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Droit du sol à Mayotte : que contient la nouvelle proposition de loi ?

Jeudi soir, l’Assemblée nationale a adopté, avec le soutien du gouvernement, une proposition de loi LR visant à restreindre une nouvelle fois le droit du sol à Mayotte. En 2018, les conditions d’accès à la nationalité française avaient déjà été durcies sur l’Archipel par rapport à la métropole. Explications.
Simon Barbarit

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Au terme d’une séance houleuse, les députés ont adopté, jeudi soir, une proposition de loi portée par le groupe Droite Républicaine visant à durcir le droit du sol à Mayotte.

Depuis 2018, une dérogation existe déjà au droit du sol existe déjà à Mayotte. Pour acquérir la nationalité par le droit du sol, il est exigé pour les enfants nés à Mayotte que l’un de ses parents ait, au jour de sa naissance, été présent de manière régulière sur le territoire national depuis plus de trois mois.

Une proposition censurée par le Conseil constitutionnel l’année dernière

Le texte adopté, hier soir, prévoit de conditionner l’obtention de la nationalité française pour les enfants nés à Mayotte à la résidence régulière sur le sol français, au moment de la naissance, des « deux parents » (et non plus d’un seul), et ce depuis trois ans (et non plus trois mois). Un amendement au dernier texte immigration avait déjà été adopté l’année dernière avant d’être censuré par le Conseil constitutionnel. Sans se prononcer sur le fond, les Sages ont estimé qu’il s’agissait « d’un cavalier législatif », c’est-à-dire une mesure sans lien direct ou indirect avec le texte initial, tel que défini à l’article 45 de la Constitution.

A noté que la proposition de loi initiale prévoyait d’étendre le délai de résidence nécessaire à un an, mais dans la confusion, des députés de gauche ont voté par inadvertance un amendement du groupe Union des Droites pour la République (UDR) qui étend le délai de résidence à trois ans. Le garde des Sceaux Gérald Darmanin, a promis de revenir sur le délai initial lors de l’examen de la proposition de loi au Sénat. Un délai de trois ans ferait, en effet, courir le risque de censure du Conseil constitutionnel.

Le ministre de la Justice s’est néanmoins permis d’affirmer sa position personnelle en s’exprimant en faveur de l’abrogation pure et simple du droit du sol à Mayotte. Il suggère même d’ouvrir « le débat public sur le droit du sol dans notre pays » en réformant la Constitution, que ce soit via un référendum ou à l’occasion de la présidentielle de 2027.

Le droit du sol en France n’est pas un droit absolu

Interrogé en mai dernier par publicsenat.fr sur la limitation du droit du sol à Mayotte, Jules Lepoutre, professeur de droit public à l’université Côte d’Azur, rappelait que l’acquisition de la nationalité par le droit du sol est un principe constant du droit français depuis la monarchie avant d’avoir été « républicanisé ». « A la différence des Etats-Unis, le droit du sol en France n’est pas un droit absolu. La naissance sur le territoire français donne vocation à obtenir la nationalité sous réserve de remplir certaines conditions. Actuellement, un enfant né de parents étrangers doit attendre ses 13 ans, et justifier de cinq ans de résidence depuis ses 8 ans, pour que ses parents puissent réclamer pour son compte la nationalité française. A Mayotte, ce droit est encore limité, ce qui a conduit à faire baisser l’acquisition de la nationalité française à Mayotte par le droit du sol de 2 900 à 900 en 2022 pour 150 000 habitants étrangers estimé par l’Insee. Mais les flux migratoires n’ont pas baissé », précisait-il.

Ce qui n’empêchait pas le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérald Darmanin de promettre l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte dans une révision constitutionnelle ». L’ancien sénateur de Mayotte, Thani Mohamed Soilihi, désormais ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé de la Francophonie et des Partenariats internationaux, était plus que dubitatif sur cette proposition et préconisait au préalable une évaluation de la réforme de 2018. « 45 % le nombre de naissances à Mayotte sont issues de l’immigration irrégulière. Mais nous n’avons pas cherché à savoir combien de parents ont eu recours à des certificats de résidence frauduleux. Nous n’avons pas non plus communiqué sur cette nouvelle législation dans les Comores. Des femmes comoriennes arrivent aujourd’hui à Mayotte pour accoucher sans savoir que leur enfant ne bénéficiera pas du droit du sol. Dernière chose, la vague migratoire actuelle provient de l’Afrique continentale, les personnes qui arrivent ne demandent pas la nationalité française mais un statut de réfugié », exposait-il à publicsenat.fr.

Gérald Darmanin sème la confusion au sein du gouvernement

A noter que Gérald Darmanin a raison de vouloir passer par une réforme constitutionnelle pour supprimer le droit du sol, que ce soit à Mayotte ou sur l’ensemble du territoire. Dans le cas contraire, un texte de loi ordinaire serait probablement censuré par le Conseil constitutionnel au nom du respect d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République mais également de l’indivisibilité de la République.

Mais la proposition du garde des Sceaux n’a pas fait que des émules au gouvernement. La ministre de l’Education, Élisabeth Borne numéro 2 du gouvernement s’est prononcée contre une révision constitutionnelle pour réformer l’accès au droit du sol en France. François Bayrou a jugé vendredi « trop étroit » un débat sur le droit du sol comme suggéré par son ministre de la Justice Gérald Darmanin et souhaité un débat « plus large » sur « qu’est-ce que c’est qu’être Français », lors d’un entretien sur RMC.

 

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