Depuis la reprise des débats sur le projet de loi de finances (PLF), au Sénat, le 15 janvier, l’examen des budgets des ministères se suivent et se ressemblent : le gouvernement dépose, à la dernière minute, un amendement portant plusieurs millions d’euros d’économies. Des économies qui s’ajoutent, généralement, à celles déjà décidées par le gouvernement Barnier. Car pour rappel, le gouvernement Bayrou est reparti de la base du PLF qui était en cours d’examen au Sénat, quand la censure a été votée.
S’il faut attendre la fin de la deuxième partie sur les dépenses, jeudi, pour faire les comptes, la méthode se répète sur chaque mission. Le tout avec des explications souvent laconiques des ministres. Selon les cas, la majorité sénatoriale soutient ces coups de rabot, comme sur l’aide au développement (-2,78 milliards d’euros au total), l’écologie (-995 millions), l’enseignement supérieur et la recherche (- 630 millions) ou l’audiovisuel public (-80 millions), ou les rejette, comme sur l’agriculture (le gouvernement voulait -285 millions supplémentaires, en plus de -400 millions déjà prévus et votés), le sport (le gouvernement défendait -123 millions) ou l’éducation nationale (l’amendement prévoyait – 52 millions). Sur les collectivités, la majorité sénatoriale a limité l’effort, de 5 à 2,2 milliards d’euros. Rare exception : le budget de la défense est sanctuarisé, avec une hausse de 3,3 milliards d’euros, conformément à la trajectoire de la loi de programmation militaire 2024-2030.
« Des amendements qui tombent à 23h30, la veille, parfois même une heure avant »
Sur la forme, comme sur le fond, l’attitude du gouvernement passe mal à gauche. « Tout le monde est mis dans la nasse, il n’y a plus vraiment de débat. On avance brutalement sur toutes les missions », regrette le sénateur des Ecologistes, Thomas Dossus, qui dénonce : « Ils y vont à la hache. Bercy, je pense, est très content de cette méthode ».
Concrètement, les sénateurs n’ont quasiment pas de temps pour découvrir et travailler ces nouveaux amendements gouvernementaux. « Quand on a des amendements qui tombent à 23h30, la veille, parfois même à 9 heures, une heure avant le début de la mission, on est dans des conditions démocratiques qui ne sont pas normales, pas au standard de grandes démocraties. C’est à marche forcée », estime Thomas Dossus. Pour le sénateur écologiste du Rhône, « le débat est escamoté. Mais ça peut aussi arranger les ministres et Bercy. Ça fait partie d’une stratégie globale », selon Thomas Dossus.
« On n’a jamais vu ça », témoigne Patrick Kanner
Au PS, on critique aussi la tournure des débats. « C’est vrai que les conditions du budget sont compliquées. Je n’en doute pas. Mais néanmoins, les amendements qui tombent parfois une heure avant le début d’une mission, c’est quand même très pénalisant pour le travail parlementaire », pointe du doigt Patrick Kanner, président du groupe PS. « Les parlementaires sont maltraités, mais aussi les collaborateurs », qui travaillent sur les amendements, note encore le sénateur PS du Nord, qui ajoute, au sujet des amendements de dernière minute : « Parfois, ça arrive. Mais là, tout le temps, on n’a jamais vu ça ».
« Ça ne peut pas être Bercy qui décide de tout », renchérit Rémi Féraud, sénateur PS de Paris, qui sent une « impréparation » du côté de l’exécutif. Celui qui entend briguer la mairie de Paris en 2026 a aussi été confronté aux mêmes difficultés. « Sur l’action extérieure de l’Etat, c’est-à-dire les affaires étrangères, dont je suis rapporteur, on apprend l’amendement cette nuit. De plus, il contient les trois jours de carence des fonctionnaires, alors que François Bayrou s’est engagé à y renoncer (dans l’accord de non-censure avec le PS », relève Rémi Féraud.
« On fait semblant »
A droite, si on soutient une bonne partie des économies, on n’est pas plus à l’aise avec la méthode. Le rapporteur général de la commission des finances, le sénateur Jean-François Husson, qui soutient le gouvernement en tant que membre du groupe LR, reconnaît que les amendements de dernière minute ne sont pas idéals. « Ce n’est jamais agréable. La mise en route, de ce côté-là, est perfectible », souligne le sénateur de Meurthe-et-Moselle. Jean-François Husson ajoute :
Ces méthodes de travail « last minute », les sénateurs en ont par exemple fait l’expérience lors de l’examen du budget de l’audiovisuel public. La ministre de la Culture, Rachida Dati, veut alors alourdir les économies imposées à France Télévisions et Radio France notamment, de 50 à 100 millions d’euros. Après des discussions en pleine séance, mais hors micro, la droite propose alors un compromis à 80 millions d’euros. Au passage, Roger Karoutchi propose de maintenir quelques millions pour France Media Monde. Mais face à ces modifications sur le fil, l’ancien vice-président du Sénat, pourtant rodé à la séance pour en avoir présidé de nombreuses, s’y perd quelque peu.
« Soyons francs Madame la présidente. Travailler dans ces conditions, c’est quand même athlétique, hein. Entre le fait qu’on n’ait pas les amendements, pas les sous-amendements, et que tout bouge à tout moment, ça devient un peu… Voilà, on fait semblant », lâche Roger Karoutchi. Regardez :
« Arriver à documenter les économies, ce n’est pas facile. Et personne ne veut en faire »
Pour la sénatrice LR Christine Lavarde, membre de la commission des finances, ces conditions de travail s’expliquent. « Le ministère du Budget a donné des enveloppes aux autres ministères. Il a demandé à chacun un quantum d’économies. Et les discussions peuvent être un peu longues entre le ministère et la direction du budget », avance la sénatrice LR des Hauts-de-Seine. « Arriver à documenter les économies, ce n’est pas facile. Et personne ne veut en faire. Il y a une forme de rigidité », constate aussi Christine Lavarde. Elle-même a d’ailleurs « des réserves », sur certaines économies qui ont été adoptées sur la mission écologie.
La majorité et le gouvernement assument, jusqu’ici, leur volonté d’économies. « François Bayrou a dit ce matin qu’on arriverait à 5,4 % de déficit public, qu’il fallait non seulement faire des économies, mais qu’il fallait aussi les voter », selon le président du groupe RDPI (Renaissance), François Patriat, présent ce matin au petit déjeuner de la majorité autour du premier ministre.
Reste à voir si cet objectif des 5,4 % sera toujours au rendez-vous à l’issue des travaux du Sénat, puis de la commission mixte paritaire, où les socialistes sont bien décidés à négocier à nouveau avec le gouvernement, pour tenter de revenir sur ces coups de rabot.