Ce matin, Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste, était l’invitée de la matinale de Public Sénat. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé sa volonté qu’une loi spéciale soit déposée dans les prochains jours au Parlement, quelles seront les modalités de son examen devant les deux assemblées parlementaires ? Les élus pourront-ils déposer des amendements sur le texte ? Un gouvernement démissionnaire peut-il défendre un tel texte ? Explications.
Immigration : la gauche et des élus macronistes mettent la pression pour défendre les régularisations dans les métiers en tension
Par François Vignal
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« Vous avez ici la fine fleur des parlementaires… » La sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie met les formes pour présenter la brochette de députés et de sénateurs, rassemblés ce lundi dans la salle de presse du Sénat, trop étroite pour l’occasion. Une brochette variée, puisqu’elle rassemble des signataires de la tribune transpartisane publiée début septembre dans Libération pour défendre la régularisation des sans-papiers dans les secteurs en tension, mesure phare du projet de loi sur l’immigration, à l’article 3, et qui concentre tous les débats.
Des socialistes, des écologistes, des communistes (mais pas de représentants de LFI) qui défendent une mesure d’un texte présenté par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin – « c’est vrai que ça peut surprendre », sourit la sénatrice PS de Paris – et les représentants de l’aile gauche de la majorité présidentielle, qui montent au créneau, craignant que le sujet des métiers en tension passe à la trappe à l’aune de la recherche d’un accord avec LR. C’est l’originalité de cette initiative, à laquelle s’est associé le groupe RDSE du Sénat. A l’occasion du début de l’examen du projet de loi à la Haute assemblée, ce lundi, ils entendent ne pas relâcher la pression.
« Un petit groupe qui travaille depuis quasiment un an », rappelle Julien Bayou
Ces alliés de circonstances, pour certains du moins, sont ici donc pour défendre la création d’un titre de séjour pour les travailleurs des métiers en tension, mais aussi, rappelle Marie-Pierre de la Gontrie, l’article 4, pour autoriser les « demandeurs d’asile » à accéder au marché du travail, « renforcer des moyens des préfectures, qui rendent impossible l’examen de titrer de séjour. Et nous y avons ajouté la défense de l’aide médicale d’Etat », que la droite sénatoriale a transformé en aide médicale d’urgence, lors du passage du texte en commission (voir la vidéo ci-dessous de Quentin Calmet et Jonathan Dupriez). « Un socle minimal », sur lequel tout le monde s’accorde, comme dit Boris Vallaud, président du groupe PS de l’Assemblée, qui permettrait de sortir « d’une hypocrisie considérable, alors que des pans entiers de notre économie fonctionnent car nous avons des travailleurs sans-papiers ». Cette initiative, c’est le fruit « d’un petit groupe, qui travaille depuis quasiment un an en réalité », rappelle le député Julien Bayrou, ancien numéro 1 d’EELV.
« Dans un contexte où la droite et l’extrême droite sont à l’offensive, et cherchent à construire le texte le plus rétrograde possible, il est important qu’en face, les gens qui sont de conviction, qui considèrent que l’écrasante majorité des étrangers sur notre sol veulent simplement travailler et vivre dignement, fassent entendre cette voix-là », ajoute Ian Brossat, sénateur de Paris et porte-parole du Parti communiste. Regardez :
« Sortir des sentiers battus avec cette initiative transpartisane »
« C’est sortir des sentiers battus avec cette initiative transpartisane », rappelle Stella Dupont, figure de l’aile gauche macroniste, députée apparentée Renaissance du Maine-et-Loire. Elle excuse les absents, notamment le président Renaissance de la commission des lois de l’Assemblée, « Sacha Houlié », mais « ils réitèrent leur soutien » à la démarche. Présente à ses côtés en revanche, la députée de la Somme, Ingrid Dordain, membre d’En Commun et suppléante de l’ex-ministre et ex-députée Barbara Pompili.
