Ancien président de Médecins sans frontières, le sénateur Les Indépendants Claude Malhuret a tenu à revenir sur son expérience personnelle, « avec une histoire qu’il n’a jamais racontée », celle d’un avortement clandestin dans un pays du tiers-monde, dont il a été le témoin indirect. « J’avais vingt-cinq ans, j’étais coopérant. Médecin-chef d’un petit hôpital dans un coin perdu d’un pays du Sud », raconte à la tribune du Congrès ce proche d’Edouard Philippe.
« Un jour, après avoir entendu du remue-ménage dans le couloir, j’ai vu surgir dans mon bureau une jeune femme, 17-18 ans peut-être, dont je me rappellerai toujours le visage », explique l’élu. « Les cheveux décoiffés, les vêtements de travers comme si elle venait de se débattre, les bras maintenus par deux gendarmes qui l’encadraient et la poussaient dans la pièce sans ménagement. » Rapidement un scénario se dessine : « Le matin même un voisin, intrigué par le manège de chiens errants qui s’acharnaient à gratter la terre près de sa maison, s’était approché et avait découvert le cadavre d’un nouveau-né, à peine enfoui dans le sol. L’enquête n’avait pas été longue, et l’on me demandait d’examiner la suspecte pour savoir si elle venait ou non d’accoucher. »
« Je suis resté longtemps assis, le visage caché dans les mains, cherchant désespérément comment éviter l’inévitable », a confié Claude Malhuret. Finalement, un infirmier finira par intervenir « pour confirmer le diagnostic et les soupçons » des forces de l’ordre, explique l’ancien secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme. « Je repense souvent à elle et à ses yeux d’animal traqué, me demandant combien d’années de prison pour un infanticide, et surtout combien d’années de culpabilité, peut-être toute une vie, pour avoir tué son enfant », a-t-il encore confié.
« En étant le premier pays au monde à garantir cette liberté dans notre Constitution, nous allons susciter, là où nous sommes encore sinon un exemple du moins une référence, des débats, des prises de position, des avancées peut-être, qui rapprocheront le jour où, comme ici, les femmes seront libérées de la peur, de la culpabilité et de l’impuissance à maîtriser leur destin », a salué Claude Malhuret. Dans la vaste salle du Congrès, ses paroles ont été accueillies par une ovation debout de l’ensemble des parlementaires.