Les auditions s’enchaînent à la commission des affaires sociales. A l’automne, les sénateurs doivent s’exprimer sur la proposition de loi relative au droit de l’aide à mourir, adoptée à l’Assemblée nationale le 27 mai dernier. « Il est utile de bénéficier d’un retour d’expériences », juge la sénatrice LR et vice-présidente de la commission, Pascale Gruny, avant le début des auditions. Pour se faire une idée précise de la fin de vie dans les autres pays, deux avocats de Bruxelles et du Québec ont été invités, accompagnés d’un professeur d’éthique de la santé néerlandais.
« Un tournant en Belgique »
« En 2002, nous avons vécu un tournant en Belgique », révèle Jacqueline Herremans, avocate au barreau de Bruxelles. Depuis cette date, comme cinq autres pays d’Europe, le Belgique autorise l’euthanasie active sous conditions : « Le patient doit éprouver des souffrances psychiques et physiques inapaisables et causées par une infection grave et incurable », prévient la présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité de Belgique. A partir de 2014, la Belgique a également autorisé et encadré l’euthanasie des mineurs dans une situation médicale sans issue. Comme pour les personnes majeures, le discernement de la personne est nécessaire tout comme le fait de souffrir d’une pathologie grave et incurable. « On ne peut pas parler de légalisation de l’euthanasie en Belgique, mais plutôt d’une dépénalisation. Pour les médecins qui la pratiquent, il n’y a pas de poursuites », explique Jacquelines Herremans prévenant que l’euthanasie doit s’accompagner d’une multitude de précautions. « Sur la forme : la volonté du patient doit être recueillie par écrit, le dialogue doit être continu, de nombreux entretiens se succèdent et il y a une obligation de consulter un second médecin », précise-t-elle. En 2022 et 2023, plus de 150 Français ont obtenu une euthanasie en Belgique.
« Au Québec, nous avons reconnu le droit fondamental de tout être humain de choisir le moment et le lieu de son décès »
« Chez nous, c’est également une dépénalisation et non une légalisation », ajoute Pierre Deschamps, avocat au barreau du Québec et éthicien. « Au Québec, nous avons reconnu le droit fondamental de tout être humain de choisir le moment et le lieu de son décès. Cette façon de mourir est la meilleure selon les médecins plutôt que de mourir dans des souffrances non contrôlées », juge l’avocat. Depuis 2016, le Canada a rendu légale l’euthanasie active volontaire ou « aide médical à mourir ». Pour y avoir recours, il faut être âgé d’au moins 18 ans et être atteint d’une maladie en phase terminale où la mort naturelle est « raisonnablement prévisible ». Contrairement à la Belgique où des non-résidents peuvent prétendre bénéficier de l’aide à mourir, le Canada conditionne cette pratique aux seules personnes éligibles à l’assurance médicale canadienne. Depuis 2016, plus de 60 000 personnes ont eu recours à cette aide à mourir. Des statistiques en hausse chaque année qui font office d’argument pour les opposants à la loi. Lors de son audition le 12 juin dernier, l’ancien député Jean Leonetti, auteur du premier texte de loi sur la fin de vie en France, s’inquiétait des dérives possibles : « Je ne connais pas de garde-fous qui n’aient pas sauté dans les pays où ce type de loi s’applique. Au Canada, on est ainsi passé de 2,5 % de décès par suicide assisté à 7,8 % », a-t-il souligné. En 2023, 15 300 personnes ont eu recours à l’aide médicale à mourir au Canada soit près de 5 % des décès.
« Les Pays-Bas ont eu l’expérience la plus longue »
« Je salue les débats qui ont eu lieu en France », lance le professeur d’éthique de la santé, Theo Boer. « Les Pays-Bas ont eu l’expérience la plus longue. Les patients qui souffrent insupportablement peuvent demander de mettre fin à leurs jours ». Premier pays du monde à avoir légalisé l’euthanasie, ou plutôt l’avoir dépénalisé, les Pays-Bas pose plusieurs conditions pour la réalisation de l’acte. Une demande par écrit doit être effectuée par le patient et celui-ci doit souffrir en raison d’une cause médicale. Cette souffrance doit être « insupportable » et « sans espoir d’amélioration ». Le médecin peut également, s’il le souhaite, activer son droit de retrait pour ne pas pratiquer l’acte. Une nouvelle étape a aussi été franchie aux Pays-Bas en 2023 avec l’autorisation de l’euthanasie pour les enfants de moins de 12 ans pour les mêmes conditions que les personnes majeures.
Le professeur émet tout de même une réserve : « La liberté des uns devient parfois la contrainte des autres », juge-t-il. « J’ai le sentiment qu’un patient doit de plus en plus justifier sa volonté de vivre et de mourir d’une « fin naturelle », plutôt que de recourir à l’aide à mourir ». Mais le Néerlandais se dit lucide : « La mort et donc l’euthanasie est une chose si privée qu’il n’est pas possible de la légiférer entièrement ».