres termes, changer la perspective au sein de la population, face à des propriétaires, souvent vus comme des « rentiers », plutôt que des « fournisseurs d’un service » … ce qui suppose d’adapter la fiscalité en conséquence.

Le sujet du logement devrait en tout cas rapidement revenir au centre des discussions parlementaires, le ministre du Logement, Guillaume Kasbarian, souhaite mettre fin au logement social « à vie » pour certains ménages : « Quand on a 5,2 millions de logements sociaux en France et 1,8 million de ménages qui candidatent légitimement pour y entrer, est-il normal qu’ils soient empêchés de le faire alors qu’il y a des gens au sein du parc social dont la situation a largement changé depuis qu’ils se sont vus attribuer leur logement ? », se demande-t-il auprès de nos confrères des Echos. Le gouvernement devrait cependant reprendre certaines recommandations du rapport de la mission d’information, à l’image d’un pouvoir renforcé pour les maires ou encore la réduction des délais de recours.

Certains estimeront cependant que s’attaquer au logement, c’est d’abord et avant tout, prendre à bras-le-corps le problème du « mal-logement ». En l’espèce, le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre est particulièrement alarmant : « plus de 4 millions de personnes sont mal-logées dont plus d’un million sont privées de logement personnel », selon l’association, et « plus de 12 millions sont considérées comme en fragilité par rapport au logement », soit près de 20 % de la population de l’Hexagone.

Amel Gacquerre (Union centriste), l’une des rapporteures de la mission sénatoriale, résume au micro de Quentin Calmet les préconisations du rapport. Elle estime que les décisions prises par l’exécutif depuis 2017 ont aggravé une crise ancienne par ailleurs. Regardez la vidéo.

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