Immigration : le Sénat allonge la durée de résidence nécessaire au versement de plusieurs prestations sociales

Les sénateurs ont fait passer de neuf mois à deux ans le délai de résidence nécessaire aux étrangers en situation régulière pour pouvoir prétendre à certaines aides sociales. La droite sénatoriale, qui a déjà tenté à plusieurs reprises de faire adopter ce durcissement de la législation, s’est toujours heurtée au Conseil constitutionnel. En face, la gauche a voulu dénoncer une volonté d’affichage idéologique.
Romain David

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Les sénateurs ont adopté ce mardi soir une proposition de loi issue des rangs de la droite qui durcit les conditions d’accès aux aides sociales pour certains ressortissants étrangers. Avec ce texte, défendu par la sénatrice des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer, les ressortissants étrangers en situation régulière devront être titulaires d’un titre de séjour depuis au moins deux ans, avant qu’ils ne puissent bénéficier des prestations familiales, de l’aide personnalisée au logement et de l’allocation personnalisée d’autonomie.

À la tribune, Valérie Boyer a invoqué la situation budgétaire de la France et la nécessité de préserver le modèle social. « La France est dans une situation extrêmement préoccupante, à ce titre nous devons faire des choix car tout ne peut pas être financé avec nos comptes publics, c’est-à-dire de la dette ». Elle a notamment épinglé « un coût de l’immigration de 75 milliards d’euros, soit 41 milliards net », selon les chiffres du budget 2023. « L’OCDE le dit : pour la France l’immigration coûte plus qu’elle ne rapporte. Le bilan est clair. »

Pour rappel : la législation actuelle prévoit déjà, pour l’attribution de la plupart des prestations sociales, une présence régulière de neuf mois consécutifs. Notons que l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et l’allocation versée en cas de décès d’un enfant ne sont pas concernées par les restrictions imposées par cette proposition de loi. Une liste à laquelle un amendement de la commission des affaires sociales est venu ajouter l’allocation journalière de présence parentale (AJPP), « dans la mesure où elle bénéficie aux parents d’enfants gravement malades, accidentés ou handicapés. »

Vent debout, les oppositions de gauche ont reproché à la droite de vouloir introduire « une préférence nationale » dans la loi, thème cher au Rassemblement national. La sénatrice communiste de Meurthe-et-Moselle, Silvana Silvani, a ainsi accusé la majorité sénatoriale de « prendre le chemin du trumpisme ». Ce texte a même été taxé de « proposition de loi CNews » par son collègue Ian Brossat. « Vous assumez le fait de déposer une proposition de loi dont vous savez qu’elle est inconstitutionnelle, qu’elle ne débouchera sur rien du tout, et qui vise simplement à alimenter le débat public », a fustigé l’élu parisien.

Une fragilité juridique ?

Le flou constitutionnel qui pèse sur ce texte a été pointé à de nombreuses reprises au fil des débats. En effet, la mesure avait déjà été introduite par les LR du Sénat dans le projet de loi immigration en 2023, et finalement retoquée par le Conseil constitutionnel pour des questions de forme, car considérée comme un cavalier législatif, c’est-à-dire étrangère à l’objet du texte de loi. Les sages de la rue Montpensier avaient estimé que cette disposition sociale était sans lien avec les mécanismes de contrôle de l’immigration.

En 2024, la droite sénatoriale était revenue à la charge avec une proposition de loi référendaire. Là encore, les fourches caudines du juge constitutionnel ont sabré le texte. Si les sages ont estimé que « le législateur pouvait prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques », ils ont en revanche considéré que la durée initialement retenue – cinq ans de résidence régulière – portait une atteinte disproportionnée à certains droits et libertés. Raison pour laquelle la droite a finalement ramené ce délai à deux ans dans le texte adopté mardi. « Une estimation au doigt mouillé ! », a dénoncé la sénatrice socialiste du Val-de-Marne Laurence Rossignol. « Le Conseil des barreaux a déploré la fragilité du dispositif au regard des exigences constitutionnelles », a voulu rappeler la sénatrice écologiste du Rhône Raymonde Poncet-Monge.

Un impact limité

Outre la dimension juridique, l’efficience même de ce texte a soulevé de nombreuses interrogations. À commencer par l’absence de données quant à son impact financier réel : « La caisse nationale des allocations familiales ne renseigne pas la nationalité des allocataires, ce qui empêche d’estimer le coût des allocations versées à ces foyers », a reconnu la sénatrice LR de Gironde Florence Lassarade, l’une des deux rapporteurs de la proposition de loi.

Le dispositif risque également d’être battu en brèche par les conventions bilatérales de sécurité sociale signées par la France avec d’autres pays, et qui devraient exempter une quarantaine de nationalités du tour de vis prévu. « Cet enchevêtrement d’engagements mal connus contraint fortement notre capacité à agir. Un travail de recensement et de révision de ces engagements, pour certains très anciens, doit être engagé », a appelé le rapporteur (Union centriste) Bruno Bitz.

« Certes, ce texte est surtout symbolique, mais le symbole, en politique, cela compte, ce n’est pas un gros mot. On peut vouloir réguler l’immigration sans être d’extrême droite ou xénophobe », a défendu le sénateur centriste du Nord Olivier Henno.

L’exécutif refuse de prendre position

Le gouvernement a estimé que la proposition de loi « répondait politiquement à une interrogation partagée par bon nombre des concitoyens sur un éventuel effet d’appel d’air et une forme d’attractivité de la France pour une immigration non choisie ». Mais il n’a pas souhaité émettre d’avis favorable ou non favorable sur le texte, invoquant le « peu d’effets » attendus au regard de l’effort d’adaptation qui serait demandé aux caisses de sécurité sociale.

Cette déclaration a valu à la ministre déléguée chargée de l’Autonomie et du Handicap, Charlotte Parmentier-Lecocq, quelques sifflets de protestation lors de son passage à la tribune. « Quel signe de lâcheté ! Que le gouvernement n’est pas capable de défendre une position républicaine sur un sujet pareil, je trouve cela pathétique ! », a déploré Ian Brossat.

En vain, la gauche aura tenté de faire tomber la proposition de loi par le dépôt de deux motions. L’une dite « de rejet », visant à dénoncer l’inconstitutionnalité du texte, la seconde, sous la forme « d’une question préalable », par laquelle les parlementaires estiment que la délibération n’a pas lieu d’être. « En résumé, cette proposition de loi est inconstitutionnelle car attentatoire aux principes qui fondent notre République, dangereuse car facteur de division quand notre pays a besoin de cohésion et inefficace dans la lutte contre l’immigration clandestine », a conclu Laurence Rossignol.

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