Paris: QAG au Senat

Immigration : les sénateurs LR font un pas vers les centristes sur les métiers en tension

Après leur réunion de groupe, les sénateurs LR mettent sur la table une nouvelle proposition. Bruno Retailleau accepte que soit inscrit dans le texte le principe de régularisations, non automatiques et à la main du préfet, pour les étrangers sans papiers qui travaillent. Mais à condition que la circulaire Valls soit « durcie », précise Bruno Retailleau, qui maintient en revanche la « suppression de l’article 3 » sur les métiers en tension et exige la présence de tous les « marqueurs » LR dans le texte.
François Vignal

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Ça bouge. Alors que le blocage dure depuis des semaines entre les sénateurs LR et leurs alliés du groupe centriste sur l’article 3 du projet de loi immigration sur les régularisations dans les métiers en tension, le groupe LR met sur la table ses conditions pour accepter de voter le texte, tout en faisant un petit pas vers le groupe Union centriste. Ce pas porte sur la question des régularisations, au cas par cas, mais selon des conditions durcies.

« Nous restons sur la position que nous exprimons depuis plus d’un mois : supprimer l’article 3 »

« Nous restons sur la position que nous exprimons depuis plus d’un mois, que nous avons régulièrement, semaine après semaine, validé dans le groupe. Nous voulons supprimer l’article 3. Je porterai personnellement cet amendement de suppression. Il est signé par plus de 100 sénateurs, ce qui montre le niveau d’adhésion », explique ce mardi Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR, à la sortie des deux heures qu’a duré la réunion de groupe.

Son amendement est signé par 104 sénateurs sur 133 que compte le groupe LR. Il en manque donc près de 30… De quoi y voir un désaccord sur ce que certains pourraient considérer comme un jusqu’au-boutisme du sénateur de Vendée. Mais de source interne au groupe, on s’attend plutôt à « une dizaine » de sénateurs qui ne suivraient pas sur l’amendement Retailleau. Lors de la réunion de groupe, seul Alain Joyandet, voix critique depuis des mois, a pris la parole pour défendre le maintien de l’article 3.

« Graver dans le texte un certain nombre de marqueurs »

Deuxième condition fixée par les LR : « Graver dans le texte un certain nombre de marqueurs, qui sont pour nous des conditions extrêmement importantes », explique Bruno Retailleau, qui commence sa liste à la Prévert : « On veut que figurent dans le texte les quotas migratoires ; le durcissement du regroupement familial mais aussi pour la vérification des étudiants, chaque année, pour ceux qui ont une carte pluriannuelle ; le durcissement des conditions d’accès aux soins gratuits pour les étrangers malades (l’AME, ndlr) ».

Le sénateur de Vendée continue : « Le durcissement de l’acquisition de la nationalité sur le droit du sol, on revient au dispositif Pasqua ; le rétablissement du délit de séjour, supprimé par François Hollande ; la suppression des exceptions aux expulsions ou aux OQTF ; la conditionnalité de l’aide au développement, lorsque des pays refusent des laissez-passer consulaires. Pour les prestations sociales non-contributives, nous voulons une résidence d’une durée de 5 ans, et la systématisation des obligations de quitter le territoire, c’est l’idée que la décision définitive de rejet vaille OQTF ».

Bruno Retailleau demande « une réécriture durcie de la circulaire Valls »

Et enfin, le troisième point, essentiel, car c’est le pas vers les centristes : « Une réécriture durcie de la circulaire Valls. On ne veut pas retomber sur les critères de la circulaire Valls actuelle, on souhaite les durcir. François-Noël Buffet (le président de la commission des lois) va y travailler dans les prochaines heures », annonce Bruno Retailleau : « Le pas (vers les centristes), c’est le processus. C’est en trois temps : pas d’article 3, nos marqueurs et une réécriture, durcie, de la circulaire Valls », résume le président du groupe LR.

Alors qu’Hervé Marseille fixe de son côté comme condition que les demandes de régularisation ne soient plus à la main de l’employeur, mais puisse être faites par le salarié, l’idée défendue par le groupe LR répond en partie à l’exigence centriste. « On pense que le processus de l’article 3 était un appel à la fraude. C’est très simple de frauder des fiches de paie. Certains le font pour avoir une location d’appartement. Donc charge à François-Noël Buffet de trouver un dispositif qui permette, effectivement, d’initier une démarche par l’employé, mais qui réintroduit à un moment ou un autre l’employeur », explique le sénateur LR de Vendée. Il faut que ce soit « un dispositif réglementaire », ajoute le président de la commission des lois. « Un chemin possible passera nécessairement par ce qu’on dit depuis toujours, par un dispositif de caractère réglementaire à la main du préfet, dans le cadre de l’admission exceptionnelle au séjour », précise François-Noël Buffet.

Le « bougé » du groupe LR sur les régularisations

Depuis des mois en effet, les LR rappellent que les régularisations sont déjà possibles de manière réglementaire, mais qu’il n’était donc pas nécessaire de l’inscrire dans le projet de loi, contrairement à ce que veulent faire les centristes. Le bougé vient donc du fait que les sénateurs LR sont maintenant prêts à inscrire ce principe dans le texte, à condition d’un durcissement de la circulaire Valls. « Si on ne rédige rien, il ne se passera rien et nos conditions ne seront pas respectées », admet François-Noël Buffet.

