Débats thématiques sur le budget : l’idée « iconoclaste » de Sébastien Lecornu crée « la confusion » et revient à « tordre la Constitution », accusent les sénateurs

Pour tenter de trouver une voie de passage sur le budget, Sébastien Lecornu va organiser, pour le moment à l’Assemblée, des débats suivis d’un vote, au moment où le Sénat entame l’examen du budget. Pour les sénateurs, il cherche surtout à faire « diversion », alors que le gouvernement Lecornu « est dans un triangle des Bermudes ». Aucun débat n’est prévu pour l’heure au Sénat, qui tient à ne pas changer son calendrier budgétaire.
François Vignal

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Ils ne l’ont pas vu venir. En prenant la parole lundi matin, pour parler budget, le premier ministre a proposé une idée surprise, hors des sentiers parlementaires. Elle est accueillie froidement. De quoi s’agit-il ? Constatant le rejet de la partie recettes du budget par les députés, qui n’ont donc pu se pencher sur les dépenses par ministère, Sébastien Lecornu tente « une méthode un peu différente » : organiser, « en marge » des débats au Sénat, qui va commencer l’examen du projet de loi de finances (PLF) à partir de jeudi, des rencontres avec tous les groupes politiques, ainsi que des débats thématiques, suivis d’un vote, selon l’article 50.1 de la Constitution. Ces débats et ces votes n’engagent pas le Parlement. Il s’agit uniquement de prendre position.

« L’heure n’est pas à la dispersion, aux initiatives intempestives »

Le premier ministre met cinq thèmes sur la table, sur lesquels les forces politiques sont priées de se « positionner » : déficit, décentralisation, énergie, agriculture et sécurité/défense. Sébastien Lecornu espère ainsi constater les points d’accords entre formations, et faciliter la recherche d’un accord, in fine, sur le budget.

A la Haute assemblée, qui va sans nul doute examiner la partie dépenses du budget, c’est peu dire que l’idée passe mal chez les LR. « L’heure n’est pas à la dispersion, aux initiatives intempestives », a sèchement rétorqué lundi le rapporteur général du budget du Sénat, le sénateur LR Jean-François Husson. « Ça va devenir compliqué pour nos concitoyens de savoir ce qu’il se décide, et où », pointe encore le rapporteur, qui pointe la « cacophonie » ambiante (lire notre article sur sa réaction).

« Il fait dans la créativité »

« Ça fait écho à ce que je dis depuis un certain nombre de semaines. On n’a pas de cap. Et quand on n’en a pas, malheureusement, on est obligé de tordre la Constitution. Il s’est départi du 49.3, il nous dit qu’il ne veut pas d’ordonnance, maintenant, il fait dans la créativité », réagit ce mardi le président du groupe LR, Mathieu Darnaud (voir la première vidéo, images de Clément Guillonneau). S’il se rendra à Matignon s’il y est invité, il ajoute : « Pour avoir un budget, il faut respecter le travail du Parlement. C’était, il me semble, son intention première. Je ne suis pas sûr que ce soit en sériant les sujets qu’on va réussir à avancer ».

Plus dur encore, le sénateur LR, Olivier Paccaud, fustige l’attitude du premier ministre. « On pourrait presque en rire. Il ne nous a pas ressorti le conclave mais on aurait pu l’avoir ! », raille le sénateur LR de l’Oise. « Il essaie de trouver des voies de passage, on ne peut pas l’en blâmer. Mais malheureusement pour lui, l’échec sera au bout. Il est dans un triangle des Bermudes. Le vaisseau gouvernemental est avec des voiles déchirées. Il n’a pas de cap, pas de boussole et il y a des vents contraires qui soufflent », lance Olivier Paccaud, qui n’y « croit pas un seul instant ».

« Pour Gérard Larcher, c’est hors de question d’avoir un débat 50.1 pendant les débats du budget »

Le président LR du Sénat lui-même, Gérard Larcher, voit d’un mauvais œil cette perspective. En conférence des présidents de la Haute assemblée, il a fait part de son « mécontentement sur cette façon de procéder », selon l’AFP, craignant de voir l’agenda du Sénat perturbé, au moment où il entame l’examen du projet de loi de finances. Dans un agenda parlementaire surchargé, surtout en période budgétaire, ajouter de tels débats serait en effet une gageure.

« Pour Gérard Larcher, c’est hors de question d’avoir un débat 50.1 pendant les débats du PLF. On a déjà modifié trois fois l’ordre du jour, on ne va pas encore le remodifier alors qu’on doit voter le 15 décembre », nous confirme l’un des participants à la réunion. Après, « il peut toujours y avoir un débat 50.1 qu’à l’Assemblée », ajoute le même. Pour l’heure, c’est bien le chemin que semble prendre le gouvernement. Des débats sur la « défense nationale » et « le narcotrafic » auront lieu les 10 et 17 décembre prochains à l’Assemblée, a proposé mardi le ministère des Relations avec le Parlement.

