L’ancien ministre de l'Économie et des Finances sera auditionné au Sénat jeudi, dans le cadre d’une mission d'information sur l’aggravation du déficit public, à plus de 6% du PIB d’ici la fin de l’année. Les ex-Premiers ministres Gabriel Attal et Élisabeth Borne seront également interrogés dans les prochains jours par la Chambre haute.
Immigration : le débat sur l’aide médicale d’Etat s’aiguise avant l’arrivée du texte au Sénat
Par François Vignal
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Le projet de loi immigration ne se résume pas à son article 3 sur les métiers en tension. Les sujets de débats sont multiples et la question de l’aide médicale d’Etat (AME) sera assurément l’un d’eux. Ce dispositif, qui permet à un étranger sans papier de bénéficier de la prise en charge à 100 % d’un certain nombre de soins médicaux et hospitaliers, est dans le collimateur des LR. Alors que les débats dans l’hémicycle du Sénat commencent ce lundi 6 novembre, la droite sénatoriale a déjà, lors du passage du texte du commission, supprimé l’AME, ou plutôt l’a transformée en aide médicale d’urgence (AMU). Une manière de limiter sérieusement le dispositif.
Gérald Darmanin favorable à la suppression de l’AME, quand le ministre de la Santé la défend
Face au débat naissant, la première ministre Elisabeth Borne a commandé un rapport, pour déterminer si « des adaptations » de l’AME sont « nécessaires », à Claude Evin, ancien ministre socialiste des Affaires sociales, et à Patrick Stefanini, ancien directeur de campagne de Valérie Pécresse et de François Fillon à la présidentielle. Pas vraiment du genre « laxiste » donc, pour ce dernier. Et que dit le rapport ? Selon France Inter, qui s’est procuré « une première version » du document, qui a été remise hier à la première ministre, le rapport « défend ce dispositif ».
« Pas d’abus, pas d’appel d’air, l’AME est un dispositif utile », selon les conclusions du rapport, rapporte ce vendredi la radio publique. Une pierre jetée dans le jardin des sénateurs LR, fermement opposés à la mesure, tout comme dans celui de Gérald Darmanin. Le ministre de l’Intérieur, à la recherche d’une majorité sur son texte, a tendu sur ce point la main aux LR, espérant sans doute favoriser un rapprochement. Il s’est dit « favorable », à titre personnel, à la suppression de l’AME, voyant dans le texte des sénateurs, « un bon compromis qui allie fermeté et humanité ».
Le sujet divise au sein même du gouvernement. Son porte-parole, Olivier Véran, tout comme le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, ont pris la défense de l’aide médicale d’Etat. Ce dernier a qualifié l’AME, lors de son audition devant les sénateurs, de « dispositif indispensable, un dispositif de santé publique ». Quant à Elisabeth Borne, avec qui les relations avec son ministre de l’Intérieur ne sont pas toujours au beau fixe, elle a assuré que « la position du gouvernement résultera bien sûr des conclusions de cette mission »… Les défenseurs de l’AME s’organisent, puisque 3.000 soignants ont par ailleurs signé jeudi une tribune dans Le Monde pour rappeler la raison d’être de ce dispositif, qui concerne 400.000 étrangers en 2023, pour un coût de 1,2 milliard d’euros.
« Un rapport complaisant », pointe Bruno Retailleau
A trois jours des débats au Sénat, pas de quoi faire douter les LR. « Ce serait un rapport complaisant, et un rapport pour rien, si telle en était la conclusion », réagit auprès de publicsenat.fr Bruno Retailleau, le président du groupe LR du Sénat. Il « rappelle qu’un rapport de l’Igas n’a pas abouti à cela. Il soulignait le risque d’une immigration pour les soins. Un quart des étrangers en situation irrégulière cite l’accès aux soins gratuits comme raison de leur migration, selon le rapport de l’Igas ». Le sénateur LR de Vendée renvoie aussi au livre « le grand dérangement, de Didier Leschi, directeur de l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration), qui dans son rapport annuel indiquait qu’il s’agissait d’un dispositif qui est parmi les plus généreux d’Europe ».
« L’AME donne accès à un panier de soins qui est quasiment celui des résidents, sans payer, en excluant les cures et la PMA. J’observe que depuis 10 ans, par ailleurs, il y a un doublement du coût, qui est bien au-dessus du milliard », remarque encore Bruno Retailleau. C’est pourquoi la droite sénatoriale a adopté en commission un amendement qui transforme l’AME en AMU, aide médicale d’urgence, avec un panier de soins réduit. « On ne laisse mourir personne », répond par avance Bruno Retailleau. Si le panier pourra être précisé lors des débats, le texte de la commission dit que la prise en charge, avec toujours la dispense d’avance de frais, concerne « la prophylaxie et le traitement des maladies graves et des douleurs aiguës », « les soins liés à la grossesse et ses suites », « les vaccinations réglementaires » et « les examens de médecine préventive ».
« Est-ce que nos partenaires européens, qui n’ont pas ce régime aussi avantageux, ont rencontré des problèmes de santé publique ? »
Quant aux conséquences de la suppression de l’AME, pour Bruno Retailleau, « c’est archi faux » de considérer que cela risquerait de se répercuter sur les urgences, comme a alerté le ministre de la Santé devant le Sénat. « La preuve, est-ce que nos partenaires européens, qui n’ont pas ce régime aussi avantageux, ont rencontré des problèmes de santé publique ? » demande le président de groupe, qui prévient : les LR ne veulent en aucun cas du maintien de l’AME. « Ça fait partie des lignes rouges, depuis le départ », rappelle Bruno Retailleau.
