Déficit : « 2023 a été une année noire pour les finances publiques », alerte Pierre Moscovici

« Le déficit budgétaire de 2023 est le deuxième le plus dégradé jamais enregistré », souligne le président de la Cour des comptes. Il met en garde sur la faisabilité des prévisions de réduction du déficit affichées par le gouvernement. L’ancien ministre de l’Economie relève « des problèmes de crédibilité et de cohérence ». D’autant que l’effort nécessaire pourrait avoir « un impact » sur l’économie.
François Vignal

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Un gros glissement qui fait mal aux finances publiques. Le déficit public français a été, en 2023, de 5,5 % du PIB, contre 4,9 % prévus par le gouvernement. Un décalage qui coûte très cher. Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, annonçait en février 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires, avant que la suite n’arrive lors du prochain budget.

Pour y voir plus clair, le rapporteur général LR de la commission des finances du Sénat, Jean-François Husson, a utilisé son pouvoir de contrôle à Bercy. Il en ressort des notes internes qui alertaient la forteresse du ministère de l’Economie du risque de dérapage, dès la fin 2023 (lire notre article). Pour aller plus loin et mieux comprendre comment le gouvernement a pu en arriver là, la commission des finances a lancé une mission d’information « sur la dégradation des finances publiques depuis 2023 » avec la question de l’information, ou plutôt de l’absence d’information, du Parlement. « Nous avons eu le sentiment d’être contournés, soit mal informés », dénonce encore aujourd’hui Jean-François Husson.

« Sur les dépenses, il y a un constat clair et décevant »

C’est un acteur de choix, le premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques, Pierre Moscovici, que les sénateurs ont auditionné ce mardi. L’ancien ministre socialiste de l’Economie a des mots durs sur la situation. « Quand j’étais venu présenter le rapport sur le budget de l’Etat (publié chaque année par la Cour, ndlr), j’avais parlé de 2023 comme d’une année blanche. […] En réalité, c’était une année noire qui s’est révélée pour les finances publiques de l’Etat » commence d’emblée Pierre Moscovici, relevant que « le déficit budgétaire de 2023 est le deuxième le plus dégradé jamais enregistré. Il atteint presque le niveau record de 2020, qui était frappé de plein fouet par la crise sanitaire ».

Concrètement, le déficit 2023 a atteint « 173 milliards d’euros », soit « 21 milliards de plus qu’en 2022 » et « 9 milliards d’euros de plus que prévus dans la loi de finance initiale pour 2023 ».

« Sur les dépenses, il y a un constat clair et décevant : nous n’avons pas profité du reflux des dépenses exceptionnelles de crise et de relance pour diminuer les dépenses de l’Etat et réduire le déficit », pointe Pierre Moscovici, qui compte + 15 milliards d’euros sur les « nouvelles mesures », notamment liées au coût de l’énergie, et + 14,5 milliards en dépenses ordinaires, « notamment 3,8 milliards sur la charge de la dette », sans oublier « 6 milliards de masse salariale, après l’augmentation du point d’indice et une augmentation des effectifs de l’Etat de + 8991 équivalents temps plein ».

Sur les recettes, « une mauvaise surprise qui n’a fait qu’aggraver le déficit »

L’autre difficulté vient des recettes. « Elles baissent en 2023 après deux années très dynamiques. C’est une mauvaise surprise qui n’a fait qu’aggraver le déficit », note Pierre Moscovici. Les recettes ont ainsi reculé de 8,2 milliards entre 2022 et 2023 et se sont surtout situées à un niveau « inférieur de 7,4 milliards par rapport à la prévision de loi de finances initiale ». « Cela s’explique en partie par les transferts de TVA (aux collectivités, ndlr), dont l’Etat n’est plus qu’un attributaire minoritaire », ajoute le président de la Cour des comptes.

Si cet écart de recettes ne pouvait pas intégralement se prévoir, « une autre partie pouvait être anticipée, en particulier les revenus du prélèvement sur les superprofits des producteurs d’électricité qui étaient estimés à 12,3 milliards d’euros en loi de finances initiale, montant réduit à moins de 3 milliards en loi de finances de fin de gestion, finalement réduit à 0,6 milliard », pointe Pierre Moscovici, qui ajoute : « Dès lors que vous indexez une taxe sur l’inflation et que vous avez une politique qui mène à la désinflation, il n’est pas absurde que le rendement diminue. […] C’est un peu incohérent avec les hypothèses ». Autrement dit, le recul de l’inflation a pesé dans le niveau beaucoup plus faible que prévu des recettes, ce qu’aurait pu prévoir le gouvernement.

« Le gouvernement ne fournit pas certaines données sur les comptes des administrations publiques »

Autre point de vigilance : « La charge de la dette de 54 milliards en 2023. […] C’est l’équivalent du budget des armées. Cette tendance est inquiétante ». Au final, la Cour des comptes a certifié les comptes mais « avec une opinion de réserve ».

Pour compliquer les choses, Pierre Moscovici relève que « le gouvernement ne fournit pas certaines données sur les comptes des administrations publiques », ou certaines « notes », comme celle du Trésor, en date du 7 décembre, qui évoquait une potentielle dégradation du PIB jusqu’à 5,2 %… Et « nous manquons de temps », « le délai est très tendu » pour remettre l’avis au secrétariat général du gouvernement, « ce n’est pas une situation satisfaisante », regrette Pierre Moscovici.

« Le débat sur la cohérence mérite d’être posé »

Concernant la suite de l’effort de réduction du déficit, il dénonce même les faiblesses du scenario du gouvernement. « Nous avons souligné des problèmes de crédibilité et de cohérence », lâche Pierre Moscovici, car pour passer sous la barre des 3 % de déficit en 2027, comme le veut le gouvernement (2,9 % exactement), « ce sont des marches extrêmement hautes à faire, comme on n’a jamais fait », alerte-t-il. « Le débat sur la cohérence mérite d’être posé », insiste-t-il, pointant un risque « d’impact sur la croissance », si l’exécutif cherche coûte que coûte, c’est-à-dire à coups de milliards d’économies, à réduire le déficit. « Vous retirez 20 milliards par an, ce n’est pas sans impact sur le PIB », prévient l’ancien ministre de l’Economie, ce qui pourrait amener à faire « encore plus d’économies que prévues, des économies qui sont déjà extrêmement lourdes ». Autrement dit, le remède (de cheval) risque d’être pire que le mal.

Après avoir écouté Pierre Moscovici, le sénateur LR Jean-Raymond Hugonet est quelque peu circonspect. Car en début d’après-midi, il a suivi le débat sur le programme de stabilité, en présence des ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave. C’était deux salles, deux ambiances. « La séquence à laquelle nous venons d’assister est vraiment surréaliste. […] Nous venons d’entendre les ministres qui disent que globalement, tout va bien. Et nous vous entendons là nous dire un message d’alerte et de vigilance », relève le sénateur de l’Essonne. Pour Pierre Moscovici, qui défend la nécessité de faire des économies mais en visant la qualité de la dépense publique, « il faut trouver un chemin ». Ça ressemble de plus en plus à un labyrinthe.

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