Et quid du Sénat ? « Pour l’instant, c’est acté seulement à l’Assemblée nationale », explique une source gouvernementale, qui assure – point important – que « le calendrier budgétaire du Sénat sera respecté ». On comprend que la Haute assemblée n’aurait pas à bousculer encore son agenda pour faire de la place aux débats. De quoi peut-être imaginer, dans ces conditions, un débat 50.1 après le vote sur le budget, prévu le 15 décembre.

« Il ne faut pas perturber le temps normal du travail parlementaire », pointe Patrick Kanner

A gauche, le président du groupe PS, Patrick Kanner, n’est pas emballé non plus. S’il se dit « favorable » à rencontrer le premier ministre, il s’interroge tout autant sur la formule imaginée par Matignon. « On est en plein débat, on va entamer le projet de loi de finances jeudi au Sénat. Il ne faut pas perturber le temps normal du travail parlementaire », souligne le sénateur PS du Nord, qui craint que des « débats de type 50.1 avec vote puissent créer de la confusion. Est-ce que c’est pour faire diversion ? Des mesures dilatoires ? Attention de ne pas rajouter de la confusion à un débat assez confus et que les Français ne comprennent pas ». Regardez :

Quant au débat sur la défense, il n’est pas en soi contre. Au contraire, il a même « signé hier une lettre à Sébastien Lecornu, pour lui demander l’organisation d’un débat 50.1, suite aux déclarations du chef d’état-major des armées, Fabien Mandon, et globalement sur la situation de la défense. Donc les grands esprits pourraient se rejoindre. Mais je ne veux pas tout mélanger, et ce débat, je le demande plutôt à la rentrée de janvier », explique Patrick Kanner.

Son collègue socialiste, le sénateur Rachid Temal, n’est pas non plus contre un débat sur la défense, pour l’avoir aussi demandé. Mais il n’y voit pas une solution pour le budget. « Tout ce qui est débat, confrontation d’idées, est une bonne chose. Pour autant, ça ne règle pas le problème du budget, de par l’incapacité des LR, et donc du socle commun, à avoir une position unanime, et donc d’avoir un compromis avec la gauche et les socialistes », relève le sénateur PS du Val-d’Oise. Rachid Temal ajoute : « Une fois qu’on aura fait les débats, la droite va-t-il accepter, ou pas, la suppression de la réforme Borne ? C’est la seule question qui vaille. Si on ne sait pas répondre à cette question, le reste n’est que littérature ».

« Le PLF, c’est un document d’ensemble. On ne peut pas le morceler »

Thierry Cozic, chef de file du groupe PS sur le budget, trouve-lui « la proposition du premier ministre complètement iconoclaste. On ne sait plus quoi avancer pour trouver une voie de passage… » « Ça ne va pas permettre d’avancer sur le PLF. Ça ne fonctionne pas en silo. Le PLF, c’est un document d’ensemble. On ne peut pas le morceler », ajoute-t-il. Pour lui, « c’est un peu sauve-qui-peut ». Pour trouver une sortie de crise, le sénateur PS de la Sarthe en vient à évoquer la nécessité du recours… au 49.3, dont le non-recours est pourtant une concession faite par Sébastien Lecornu au PS. Mais on sait que plusieurs membres du Parti socialiste y ont vu en réalité une erreur. Boris Vallaud, à la tête des députés PS, n’était pas lui-même des plus convaincus. « Quoi qu’on en dise sur le non-recours au 49.3, à un moment, il faut trouver une porte de sortie », soutient Thierry Cozic, qui ajoute :

 La Constitution permet au premier ministre d’utiliser le 49.3. A lui d’en faire état, s’il le juge opportun. 

Thierry Cozic, chef de file du groupe PS sur le budget.

Mettre les parlementaires « au pied du mur » avant les municipales, Thierry Cozic « voit bien la manœuvre »

Mais pour le chef de file du groupe PS sur le budget, Sébastien Lecornu essaie en réalité « de gagner du temps », dans une forme de calcul politique. « Je me rends bien compte que les délais avancent. On se rapproche de la fin d’année et de l’hypothèse d’une loi spéciale, si le budget n’est pas adopté dans les temps. Et en janvier/février, on reparlera du PLF, mais on sera avant les municipales de mars. On pourra alors mettre une pression extrêmement forte sur les groupes politiques, en les mettant au pied du mur. Je vois bien la manœuvre », décrypte Thierry Cozic.

Autrement dit, les parlementaires oseraient moins facilement s’opposer au budget et empêcher son adoption, préférant paraître responsable, juste avant les municipales. A mois que ce ne soit l’inverse…

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