Ces parlementaires sont là aussi pour tenter de recadrer le débat. « Si nous n’avions pas fait cette tribune, peut-être que le sujet serait juste de savoir si Gérald Darmanin va céder aux LR », pointe Guy Benarroche, sénateur écologiste des Bouches-du-Rhône. Au Palais du Luxembourg, le président du groupe LR, Bruno Retailleau, est en effet vent debout contre cet article 3. Il a déposé lui-même un amendement de suppression, signé en tout par 104 sénateurs LR… sur 133. Il s’oppose à l’allié centriste, qui défend le principe de la mesure. Dans un amendement, le président du groupe Union centriste, Hervé Marseille, renvoie la question au pouvoir discrétionnaire des préfets, plutôt qu’un nouveau titre de séjour pour les métiers en tension.
« Désordre » dans la majorité sénatoriale
« Le débat est entre les centristes qui en veulent un petit bout et la droite qui ne veut rien du tout. Mais les valeurs humanistes ne doivent pas disparaître de ce texte », défend Thomas Dossus, sénateur écologiste du Rhône, qui pointe « une course entre les LR et l’extrême droite et Gérald Darmanin qui court derrière. On en est là. Mais Olivier Dussopt, qui portait la jambe gauche, a disparu du dispositif ».
Evoquée par Politico, la rumeur que le gouvernement demande « la réserve » sur les articles 3 et 4, pour qu’ils soient examinés en fin de semaine, tourne dans la majorité sénatoriale ce lundi. De quoi laisser un peu de temps aux discussions. « C’est le symptôme du désordre », pour Marie-Pierre de la Gontrie, qui s’étonne : « En huit mois, la majorité sénatoriale n’arrive pas à trouver un accord sur le sujet. Est-ce que c’est en trois jours et trois nuits qu’un accord va être trouvé ? » Un membre imminent du groupe LR le reconnaît lui-même, en début d’après-midi, Salle des conférences, juste avant l’ouverture de la séance : laisser du temps supplémentaire ne vaudrait le coup qu’à condition qu’il y ait « une lueur » d’espoir pour un accord.
« Bien sûr, on ne votera pas n’importe quoi », prévient Stella Dupont, députée apparentée Renaissance
Pour l’heure, au moment où les débats s’ouvrent, le blocage entre LR et l’Union centriste perdure. Il dure depuis plusieurs semaines. Si bien qu’il est difficile de dire comment sortira le texte du Sénat, entre un rejet de la mesure ou l’adoption, contre l’avis d’une bonne partie des LR, de l’amendement Marseille, au risque que le Sénat rejette le texte à la fin. Mais dans ce cas, pas sûr que cela suffise aussi à l’aile gauche de la majorité…
« Le Sénat a la tentation de supprimer ces mesures, je suis mobilisée pour qu’à l’Assemblée nationale, on puisse le cas échéant les réintégrer, réécrire, adapter ces mesures que le Sénat aurait envie de détricoter ou de supprimer », prévient Stella Dupont. Mais même si l’amendement de l’Union centriste était adopté, elle défend le texte d’origine. « S’il y a une décision de repli vers un pouvoir discrétionnaire du préfet, à l’image de la circulaire Valls, ce n’est pas notre souhait », soutient, pour l’heure, la députée de l’aile gauche des macronistes, qui rappelle que le « texte initial prévoit bien un titre de séjour pour métiers en tension ». Donc plutôt que négocier depuis des semaines avec les LR, Stella Dupont appelle à trouver des « partenaires à gauche ». Et d’ajouter, à qui veut l’entendre, que « bien sûr, on ne votera pas n’importe quoi ». Mais quand on l’interroge, la députée du Maine-et-Loire ne se risque à donner aucun chiffre sur le nombre de voix, autrement dit le poids, de l’aile gauche dans cette bataille parlementaire. Mais ce que l’exécutif pourrait gagner à droite, il le perdrait sur sa gauche. Pour le gouvernement, c’est l’équation impossible. Depuis le début au fond.
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