2024 est une année « d’effervescence francophone ». Elle est ponctuée de temps forts et inédits pour la langue française. Cet été, avec l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques. Les trente ans de la loi Toubon le 4 août dernier, adoptée en 1994, elle encadre l’emploi du français dans la société et vise à combattre les « anglicismes ». Et du 19e Sommet de la Francophonie qui aura lieu les 4 et 5 octobre à Villers-Cotterêts (Aisne), le premier à se tenir dans l’hexagone depuis 33 ans, c’était alors au Palais de Chaillot, en plein cœur de la capitale.
Dans la continuité du rapport du 2017
Dans ce contexte, la commission de la Culture, de l’Education, de la Communication et du Sport veut « apporter sa contribution aux réflexions en cours sur l’évolution de la langue française et de son rayonnement ». Son rapport est dans la continuité de celui de 2017, intitulé : « Francophonie : un projet pour le XXIe siècle ». Il recommandait de faire des Outre-mer « la tête de pont de cette politique » ou d’inciter les hauts fonctionnaires à utiliser le français comme langue internationale.
Cette nouvelle mission d’information formule dix-sept recommandations pour « œuvrer en faveur d’une francophonie ouverte, attractive et volontaire » et à « renforcer la loi Toubon ». Elle a été confiée à Catherine Belrhiti, sénatrice Les Républicains de Moselle, Yan Chantrel, sénateur socialiste des Français de l’étranger et Pierre-Antoine Levi, sénateur centriste du Tarn-et-Garonne.
« Le français doit demeurer la langue de travail des institutions européennes »
Les rapporteurs rappellent que « Francophonie et multilinguisme vont de pair ». Ils indiquent que « le rayonnement du français ne peut être assuré que dans le respect de la diversité linguistique, à l’international et en France ». C’est pourquoi, ils dénoncent « la dérive vers un monolinguisme anglophone dans les organisations internationales » et ce constat est « particulièrement alarmant dans les institutions européennes ». Le français ne représente que 2 % des documents du Conseil européen, 3,7 % de la Commission européenne et 11,7 % du Parlement européen. Elle est pourtant l’une des langues officielles de l’UE. Face à ce constat, les sénateurs recommandent de « mener une stratégie offensive en lien avec les pays francophones de l’Union européenne pour que le français demeure la langue de travail des institutions européennes ».
Le document note que « le multilinguisme est aussi une valeur à défendre à l’échelle nationale ». On dénombre soixante-quinze langues dans le pays, dont une majorité de langues régionales. La loi « Molac » de 2021 leur a apporté une protection. Elle oblige l’Etat et les collectivités territoriales à agir pour leur préservation. Les élus veulent continuer à les promouvoir « dans le cadre d’un dialogue constructif entre l’Etat et les collectivités ».
Les professeurs de français comme « grande cause de la francophonie »
Près de 140 millions de personnes apprennent le français. C’est la deuxième langue la plus apprise dans le monde. Les effectifs et la formation des enseignants sont donc un enjeu central. Or, « la pénurie d’enseignants de français est l’une des plus grandes difficultés auxquelles la francophonie est confrontée », indique les sénateurs. Pour doubler les effectifs d’élèves scolarisés d’ici 2030, l’objectif donné par Emmanuel Macron, ils évaluent à 25 000 personnes le besoin de recrutement dans le réseau d’enseignement français à l’étranger. En conséquence, les rapporteurs demandent de faire de la valorisation du métier d’enseignant de français la « grande cause de la francophonie ». Pour eux, les Etats et gouvernements francophones « doivent passer à la vitesse supérieure » sur le sujet et prendre en compte que « les professeurs de français sont les premiers ambassadeurs de la langue française sur le terrain ».
Les parlementaires admettent que « l’apprentissage du français, notamment dans certains pays africains, est de plus en plus appréhendé sous le sceau du pragmatisme ». Ces jeunes se posent souvent la question : « Le Français, pour quoi faire ? ». Les rapporteurs répondent par « un atout pour le parcours de vie ». Leur souhait est que la maîtrise de la langue leur offre des opportunités pour faire des études supérieures. C’est pourquoi, ils recommandent la création d’un « Erasmus francophone », pour « susciter chez la population étudiante un sentiment d’appartenance à l’espace francophone ».
Un programme de mobilité pour les jeunes chercheurs
L’espace francophone doit aussi « être synonyme de mobilité pour les doctorants et les jeunes chercheurs ». Le rapport demande aux pays francophones de s’emparer de cet enjeu. De travailler sur la levée des obstacles administratifs et financiers qui freinent la mobilité. Mais aussi sur la mise en place de mécanismes plus flexibles et incitatifs. Objectif : mettre en place un programme de mobilité en faveur des jeunes chercheurs dans l’espace francophone.
Depuis une vingtaine d’années, la diffusion du savoir en français recule dans le monde. « La prédominance de l’anglais scientifique est entretenue par l’incitation, voire l’injonction faite aux chercheurs à publier en anglais », se désolent les élus. Pour eux, « il convient d’encourager et de valoriser la production scientifique en français. Notamment dans le cadre de l’évaluation des chercheurs ». Ces derniers souhaitent aussi voir l’émergence d’un « espace scientifique francophone ».
Les enjeux du numérique
Un autre domaine ou l’anglais prédomine : le secteur du numérique. A noter que sa place se restreint quand même progressivement depuis une dizaine d’années sous l’effet de l’arrivée de personnes pratiquant d’autres langues. Le français occupe la deuxième place en termes de contenus et la quatrième comme utilisation par les internautes. Elle devrait encore se renforcer avec la venue de nouveaux internautes en provenance d’Afrique. Pour accentuer ce scenario, le rapport recommande « d’intensifier la lutte contre la fracture numérique dans l’espace francophone ».
Et pour valoriser le français sur le numérique, « un autre enjeu de taille est d’améliorer la découvrabilité des contenus francophones », soutiennent les élus. Les secteurs des industries culturelles et de l’édition scientifique sont particulièrement concernés face aux grands groupes anglo-saxons. La France et le Québec collaborent déjà activement sur cette question. Les parlementaires y voient « un cadre d’action prometteur qui mériterait d’être élargi à l’ensemble des partenaires francophones ».