Reste à définir les termes pour durcir la circulaire Valls. Le niveau de Français ? L’intégration ? « Ça peut être des sujets », pour le sénateur du Rhône. « Il est bien clair que le seul fait de travailler ne peut pas être une condition suffisante et unique. Le respect des valeurs de la République, du mode de vie, ça doit compter tout autant, comme la réalité du travail », précise Bruno Retailleau. Les préfets pourraient être amenés ainsi à vérifier si le travail est bien effectif.

S’il est prêt à cette concession, le président du groupe LR prévient que c’est à prendre ou à laisser :

 On ne votera pas le texte à n’importe quelle condition. Si nos marqueurs n’y sont pas, si l’article 3 y est, même modifié, s’il n’y a pas le durcissement de la circulaire Valls, ce sera non. 

Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat.

« Nous regardons attentivement la proposition de nos collègues du groupe LR » réagit le rapporteur centriste Philippe Bonnecarrère

La balle est maintenant dans le camp des centristes. « Nous regardons attentivement la proposition de nos collègues du groupe LR et écouterons la présentation de leurs explications et objectifs. Ils ont l’initiative. Nous la respectons », réagit sagement Philippe Bonnecarrère, corapporteur centriste du texte. Pour que cette voie de passage, étroite, puisse être pratiquée par tous, il faudra qu’Hervé Marseille accepte de retirer son amendement qui modifie l’article 3, et que ses troupes acceptent tout autant de voter l’amendement de suppression de Bruno Retailleau. Et plus globalement, que les centristes acceptent des conditions de régularisations plus restrictives. Encore beaucoup de conditions à lever. Il reste peu de temps pour préserver l’unité de la majorité sénatoriale. L’article 3 a été « réservé », c’est-à-dire décalé, jusqu’à mercredi soir ou jeudi. Histoire de laisser un peu de temps au temps.

Dans l’entourage de Gérald Darmanin, qui siège au banc en séance depuis hier, on voit en tout cas d’un bon œil ces discussions qui avancent. Le ministre de l’Intérieur répète qu’il n’est « pas fétichiste des numéros ». Autrement dit, il pourrait accepter la suppression de l’article 3, à condition que le principe de régularisation soit évoqué quelque part dans le texte. « Une mesure de régularisation, si on arrive à le faire accepter au Sénat, c’est pas si mal… » glisse son entourage.

Une partie du groupe LR plaide pour « trouver un accord avec les centristes »

Du côté LR, la pression vient aussi de l’intérieur. Bruno Retailleau assure que son groupe suit « à 95% » cette ligne. En réalité, des divergences étaient perceptibles ces derniers jours. Un certain nombre de voix se font entendre pour pousser vers un accord avec les centristes. A commencer par Gérard Larcher, le président du Sénat, dont la majorité repose sur les deux piliers LR et Union centriste. Il plaide pour un accord, confient les sénateurs LR.

Il n’est pas le seul. « Ma position, c’est qu’il faut un texte qui sorte du Sénat », lâche à la sortie de la réunion de groupe Sophie Primas, vice-présidente LR du Sénat et sénatrice des Yvelines, comme Gérard Larcher. Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques, reconnaît elle que le groupe est « partagé », entre ceux qui veulent « un accord, mais pas à n’importe quel prix », et les autres.

« C’est comme la mayonnaise. Le batteur n’a pas encore fait effet. Ce n’est pas encore l’émulsion »

« Il faut trouver un accord avec les centristes. Je ne vois pas les choses autrement. C’est mathématique, car sinon nous n’avons pas la majorité seuls. Et sur le plan moral, car on a toujours fait la majorité avec eux. Donc il faut trouver un accord », espère pour sa part Marie Mercier, sénatrice LR de Saône-et-Loire. Pour elle, l’enjeu est de taille, car s’agit de « garder la cohésion du groupe et du Sénat. S’il n’y a plus d’Assemblée nationale qui vaille, avec la majorité relative, et plus de Sénat vaillant, ce n’est pas possible », lance Marie Mercier.

Un membre du groupe LR a bon espoir que les choses aboutissent. « C’est comme la mayonnaise. Le batteur n’a pas encore fait effet. Ce n’est pas encore l’émulsion », lance une sénatrice. Avec Gérard Larcher dans le rôle du fouet de cuisine ? « Si c’est lui le fouet, ce n’est pas pour taper. C’est un lien Larcher. Il aime chercher un chemin. Et ça ne lui correspondrait pas d’être comptable d’un fractionnement du Sénat », analyse cette sénatrice LR. Un rejet du texte, faute d’un accord avec les centristes, semblerait aussi d’autant plus étonnant, car ce serait le texte du gouvernement que les députés étudieraient ensuite, sans aucun apport du Sénat. Et pour les LR, l’image extérieure serait qu’ils s’opposent à un texte sur l’immigration. Autant de raison de mettre du « lien » et trouver un moyen d’atterrir.

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