La droite sénatoriale n’en est pas à son coup d’essai sur l’AME. Le sénateur LR Roger Karoutchi a défendu plusieurs années la réforme de la l’AME, flambeau repris dernièrement par son collègue Christian Klinger. Mais au-delà des arguments de maîtrise migratoire, on comprend que pour Bruno Retailleau, l’enjeu est aussi politique :
Du côté de l’allié centriste, on ne s’oppose pas aux LR sur ce point, à la différence de l’article 3 sur les métiers en tension. Pour la séance, Bruno Retailleau a déposé un amendement de suppression de la mesure, quand le président du groupe centriste, Hervé Marseille, propose lui, dans un autre amendement, de simplement la modifier.
Mais si les centristes ont laissé faire sur l’AME, ce n’est pas un franc soutien non plus. « C’est typiquement un faux sujet en matière d’immigration. La droite qui y est très attachée mais les implications sont voisines de zéro. L’aide médicale pour les étrangers en situation irrégulière est une obligation constitutionnelle. Et l’éthique médicale fait qu’un médecin soignera toujours quel que soit le statut du patient », nous expliquait le 9 octobre le sénateur centriste Philippe Bonnecarrère, corapporteur du texte.
« Il faut que la droite républicaine arrête de courir derrière l’extrême droite et oublie au passage ses valeurs fondamentales », lance Bernard Jomier
A gauche, le sénateur du groupe PS, Bernard Jomier, voit d’un bon œil les conclusions du rapport Evin/Stefanini. « L’AME est un dispositif utile de santé publique, il n’y a pas de doute. Ça permet de soigner des gens assez tôt, de faire de la prévention et d’éviter que leur état ne se dégrade », avance celui qui est aussi médecin généraliste. Le sénateur de Paris soutient que « l’AME ne crée aucun appel d’air ». Bernard Jomier ajoute :
Le sénateur du groupe socialiste exhorte la droite à « laisser l’AME en dehors du débat immigration, ça n’a rien à faire dans un texte sur l’immigration », et à sortir de la « posture politique ». « Il faut que la droite républicaine arrête de courir derrière l’extrême droite et oublie au passage ses valeurs fondamentales », lance Bernard Jomier, qui insiste : « Soit la droite républicaine reste dans le camp de ceux qui ont des valeurs et raisonne à partir des faits, soit elle part vers un populisme et l’extrême droite. Mais je peux encore croire que mes collègues au Sénat, en particulier au groupe LR, se ressaisiront ».
La gauche sénatoriale prépare ses armes pour la séance
Le sénateur de Paris pointe au passage du doigt un autre argument des opposants. « On nous a rabâché sur les opérations pour oreilles décollées. Aurélien Rousseau a donné le chiffre : c’est 70 oreilles par an, et pas pour des situations esthétiques. On est dans l’anecdotique », remarque Bernard Jomier, qui souligne par ailleurs que « les opposants évoquent aussi l’Espagne, qui est revenu sur le principe de l’AME, avant de faire marche arrière, car les résultats étaient désastreux ».
Toute la gauche sénatoriale prépare déjà ses armes pour la séance. Plusieurs amendements pour revenir sur la transformation de l’AME en aide médicale d’urgence, ont été déposés : par Marie-Pierre de la Gontrie pour le groupe PS, Ian Brossat pour le groupe communiste, Guy Benarroche pour le groupe écologiste, mais aussi par Maryse Carrère, présidente du groupe RDSE (qui mêle radicaux de gauche et de droite), avec sa collègue Nathalie Delattre. Sans oublier, point important, un amendement du sénateur du groupe RDPI (Renaissance), Olivier Bitz, cosigné par François Patriat, président du groupe macroniste, pour supprimer l’article « dans l’attente des conclusions de la mission confiée par la première ministre à Patrick Stefanini et Claude Evin ».
« Mon groupe s’opposera à la transformation de l’AME en AMU », affirme François Patriat
Contacté, ce fidèle d’Emmanuel Macron défend le principe de l’aide médicale d’Etat. « J’en ai parlé longuement la semaine dernière avec Elisabeth Borne, à Matignon. Je ne souhaite pas qu’on transforme l’AME en AMU », affirme François Patriat. « 3000 médecins disent que ça ne va rien économiser, qu’éthiquement, on ne peut pas refuser de soigner quelqu’un et que c’est médicalement dangereux », fait remarquer le sénateur Renaissance de la Côte-d’Or, qui ajoute : « Je pense que mon groupe s’opposera à la transformation de l’AME en AMU ». Si le groupe des Indépendants, où siègent les sénateurs Horizons, font de même, « il suffirait d’une vingtaine de centristes votent avec nous pour que ça ne passe pas », calcule François Patriat. Conclusion provisoire : « Tout se passera avec les centristes, comme sur l’article 3 ».
Si la suppression de l’AME se confirme tout de même au Sénat, les députés de la majorité présidentielle pourraient revenir dessus, avec l’aide de la gauche, lors de l’arrivée du texte à l’Assemblée. « L’AME, on va la garder, c’est clair », croit savoir un macroniste. De quoi satisfaire l’aile gauche de la majorité présidentielle. Moins les LR, dont les voix sont nécessaires pour adopter le texte in fine. Sauf à recourir, bien sûr, au 49.3.
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