Ingérences étrangères : « Des risques importants sur les processus démocratiques nationaux », alerte le président de la HATVP

Auditionné par la commission d’enquête sur les influences étrangères, le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, Didier Migaud, alerte sur un « enjeu de souveraineté », et réclame davantage de « moyens humains et informatiques », qu’il estime comme n’étant « absolument pas à la hauteur des enjeux ».
Alexis Graillot

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Les ingérences étrangères sont au cœur de l’activité sénatoriale. Après le vote tard dans la nuit d’une proposition de loi en la matière, qui propose notamment la création d’un registre où devront s’inscrire les représentants d’intérêts étrangers, la commission d’enquête poursuit en parallèle ses auditions.

Quoique largement adoptée, la proposition de loi n’est pas exempte de critiques à gauche comme à droite. Du côté des premiers cités, on critique notamment l’autorisation accordée aux services de renseignements à utiliser des algorithmes pour détecter les opérations d’ingérences. Du côté des deuxièmes, on questionne l’efficacité même du dispositif, le président de la commission d’enquête LR, Dominique de Legge, déplorant un « texte pas à la hauteur ».

Un « bilan décevant » de la mise à jour des règles de l’autorité

« La multiplication des influences directes ou indirectes, leur manque de traçabilité et complexité, font peser des risques importants sur les processus démocratiques nationaux », rappelle d’emblée Didier Migaud, qui prend bien soin au préalable de distinguer « influence » et « ingérence ». Dans ce dernier cas, l’ingérence revêt un « caractère dissimulé et malveillant ».

Cependant, les moyens mis en œuvre par ces acteurs « malveillants », endossent régulièrement un caractère plus subtil, puisque ces derniers peuvent « se servir des canaux de l’influence de la représentation d’intérêts ». Pour lutter contre ces ingérences, l’autorité administrative indépendante possède sous la main plusieurs dispositifs, allant de « l’encadrement de la représentation d’intérêts », en passant par « le contrôle des déclarations de situation patrimoniale et d’intérêt des responsables publics », mais également via « le contrôle des mobilités professionnelles entre les secteurs public et privé ».

Au regard de la multiplication du phénomène, la Haute autorité a décidé d’actualiser ses lignes directrices, puisque « les représentants d’intérêt doivent désormais déclarer les administrations étrangères qui font appel à leurs services ». Un bilan jugé comme « décevant » par Didier Migaud, étant donné que « seules deux entités » ont opéré une telle déclaration, et « aucune fiche d’activité ne cite une administration étrangère comme bénéficiaire ».

 Les think-tanks doivent être considérés comme des vecteurs d’influence possibles, voire au-delà 

Didier Migaud, président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)

Moyens insuffisants

Même si ce dispositif est tout récent, force est de constater que la transparence n’est pas toujours légion, d’autant plus que « certains canaux officiels peuvent contribuer à exercer une influence sur un certain nombre d’activités ». La loi Sapin II, votée en 2016, et telle qu’actuellement rédigée trouve ainsi des limites, pour lesquelles le président de la HATVP souhaite trouver des réponses : « Il est très important que les cercles de réflexion soient soumis aux mêmes règles, mais aussi de connaître leurs financements », explique-t-il, ajoutant : « Les think-tanks doivent être considérés comme des vecteurs d’influence possibles, voire au-delà », défend le haut fonctionnaire.

Le président de la HATVP souhaite ainsi que la future proposition de loi englobe une « définition plus large » des représentants d’intérêts (ou lobbyistes). Pour autant, élargir cette définition implique en parallèle un élargissement des moyens de l’autorité actuelle. « La HATVP, c’est 75 agents, et sur le dispositif Sapin II, seulement 10 agents. Si je compare avec les autres pays, je suis gêné quand on me pose la question [sur les effectifs] », regrette-t-il.

« Nous manquons de personnels pour faire vivre concrètement ce répertoire », martèle Didier Migaud, qui estime nécessaire « 6 à 10 personnes supplémentaires », mais également « des moyens informatiques ». « Nous ne disposons d’aucun outil d’intelligence artificielle », déplore-t-il, rappelant que cela « fait partie des demandes en termes de moyens de fonctionnement ». Expliquant que la Haute autorité possède une « cellule de veille », son président tance un dispositif « assez artisanal », qui peut néanmoins « être efficace sur un certain nombre de sujets ».

Mettre en place « un système gradué » de sanctions

Enfin, interrogé par le rapporteur de la commission, Rachid Temal (PS) sur le barème de sanctions administratives de la HATVP, Didier Migaud s’est déclaré favorable à « un système gradué de sanctions extrêmement utile ». « Nous n’avons pas idée de nous substituer au juge pénal », rassure-t-il, expliquant que les sanctions qui peuvent être décidées par la Haute autorité, englobent « tout ce qui n’engage pas d’appréciation », que ce soit « un défaut ou un retard de déclaration », « un manquement à des obligations déontologiques », ou encore « un défaut de respect aux obligations déclaratives ».

Pour cela, Didier Migaud invite à se baser sur le dernier rapport de l’OCDE, dont la directrice des affaires publiques, était auditionnée il y a quelques semaines au Sénat. Souhaitant la création d’un « dispositif ad hoc pour renforcer la transparence », le président de la HATVP estime que « plus la transparence existe, mieux cela peut permettre d’identifier les mesures d’ingérence étrangère ».

Reste à savoir l’efficacité éventuelle d’un tel dispositif, au regard notamment de divergences au niveau européen sur le sujet. Sur ce point, Didier Migaud lance une alerte : « les représentants d’intérêts sont parfois plus influents que les parlementaires ».

La commission poursuit ses travaux, avant la remise de son rapport, fin juillet.

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