Droits TV, diffusion pirate, gouvernance et conflits d’intérêts : que dit la proposition de loi du Sénat qui vise à réformer le Foot-business

Entre suspicion de conflits d’intérêts et crise sur l’attribution des droits TV de la Ligue 1 et Ligue 2, le football français est dans la tourmente. La proposition de loi « relative à l’organisation, à la gestion et au financement du sport professionnel », vise à transformer en profondeur le modèle du football français et à réintroduire une confiance avec les amateurs de foot.
Marius Texier

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« Le football français est au pied du mur », alerte le président de la Commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport du Sénat, Laurent Lafon, en conférence de presse. « Des décisions malheureuses menacent son modèle financier et son modèle de gouvernance. C’est un bateau ivre qui navigue au gré du vent et qui, si rien n’est fait, risque de s’échouer ».

Ces dernières années, la Ligue professionnelle de football (LFP) a connu de nombreux remous liés en grande partie à l’attribution des droits tv de la Ligue 1 et de la Ligue 2 et aux suspicions de conflits d’intérêts qui en ont découlé.

La PPL fait suite à la mission d’information menée par le rapporteur Michel Savin il y a cinq mois sur la financiarisation du foot intitulé « Football-business : stop ou encore ? ». Malgré un intitulé plus large, le texte reprend les préconisations de la mission d’information.

« Cette proposition va permettre de réinstaurer un cercle vertueux basé sur la confiance qui est le seul à même de sauver le modèle du football français », prévient le sénateur centriste.

Modifier la gouvernance du football français

Il y a quelques semaines, les équipes de Complément d’enquêtes sur France 2 ont dévoilé la vidéo d’une réunion en visioconférence regroupant plusieurs présidents de clubs français de Ligue 1 et, le président de la LFP, Vincent Labrune, pour une discussion portant sur l’attribution des droits TV du football français. On y voit Vincent Labrune remercier chaleureusement le président du PSG et également président du groupe beIN Sports, Nasser al-Khelaïfi, pour sa participation à hauteur de 100 millions d’euros aux droits TV de la Ligue 1 par le biais de sa chaîne. Les présidents de clubs, présents à la réunion s’emportent et accusent le président du PSG de conflits d’intérêts.

Cette affaire est reprise dans la PPL. L’article premier « rend incompatible la fonction de dirigeant ou de membre de l’organe délibérant de la ligue professionnelle avec la détention d’intérêts ou l’exercice de fonctions au sein d’une entreprise de diffusion audiovisuelle ».

Et nouveauté dans les instances de gouvernance du football français, les associations de supporters pourront, à titre consultatif, être associées à la gouvernance selon les modalités de l’article 3. « Cette implication permettra de les responsabiliser notamment dans la lutte contre la violence et l’homophobie dans les stades », se félicite Laurent Lafon.

Réguler les sociétés commerciales

Depuis 2022, et la nécessité pour la LFP et les clubs de football professionnel de récupérer du « cash », après les pertes financières importantes liées au Covid et à la baisse des droits TV, la Ligue a monté une société commerciale en charge de ses droits TV : LFP Média. « La création de cette société entraîne des problèmes structurels de gouvernance et conduit à une certaine opacité », précise Laurent Lafon. « On ne sait plus qui s’exprime et à quel nom. Au nom de la Ligue ou au nom de LFP Média ? ».

Le neuvième article prévoit désormais un contrôle strict de la Cour des comptes « sur les sociétés commerciales créées par une ligue ou par une fédération pour la commercialisation et la gestion des droits d’exploitation ».

D’autant que LFP Média a effectué une levée de fonds et a cédé 13 % de son capital au fonds d’investissement CVC Capital Partners pour 1,5 milliard d’euros en 2022. « CVC n’a pas permis d’inverser la tendance de la baisse des droits TV et l’a même amplifié depuis », regrette le sénateur LR Michel Savin, rapporteur de la PPL.

L’article 4 et 5 visent ainsi à réguler l’entrée au capital d’actionnaires minoritaires et à limiter la durée de l’exploitation. CVC bénéficie de 13 % des revenus de la Ligue pour une durée de 99 ans. « Nous prévoyons également, avec l’article 4, que les actionnaires minoritaires comme la CVC, ne puissent bénéficier d’aucuns revenus liés aux paris sportifs ».

Une exigence d’éthique

Sur la question de la rémunération, les sénateurs cherchent à réinstaurer de la confiance entre les dirigeants et les amateurs de football.

En deux ans, le président de la LFP, Vincent Labrune a vu son salaire tripler passant de 400 000 euros à 1,2 million d’euros. « Dans l’opération avec la CVC, le président a touché 3 millions d’euros de bonus », indiquait la mission d’information des sénateurs. Lors de sa présidence, les frais personnels de Vincent Labrune ont également progressé de 30 % atteignant près de 200 000 euros annuels.

Le premier article du texte envisage que le salaire d’un dirigeant ou d’un salarié de la Ligue ne puisse plus excéder 450 000 euros soit « le plafond applicable à la rémunération du président du conseil d’administration d’un établissement public de l’État à caractère industriel et commercial ».

L’article 8 renforcera quant à lui les « obligations de déclaration d’intérêts auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) » pour les membres du Conseil d’administration de la Ligue mais également pour ses dirigeants.

Lutter contre le piratage

Autre problème soulevé par les sénateurs, le visionnage illicite d’évènements sportifs. « 55 % des téléspectateurs du match opposant l’Olympique de Marseille (OM) au Paris Saint Germain (PSG), le 27 octobre 2024, auraient visionné la rencontre de façon illicite », est-il indiqué dans la PPL. Selon l’ARCOM, pour l’année 2023, le manque à gagner causé par le piratage des retransmissions sportives représentait 290 millions d’euros soit 15 % de la part de marché.

« Le piratage n’est pas la cause des problèmes du football mais plutôt la conséquence. La multiplicité des abonnements et leurs prix ainsi que la perte de confiance auprès des amateurs a conduit à un développement massif du visionnage illicite », relève Laurent Lafon.

L’article 10 va permettre à l’ARCOM de « mettre en place un système automatisé afin d’assurer le blocage en temps réel, pendant la diffusion en direct d’un événement sportif, de l’accès à des sources de diffusion illicites », indique la proposition de loi.

« Nous ne souhaitons pas pénaliser les consommateurs mais plutôt ceux qui mettent à disposition des supports pour regarder des contenus sportifs de manière illicite. Les diffuseurs devront participer financièrement à cette lutte contre le piratage », soutien Laurent Lafon.

Vers une nouvelle organisation du sport professionnel ?

« Nous allons offrir la possibilité, via notre second article, aux fédérations sportives de rompre un contrat entre elles et une Ligue », annonce Michel Savin.

La possibilité d’un « retrait ou d’un refus de renouvellement de la subdélégation des droits dont bénéficie une ligue professionnelle » pourrait entrer en vigueur si une fédération la juge nécessaire.

« Cette disposition existe en droit mais n’a encore jamais été introduite dans le code du sport. Ce dispositif donnera un pouvoir réel aux fédérations, alerte Laurent Lafon. On ne vise pas que le foot ici, mais l’ensemble des fédérations sportives professionnelles qui ont une relation avec une Ligue ».

Déposée le 19 mars 2025, la proposition de loi devrait être inscrite le 14 mai au Sénat.

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